Il y a 35 ans Euzhan Palcy remportait le César de la meilleure 1ère œuvre
Le 3 mars 1984, quatre films de jeunes réalisateurs sont en compétition. Luc Besson avec Le Dernier Combat, Aline Issermann en lice pour Le Destin de Juliette et Bernard Favre artisan de La Trace assistent au triomphe d’Euzhan Palcy. Le CNC, Centre National du Cinéma rend hommage à « cette pionnière téméraire et opiniâtre qui a marqué l’histoire du cinéma ». Des extraits de l’article qui lui est consacré.
… C’est à l’âge de quatorze ans qu’Euzhan Palcy découvre le roman de Joseph Zobel. Ayant déjà l’envie d’être cinéaste, elle se fait alors le serment de porter un jour ce roman sur grand écran…
Après avoir réalisé La Messagère, une fiction télévisée, de manière totalement autodidacte, Euzhan Palcy part en Métropole, pour continuer ses études. Elle se forme à l’École Louis Lumière, rencontre des grands noms du cinéma tels que Jean Rouch, René Gilson, François Truffaut… Elle continue de remanier son adaptation de Rue Cases-Nègres et finit par présenter son projet en 1981 au CNC. Elle obtient à l’unanimité du jury l’avance sur recettes. C’est la première fois que l’aide est accordée à un cinéaste antillais.
Reste à trouver un producteur qui prenne en charge la réalisation. Le parcours du combattant débute alors. Le projet séduit autant qu’il effraie les professionnels, jugeant le sujet aux antipodes des attentes du public, ayant des réserves sur le titre ou sur l’affiche du film. Mais Euzhan Palcy est tenace. Elle finit par retenir l’intérêt de Michel Loulergue, un publicitaire désireux de se lancer dans la production cinématographique, et d’un distributeur, Claude Nedjar. Elle trouve également la somme nécessaire au bouclage du budget auprès d’Aimé Césaire, alors maire de Fort-de-France.
Le tournage à la Martinique commence en 1983, dans un climat d’enthousiasme communicatif. « Nous avons passé des moments formidables. Les habitants venaient regarder le tournage tous les jours, c’était l’heure « Rue Cases-Nègres ». La télévision en parlait quotidiennement… Entièrement tourné en créole, Rue Cases-Nègres se veut une fidèle adaptation du roman de Joseph Zobel, qui est consulté lors du tournage et joue même un petit rôle – celui du curé – dans le film.
Epaulée par François Truffaut, qui la parraine et lui prodigue quelques conseils scénaristiques, Euzhan Palcy surprend par sa maturité – elle n’a que 25 ans –, par sa rigueur, sa sensibilité, et par son écriture, fluide et maîtrisée.
« On m’a souvent dit que Rue Cases-Nègres était très truffaldien. On retrouve en effet dans Rue Cases-Nègres comme dans L’enfant sauvage ou Les 400 coups, cette candeur face au drame. Le personnage du petit garçon est à la fois très innocent mais aussi, paradoxalement, très éveillé sur les difficultés de la vie grâce au personnage de Médouze qui l’a beaucoup instruit… », raconte la réalisatrice.
Sorti en salles le 21 septembre 1983, le film charme par l’intelligence de la narration, la véracité de la reconstitution, l’excellence des comédiens principaux et la subtilité de son message. Rue Cases-Nègres attire plus de 3 millions de spectateurs en salles et remporte un franc succès. Sélectionné à La Mostra de Venise, il remporte le Lion d’argent du Meilleur premier film et la coupe Volpi de la meilleure interprétation féminine pour Darling Légitimus…
Suite à ce succès retentissant (Rue Cases-Nègres obtient près de 20 prix à l’international), Euzhan Palcy s’envole aux Etats-Unis pour y développer son nouveau projet, Une Saison blanche et sèche (1989), qui traite de l’Apartheid en Afrique du Sud. Produite par la Metro Goldwyn Mayer (MGM), Euzhan Palcy devient non seulement la première réalisatrice noire à être produite par une major hollywoodienne, mais également la première femme à diriger une icône américaine : Marlon Brando, qui fait son retour au cinéma. Son rôle lui vaut d’être nommé aux Oscars en 1990…
Impressionné par son œuvre, Robert Redford l’invite à Sundance et devient son « parrain américain ». Récompensée et saluée pour ses œuvres à de multiples reprises, Euzhan Palcy a écrit une page importante du cinéma, contribuant à faire bouger les lignes et ouvrir les portes aux nouvelles générations de réalisatrices. Dans une interview donnée sur France Info, elle évoque sa passion pour le septième art qui l’anime tant : « Le fait d’être cinéaste, pour moi, ce n’est pas un vain mot. C’est un engagement, né d’une grande souffrance, d’un combat et d’une grande frustration. D’une grande colère que j’ai voulue créatrice. On n’existe nulle part, et j’ai voulu que ça existe. Tant que les choses n’iront pas comme il faut, je ne pourrai pas décolérer. Je continuerai à avancer avec ma colère, qui n’est pas une colère de violence, mais une colère qui stimule, qui donne naissance à des choses. »
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