Littérature

Evelyne CHICOUT : les ombres du passé

Originaire de Trois-Rivières dans le sud de la Guadeloupe et son look à la garçonne, Evelyne CHICOUT, mère de famille, opte pour la police. Fonctionnaire, elle reste à ce poste 15 ans et devient coach sportive pour une grande enseigne à Paris, ayant réussi à l’examen du brevet d’État d’éducatrice sportive. C’est au cours d’un voyage en Afrique qu’elle prend conscience de son identité plurielle. Du sang caribéen mais aussi asiatique, caucasien et indien se mélangent dans ses veines.

Evelyne CHICOUT se décide un jour à « en parler » avec des mots, elle écrit, et se lance dans la rédaction de livres. Son dernier roman LES OMBRES DU PASSE une vie sous emprise Editions SPINELLE. Dans ce roman, l’auteur partage quelques moments difficiles de sa vie qui ont contribué à l’évolution de celle qu’elle est aujourd’hui. Un récit à la fois personnel, brut et émouvant.

97L : Quels sont les MOTS et les MAUX de votre monologue intérieur dans « Les Ombres du Passé, une vie sous emprise » ?

Les « M.O.T. S » signifie que je traversais une période sombre sans lumières où seule ma destinée me servait de boussole. Et les « M.A.U.X. » étaient l’évidence même que je devais faire le deuil de ma mère qui pourtant était vivante. C’était une douleur viscérale qui ne m’a jamais quitté.

Ainsi, donc, j’ai réalisé bien plus tard que ce que je déplorais chez les femmes dites faibles, c’est-à-dire le fait d’accepter l’inacceptable, n’était qu’une facette de ma personnalité. Oui, j’ai été sous la douce emprise de mon grand-père, personnage charismatique qui provoquait une forte adhésion chez les autres. En vivant avec lui, je n’ai pas eu le choix puisqu’il était pour moi, un tuteur. En revanche, en ce qui concerne mon mari qui invoquait des raisons logiques pour déguiser ses exigences, j’ai été longtemps dans le déni. Mais le sentiment de malaise et de non-liberté qu’il exerçait, a ouvert mes yeux sur le fait que j’étais soumise en ne faisant que sa volonté et non la mienne.

97L : Quelle est l’approche narrative dans la construction votre histoire personnelle, pour créer une réalité sensorielle pour le lecteur ?

Avec le recul, j’ai su faire la distinction entre ce que j’ai vécu, et qui j’étais, tout en étant dans une dimension traumatique. J’ai résisté aux problèmes ce qui m’a permis de percevoir ces épreuves sous un nouvel angle et de les dépasser. Ce récit n’est pas un compte-rendu de ma vie, ce n’est qu’une partie des expériences qui a donné forme à ma vie, à mon identité que j’ai voulu partager avec les lecteurs.

97L : De quelle façon avez compris le monde qui vous entoure dans le parcours de votre vie que vous nommez « DESTIN » ?

Dotée d’une sensibilité excessive, je me suis longtemps réfugiée dans une susceptibilité exagérée. J’ai appris à me moquer de moi-même avec bienveillance et à avoir une lecture plus distancée de mon ego, car il y a des luttes qu’on a perdues d’avance.

97L : La quête identitaire, l’arbre généalogique, l’histoire de l’esclavage, se réapproprier sa propre histoire ?

J’avais l’impression d’avoir été mise de côté, que je ne devais pas connaître mes racines du côté maternel d’origine caucasienne. J’ai fait la connaissance de mon grand-père alors que j’avais sept ans. Celui-ci mourut peu de temps après. En revanche sa mère mon arrière-grand-mère, me traitait de petite négresse en faisant une fixation sur ma couleur de peau beaucoup trop foncée selon elle. Lorsque je jouais au coin du feu, elle me traitait de petite négresse. C’était sa façon de me parler d’amour en espérant que ma carnation s’éclaircisse en grandissant. Malheureusement, elle est partie trop tôt pour se rendre compte. Cependant, je reste fier de mes racines, bien que j’aie voulu mieux les connaître.

Mais j’ai eu la chance de ne pas avoir à chercher du côté paternel, car ma grand-mère qui m’a élevé à tout fait pour que je connaisse sa lignée et je la remercie. En luttant désespérément pour trouver ma place auprès de ma mère, cette quête de reconnaissance s’articulait sûrement en moi à plusieurs niveaux, car mon grand-père qui souffrait de la mise en esclavage de ses ancêtres me transmettait inconsciemment ses souffrances et ses doutes.

97L : La peur, l’angoisse, la douleur enfant dans quel monde imaginaire étiez-vous ?

Mon grand-père n’a jamais été violent physiquement, ma grand-mère n’a jamais été battue. Il buvait assez raisonnablement, mais assez pour le rendre odieux oralement avec son entourage. Á cette époque, on ne parlait pas de violence verbale, d’humiliation chez nous. Il n’empêche que cela favorisait sûrement chez moi des troubles dont je n’étais pas consciente qui s’ajoutaient à la souffrance du manque maternel. ; Je m’évadais en vivant avec ma chienne et mes plantes et quand j’en avais assez, je lisais par obligation et ensuite, j’explorais la nature de long en large durant des heures.

97L : Quelles sont les odeurs de la terre et de la nature que vous avez conservé ?

Depuis, j’ai tissé un lien indélébile avec la nature où j’ai apprise à dénoter tous les tons de vert si nombreux chez nous. Je goûtais également à tous les fruits qui me tombaient sous la main en écoutant les divers cris d’oiseaux. J’étais à la bonne école qui a été un enrichissement pour moi. Aujourd’hui, je ne peux pas vivre loin de la nature.

97L : Avez-vous compris l’éloignement, l’abandon et le manque d’amour de votre mère ? Et lui avez-vous pardonné ?

Ho ! Que oui ! Ma mère ne pouvait pas donner ce qu’elle n’avait pas reçu. Comment peut-on faire ce qu’on n’a jamais appris ou vu ?

Quand mes enfants ont commencé eux aussi à s’éloigner de moi, c’est en m’interrogeant à ce sujet que j’ai compris. J’ai eu l’heureuse opportunité d’en parler avec ma mère à qui j’avais tout pardonné. Pardon, qui par la suite, m’a été salutaire.

97L : Domination masculine, soumise, sous emprise, comment vous êtes-vous construite ou reconstruite pour affirmer votre condition féminine ?

Par suite d’une baisse de libido et d’un désintéressement de la gent masculine, je me suis interrogé afin de comprendre. Il m’a fallu plusieurs échecs pour réaliser que j’avais été victime de traumatismes dont je ne veux pas dévoiler, mais qui étaient suffisamment violents pour m’avoir démoli. Le sport et l’écriture m’ont été d’un grand secours. Par ma transformation physique qui a influencé ma transformation mentale, j’ai pu peu à peu, me reconsidérer en continuant sur le chemin de la transformation.

97L : A l’annonce de votre cancer du sein, avez-vous eu un suivi et un accompagnement psychologique ?

Non ! Je n’ai eu aucun accompagnement. Entretenant une grande foi, je me suis appuyée sur elle et sur moi, en continuant sans cesse à regarder devant moi et non derrière. Je crois que c’était une méthode efficace pour moi, car aujourd’hui, je n’ai toujours pas de suivi.

97L : Peur-on voir l’écriture comme thérapeutique et libératrice ?

Oui, car comme je dis dans ce récit, toutes ces luttes m’ont forgé un caractère qui me permet d’être toujours sur la brèche face aux aléas de la vie. Je n’ai gardé ni rancune, ni haine et je continue à espérer avec foi et enthousiasme. C’est ce qui me porte et permet de saisir le sens de ma vie que j’accepte avec bonheur.

97L : Quel message souhaitez-vous passer pour les enfants face à la violence, les femmes soumises et la maladie ?

Je voudrais dire aux parents de chérir leurs enfants, de les aider à affiner leurs pensées en leur expliquant à l’encontre des enfants à des conséquences sur la santé, le bien-être, et ceci pendant toute la durée de vie que les choses ne sont pas si simples. Qu’on peut être en colère sans être violent.

Je crois qu’on ne naît pas soumise, on le devient face à quelqu’un par peur de le perdre ou par manque d’amour, d’estime de soi, etc. Je voudrais dire aux femmes soumises que très souvent le dominé et le dominant souffre autant. Quand on ne se sent pas bien dans une relation quelle qu’elle soit, on doit s’en aller et tout mettre en œuvre pour stopper celle-ci. A notre époque, on se croit obligé d’atteindre des performances qui malheureusement vont à l’encontre d’une vie harmonieuse. Savoir dire non, c’est une réponse ! Être à l’écoute de son corps qui parle constamment pour nous faire comprendre ses limites. Et avant tout, avoir une hygiène de vie irréprochable, en cultivant la joie quoi qu’il arrive.

 

Propos recueillis par Wanda NICOT

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