« Tout le système esclavagiste repose sur la matrice des femmes noires »
Marie Richeux dans « Le Book Club », club de lecture participatif, sur France Culture, met à l’honneur « Beloved », le roman le plus célèbre de l’autrice américaine et prix Nobel de littérature Toni Morrison, à l’occasion de la parution de sa nouvelle traduction, en compagnie de la traductrice Jakuta Alikavazovic et de l’écrivain Mohamed Mbougar Sarr, prix Goncourt 2021 pour son livre « La plus secrète mémoire des hommes ».
Beloved est le 5ème roman de Toni Morrison paru en 1987. Oeuvre d’un lyrisme puissant, elle y explore les traumatismes de l’esclavage comme peu d’autres livres.
Dans ce roman ayant pour point de départ un fait divers survenu en 1856, Sethe et sa famille vivent avec le fantôme de Beloved depuis des années. Car Sethe a tué sa petite fille de 2 ans — pour que jamais elle ne soit esclave comme elle. Depuis, la guerre de Sécession s’est terminée, et dans son petit bourg de l’Ohio, Sethe a beau être libre, elle reste hantée par son geste. Alors, quand une inconnue qui dit s’appeler Beloved frappe à sa porte, Sethe est plus que jamais ramenée à son passé.
La nouvelle traduction de Jakuta Alikavazovic parue aux éditions Christian Bourgois, donne à entendre toute la polyphonie des voix imaginées par Toni Morrison, et toutes les nuances d’un des plus grands romans de la littérature américaine.
« L’un des triomphes de ce livre, c’est que Toni Morrison vous donne d’emblée toutes les clés, et néanmoins tout arrive comme une surprise. C’est extraordinaire, parce que c’est comme dans la vie : vous avez les éléments, les dates, vous savez ce qui s’est passé, ce qui a été douloureux, vous savez comment vous avez fait avec, comment vous avez mis certaines douleurs sous le tapis, et puis, un jour, de façon imprévisible, le passé revient, et l’émotion ressurgit. Dans le roman de Toni Morrison, ce qui ressurgit, c’est Beloved. »
Mohamed Mbougar Sarr explique : « Toni Morrison est une romancière remarquable, parce qu’on imagine très bien ce que le commun des écrivains aurait pu faire de cette histoire, à savoir de mettre l’épisode de l’infanticide comme horizon absolu dramatique du roman. Au contraire, elle commence par cela, pour laisser le superficiel et aller vers l’expérience. »
… « L’écriture de Toni Morrison est faite d’un échelonnement extraordinaire d’indications symbolistes, floues et cryptées d’événements dont le sens n’apparaît que beaucoup plus tard. Tout cela oblige le lecteur ou la lectrice à rester attentif, mais aussi à faire preuve d’une des plus grandes qualités qui soit dans la lecture, à savoir, la patience. »
Jakuta Alikavazovic estime que : « Cela fait vraiment partie du projet de Toni Morrison de parler de l’esclavage à partir de l’histoire de corps féminins. Ces corps qui ont très peu droit de cité en littérature, et qui sont en réalité la matrice du capital que représente tout le système esclavagiste.
Tout le système repose sur la matrice des femmes noires, et le fait que leur corps et leurs enfants ne leur appartiennent pas. Qu’est-ce que ce système, qui est la base du système esclavagiste, veut réellement dire dans les corps ? Et qu’est-ce que cette connaissance, dans le corps et par le corps, fait à une pensée de la liberté et de l’appartenance ? Ce qui est extraordinaire dans ‘Beloved’, et qui en fait un très grand roman de la liberté, c’est que, d’un seul coup, les corps ne sont plus des faits, ce sont à nouveau des corps et des sensations, et on ne peut pas lire ‘Beloved’ sans ressentir le scandale absolu de l’arrachement de l’enfant à sa mère. »
Pour écouter le poadcast
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-book-club/lire-beloved-de-toni-morrison-avec-jakuta-alikavazovic-et-mohamed-mbougar-sarr-9133236
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