Culture

Christian Lara : « C’est un film antillais donc ça ne va pas être bon »

Le cinéaste Christian Lara s’est éteint en Martinique à 84 ans. Un entretien avec le Basse-Terrien, père de « Chap’la », « Mamito », « Vivre libre ou mourir », « Al », datant de 2011 à l’occasion du cycle Images d’Outre-mer à la Cinématheque française et qui illustre sa volonté de servir son pays à travers l’image.

 

Il n’existait pas de metteur en scène noir

« D’abord il faut que je vous dise que je rêve d’être metteur en scène depuis l’âge de 14 ans et à ce moment là on me rétorquait :  » C’est stupide parce que tu n’y arriveras jamais étant donné que tu es noir ».
En tant que noir issu des Outre-mer puisque je suis guadeloupéen,  il n’existait pas de metteur en scène de couleur à cette époque c’est-à-dire dans les années 70. Il n’y en avait vraiment pas…

Je me suis dit : « Mais ce n’est pas possible ! ». On m’a répondu :  » C’est pas toi de toutes façons qui va le devenir ». J’ai attendu j’ai passé le bac que je n’ai pas eu, je suis devenu journaliste au Figaro et à un moment j’ai décidé que ça suffisait. « Je veux devenir metteur en scène » et j’ai fait mon premier long métrage.

Je suis d’une famille de guadeloupéens qui ont apporté beaucoup à la Guadeloupe. Mon grand-père était le premier historien nègre de la Guadeloupe… Il a récupéré l’histoire de la Guadeloupe et en a fait une relecture. J’ai baigné dans cette atmosphère toute mon enfance…

Après deux longs, j’ai décidé de créer du cinéma de mon pays, de mon île, et là est venue l’idée de Coco la Fleur candidat. C’était assez exceptionnel car il y avait très peu d’acteurs antillais et deux professionnels connus : Greg Germain qu’on avait vu dans  la série Medecins de nuit et Robert Liensol. Je les ai donc contactés. Ils m’ont suivi et l’aventure de Coco a commencé.

La révolution Coco

Nous avons tourné Coco la Fleur en Guadeloupe sans aucune aide et les gens ne nous ont pas pris au sérieux. Ils ne nous ont pas cru. Ils ont dit : « C’est un film antillais donc ça ne va pas être bon ». Et après, une fois terminé, quand j’ai présenté le film au public, il est resté médusé.

J’avais choisi le cinémascope, des comédiens connus en France, Félix Marten, Jean-Jacques Delbois en renfort, mais les deux leaders Coco et son adversaire politique Monbin (Greg Germain) étaient des antillais…

Coco la Fleur c’est un conteur, c’est l’âme du pays, d’une île. Le personnage est interprété par Robert Liensol, un grand comédien malheureusement décédé qui avait quitté la Guadeloupe pour tenter sa chance en France. Et Liensol a complètement habité le personnage. Coco c’est le gars qui n’a pas vraiment été à l’ecole mais a un bon sens populaire. Et le voilà jeté dans le cirque politique pour des élections législatives. On tente de le manipuler mais on ne manipule pas les gens de chez nous… Et il devient une menace… Ibo Simon a vécu le même phénomène…

Avec Coco, ça a été la révolution. On cassait les vitres des salles dans lesquelles était projeté le film car les gens etaient heureux de se voir. C’était absolument génial aux Antilles ou en France. A Paris, il y a eu des queues pendant un an. C’etait extraordinaire ! Les antillais pouvaient enfin se regarder. Pourquoi ? Car le cinéma c’est une vitrine pour mieux se faire connaître et un miroir pour mieux se connaître. Quand un peuple n’a pas d’images, il n’existe pas.

Le cinéma antillais

Pour moi un film antillais c’est un film dans lequel d’abord l’acteur (ou actrice) principal est antillais, deuxièmement est tourné aux Antilles mais c’est accessoire, parlé en créole, au moins partiellement et surtout le metteur en scène doit être antillais. Avec ces quatre principes, on obtient un vrai film antillais.

Un jeune de Guadeloupe de Martinique connaît mieux Los Angeles ou New York que Nice ou Cannes parce qu’il voit les séries américaines constamment donc il connait les rues de San Francisco mieux que les rues de Cannes. L’image est très importante de nos jours. Et c’est pour cela que le cinéma des Outre-mer doit exister au delà de mon propre cinéma. Il doit pouvoir montrer la réalité des gens gens qui y vivent et non le regard d’autres personnes »…

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