Littérature

UN PAYS DE MANGUES ET DE BATAILLES

L’ASCODELA nous transportait dans sa séance du 25 novembre 2016 à la découverte du VENEZUELA avec le tout premier roman de Miguel BONNEFOY. Une présentation dynamique de Joan DEGLAS nous a permis de faire connaissance avec cet auteur, né à Paris d’une mère diplomate vénézuélienne et d’un père chilien. Il a grandi entre la France, Caracas et le Portugal, et a étudié à la Sorbonne.

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 «  LE VOYAGE D’OCTAVIO »* (Editions Payot et Rivages) paru le 7 janvier 2015, est-il une  réappropriation du Venezuela, de son histoire, de ses habitants, de ses coutumes, de ses paysages, par le biais de son héros Octavio ? Ce roman est en effet une quête charnelle, sensorielle, et poétique. C’est aussi une ode d’amour à ce pays qui traverse des moments difficiles.

Le merveilleux côtoie la souffrance

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Notre histoire débute le 20 août 1908. Un bateau en provenance de Trinidad, accoste dans le port de la Guaira, près de Caracas, et amène une épidémie de peste.

Il faudra près d’un demi-siècle pour éradiquer cette dernière.

Dans les ruelles d’un village aux alentours de Caracas, l’effigie du Nazaréen, un saint couvert d’orchidées, soutenue par des mulâtres, est portée en procession. Mais un obstacle imprévu se dresse face à cette foule pleine de ferveur religieuse et de dévotion mystique. Il faut franchir une haie. Un créole y a planté un citronnier robuste dont les fruits se mêlaient au feuillage. «  Je tue le premier qui franchit la haie, avait-il crié. Et je commencerai par celui que vous promenez ». Il tire effectivement. Après la fuite éperdue de nos pèlerins, seule demeure la couronne d’épines accrochée à la haie. Comme une pluie de bubons verts, des centaines de citrons roulent jusqu’au seuil des cabanes.

Miraculeusement, la peste disparaît en un laps de temps assez court, alors que toutes les mesures prophylactiques avaient échoué jusque là. Une église sera alors édifiée sur les lieux du miracle, Saint-Paul du Limon. Je vous laisse savourer le nom attribué à la basilique. Ce passage illustre parfaitement cet étonnant roman, où le merveilleux côtoie la souffrance, et dans lequel l’humour est indissociable du tragique.

La peste a été oubliée depuis longtemps dans l’ancien petit village transformé en bidonville. Et d’ailleurs, quand le citronnier pourrit, lui «  dont l’écorce s’était peuplée de vers comme la ville d’hommes », on l’abat sans remords. Au Venezuela, comme aux Antilles, on paraît peu se soucier de nature et de respect des témoignages du passé.

Mais l’analphabétisme ne représente-t-il pas aussi une peste moderne ?

Octavio, le personnage principal, « habitait une maison d’ardoise, simple et fragile, sur le flanc de la colline. Il n’en possédait aucun titre de propriété ». Parfait illettré, il se fait le plus discret possible.

« De ce monde, il ne prenait que l’oxygène ; au monde, il ne donnait que son silence ». Il n’échange avec les autres que des mots taillés par l’usage et la nécessité.

Il est donc absent de sa propre vie. Car, «  ce n’est pas de vivre dans la misère qui rend misérable, mais de ne pas pouvoir la décrire »

Lors d’une visite du médecin, ce dernier trace sur la table l’ordonnance avec un morceau de charbon, – n’ayant pas trouvé dans l’humble bâtisse de quoi écrire -, et dit à Octavio de la recopier pour la présenter à la pharmacienne.

L’infortuné s’entaille la paume de la main, et après avoir bandé cette dernière, se dirige avec la table vers la pharmacienne, comme Jésus porte sa croix ( l’allusion est claire).

On apprendra que pour éviter de devoir écrire, il s’entaille régulièrement la main, et porte un bandage pour s’excuser de ne pouvoir tenir un stylo. «  Comme lui, son père s’entaillait la main. Il ne pouvait concevoir l’idée de l’encre sans le goût métallique du sang .

Mais alors que la tragédie personnelle d’Octavio culmine à son paroxysme à ce moment précis de l’ouvrage, le lecteur se surprend à sourire malgré lui, car les haltes imposées par l’effort, les demandes insistantes de joueurs de dominos, avec lesquels des parties sont effectuées sur le trajet même, l’aide qu’il apporte à un enfant pour récupérer un ballon sur les toits, la table qui lui sert de protection contre deux chiens galeux, font que bien évidemment les caractères inscrits au charbon sont illisibles quand il arrive à destination.

Faut-il se méfier de l’Amour ?

Son salut, en tout cas, ou tout au moins sa victoire sur l’ignorance, viendra de sa rencontre avec Venezuela. Comédienne atypique, elle est à l’origine de sa renaissance. «  Octavio observa cette femme qui ouvrait son cœur à la froide clarté du sien. Il contempla son nez fin, sa bouche étroite. Il y avait chez elle autant d’élan que de solitude.

« L’écriture, dit-elle, n’a besoin que de quelques traits pour désigner les choses. Elle trempa ses lèvres dans le miel, puis les appliqua sur une feuille de papier vierge. Elles laissèrent l’empreinte de deux arcs ambrés. «  Voilà comment on écrit le mot baiser ».

Chez Venezuela, l’attention d’Octavio est attirée par un pétroglyphe, une longue tablette en pierre où figurent d’étranges signes qui ressemblent à des reptiles, des crocodiles ou d’autres animaux, des cercles parfaitement tracés, dont certains étaient isolés et d’autres reliés par une spirale.

Dans ce désordre de pierre, il voyait le tissu humain de son bidonville, comme un monde qui vient de naître que le néant précède.

Il s’éveille à la culture.

« Il tomba par hasard sur une allégorie de la littérature et découvrit qu’on la représentait comme une grande dame drapée de soieries, muette et blanche, une lyre à la main devant une assemblée de marbre. La littérature ne pouvait pas ressembler à cette image éloignée des femmes. La littérature devait tenir la plume comme une épée. Elle devait avoir les cheveux détachés, de l’héroïsme et des déchirures, une machette à la ceinture ».

La rencontre improbable de ces deux êtres meurtris par la vie repose toutefois sur un mensonge initial. Octavio fait partie d’une bande de voleurs. Leur repaire est d’ailleurs l’ancienne église délabrée de Saint-Paul du Limon. Ils y amassent leur butin, sous la conduite de Guerra, chef  assurément chevaleresque et lettré, mais qui l’aura fait passer du  « côté obscur de la Force ».

petroglyphe

Car lorsqu’Octavio sera désigné pour dérober le pétroglyphe, et qu’il sera tenu en joue par l’indomptable Venezuela, qui ne peut le reconnaître en pleine nuit, il prononcera ces mots, conscient de son naufrage « Voilà comment se conjugue le verbe voler ».

La brièveté de la relation entre les deux personnages est peut-être une des seules faiblesses potentielles de cette fable, écrite dans une langue pure mais non académique. On aurait aimé plonger  un peu plus dans l’intimité de la Belle et la Bête, et que l’écrivain nous peigne des tableaux de l’idylle, d’autant plus que la confrérie des voleurs par exemple est minutieusement décrite. Le lecteur éprouvera à coup sûr un petit pincement au cœur en abandonnant aussi vite Venezuela, pour s’enfoncer avec l’ancien analphabète dans le pays aux végétations multiples, et l’accompagner dans ses diverses rencontres.

 « Qu’est-ce qu’un pays, sinon un récit ? », nous confiait le journaliste Philippe-Jean Catinchi dans Le Monde des Livres du 12 février 2015. L’histoire d’Octavio qui part à la recherche de «  ce pays de mangues et de batailles » nous émeut particulièrement, nous autres caribéens. Nous ressentons une proximité évidente avec les fruits, les fleurs, les femmes et les hommes. Quelques mots également pour indiquer, s ‘agissant de la structure du récit, qu’on ne peut que penser à Gabriel Garcia Marquez, que Miguel Bonnefoy cite comme le plus grand écrivain contemporain, parce qu’il a juxtaposé les cadres historiques et littéraires en mêlant le vraisemblable et l’irrationnel.

*Finaliste du Prix Goncourt du premier roman, Prix Edmée de la Rochefoucauld, Prix l’île aux livres, Prix Fénéon, Prix de la Vocation 2015 et mention spéciale du Jury au Prix des cinq continents

 

Daniel C.

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