Serge Larcher récuse l’idée d’un groupe de l’outre-mer à l’Assemblée Nationale
Un groupe de l’outre-mer ? Ne tournons pas le dos à la République !
Mon collègue et ami, le sénateur de Guyane Georges Patient, défend depuis quelques jours l’idée de la création d’un groupe parlementaire des outre-mer au Sénat et à l’Assemblée. Le projet semble susciter l’intérêt de nombreux collègues élus. Je souhaite exprimer ici quelques réserves sur ce qui me semble être une « fausse bonne idée », séduisante en apparence, dangereuse en réalité… par les risques de « ghettoïsation » des outre-mer qu’elle recèle.
Le point de départ est la très large majorité obtenue par La République en marche au sein de l’Assemblée nationale élue ce 18 juin 2017. J’entends et je partage l’inquiétude des élus ultramarins de ne pas être suffisamment audibles au sein d’une assemblée quelque peu « monolithique ». Pour autant, la solution préconisée me paraît inappropriée pour plusieurs raisons.
En premier lieu, la création d’un groupe de l’outre-mer entre en conflit avec un principe fondamental de notre République : l’indivisibilité de la souveraineté nationale. Ce principe constitutionnel se décline aux articles 23 du Règlement de l’Assemblée nationale et 5 du Règlement du Sénat en vertu desquels « Est interdite la constitution, (…) de groupes de défense d’intérêts particuliers, locaux ou professionnels (…) ».
Ma seconde réserve procède de la réalité de nos territoires. Pendant des années nous nous sommes battus pour faire reconnaître et comprendre l’existence DES outre-mer et non DE l’outre-mer. Nos diversités sont à la fois historiques, statutaires, géographiques, économiques, sociales et culturelles. Vouloir constituer un groupe parlementaire ultramarin, c’est gommer, aux yeux de ceux qui méconnaissent nos territoires, cette diversité, celle que nous cherchons à faire valoir depuis si longtemps afin que ces spécificités soient effectivement prises en compte dans les politiques publiques. D’un point de vue simplement pragmatique, un groupe parlementaire ne peut fonctionner efficacement que si le « corpus idéologique » unissant ses membres est cohérent. Or, la seule appartenance à l’outremer ne fonde pas une identité politique. Comment pourrait fonctionner un tel groupe s’il devait rassembler des parlementaires d’inspiration ultra-libérale, des socialistes, des régionalistes ou encore des élus du Front national… ? En réalité, quoique mon ami Patient s’en défende, ces groupes parlementaires ultramarins seraient par essence même des groupes d’inspiration « communautariste ». Toute formule d’ordre « organique » de cantonnement de nos outre-mer marquerait un repli, constituerait une régression.
Porter la voix des outre-mer passe par d’autres formules, moins spectaculaires et plus exigeantes. Certes, les outre-mer ne sont pas encore suffisamment entendus au sein du Parlement, mais également par le Gouvernement et dans de nombreuses autres instances nationales.
Pourtant, les avancées sont indéniables ; en particulier, des lois importantes ont été votées au cours des dernières années, dont certaines n’ont pas encore donné leur pleine mesure. D’autres voient leur application bloquée par des administrations centrales peu diligentes et souvent ignorantes des réalités des outre-mer… je pense en particulier au Bureau des agréments de la Direction générale des finances publiques.
Au sein de nos assemblées parlementaires, la création de délégations aux outre-mer, dont l’existence vient d’être « gravée dans le marbre législatif » par l’article 99 de la loi d’orientation sur l’égalité réelle, a donné une nouvelle visibilité à nos territoires. Le Sénat a d’ailleurs été précurseur en créant le premier une telle délégation dès 2011. Celle-ci développe un travail de contrôle considérable et, sans interférer dans le processus législatif, pré-carré exclusif des commissions, inspire des amendements qui sont le fruit de travaux d’étude approfondis ! Institutionnaliser un lien organique entre la délégation et les différentes commissions permettrait sans doute d’améliorer encore la prise en compte des problématiques ultramarines. Je rappelle enfin que, d’un point de vue historique, le premier des outils de reconnaissance et de promotion des spécificités ultramarines a été l’inter-groupe parlementaire de l’outre-mer.
Mon ami et collègue Georges Patient, qui le préside depuis bientôt trois années, a tenté, avec un succès mitigé, de revivifier le fonctionnement de cette association loi 1901 qui devait permettre aux députés, sénateurs et députés européens des outre-mer de se concerter pour porter des messages communs. Les outils existent donc, encore faut-il les utiliser : cela suppose un engagement sans faille des élus des outre-mer mais aussi de leurs collègues de l’Hexagone. Ayant eu l’honneur de présider la Délégation sénatoriale aux outre-mer pendant les trois années consécutives à sa création, je puis témoigner de l’implication, et même de l’enthousiasme de certains de ces collègues prenant conscience de la chance que nos territoires représentent pour la France ! La promotion des intérêts de nos outre-mer dans le cadre parlementaire nécessite une réelle assiduité, non seulement en séance publique mais également en commission et en délégation, une assiduité active mais aussi l’implication directe des élus ultramarins dans des dossiers concernant l’ensemble de nos concitoyens et pas les seuls ultramarins. Ce sont ces regards croisés et cette connaissance mutuelle, ces engagements réciproques qui feront de nos territoires des morceaux de France « à part entière » et non « entièrement à part ».
Je ne veux pas d’un groupe parlementaire en forme de caisse de résonance qui reviendrait à marginaliser, à ghettoïser nos outre-mer… pour finir par sonner creux ! Je ne veux pas d’un groupe des outre-mer qui serait nécessairement « entièrement à part ».
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