Culture

Asseyez-vous aux côtés de Claudette Colvin au Centre Pompidou

Le 2 mars 1955, la jeune Claudette Colvin, âgée de 15 ans, refuse de laisser sa place à une passagère blanche dans un bus. Aujourd’hui, on a oublié le nom de Claudette Colvin. En revanche, on aura retenu celui de Rosa Parks, qui fait la même chose quelques mois plus tard et qui est choisie, elle, pour incarner la lutte pour les droits civiques aux côtés de Martin Luther King.

Mais alors, pourquoi Claudette Colvin n’est pas devenue, comme Rosa Parks, une grande héroïne des droits civiques ? Pourquoi n’a-t-elle pas été choisie ?

Ces questions, Tania de Montaigne les pose d’abord dans un livre aux éditions
Grasset en 2015. Ce livre est adapté en pièce de théâtre par Stéphane Foenkinos et
Pierre-Alain Giraud en 2021. Puis, il devient une installation immersive inaugurée au Centre Pompidou en 2023…

Tania de Montaigne : « Noire appartient à une collection des éditions Grasset qui s’appelle « Nos héroïnes ».

… J’ai entrepris des recherches sur le bus qui est pour moi le plus emblématique : celui de Rosa Parks. J’ai alors trouvé deux lignes qui disaient : « Il y a une adolescente qui aurait pu être Rosa Parks, mais qui ne l’a pas été parce qu’elle était enceinte de son amant blanc ». On décrivait cette adolescente comme étant extravertie, parlant fort et buvant. J’avais noté tout cela en me faisant la remarque que je n’avais jamais entendu parler de cette adolescente, Claudette Colvin…

Tout commence comme ça. Je me suis aperçue que Claudette Colvin était encore en vie, donc mon premier réflexe a été de la contacter mais elle ne souhaitait pas parler.

Ma deuxième option a été de contacter son avocat de l’époque, Fred Gray, qui n’avait que 24 ans quand il a défendu l’adolescente. Mais Fred Gray non plus ne voulait pas s’exprimer….

J’ai alors entrepris un vaste travail de recherche bibliographique, en commençant par l’autobiographie de Rosa Parks. Elle disait peu de choses de Claudette Colvin mais évoquait Jo Ann Gibson Robinson qui a joué un rôle clef dans le boycott des bus de Montgomery par les Noirs.

Jo Ann Robinson a aussi écrit une autobiographie, dans laquelle elle parle longuement de Claudette Colvin. Elle affirme le contraire des trois lignes qui sont à l’origine de mes recherches. Elle dit que Colvin n’était pas du tout spectaculaire ni tapageuse.
J’ai alors compris que le livre allait avoir plusieurs axes…

À ce moment-là, j’avais des livres et des notes partout. J’ai découvert que si on n’avait pas retenu le nom de Claudette Colvin, c’était parce qu’elle était enceinte à ce moment-là. Mais je me suis rendu compte que cet argument ne tenait pas avec les dates : soit elle était enceinte depuis 18 mois au moment de son geste, ce qui est impossible, soit elle n’était pas du tout enceinte…

Je me suis rendue compte que de la même façon, ce qu’on a dit de Rosa Parks, c’est qu’elle sortait du travail, qu’elle était fatiguée, qu’elle avait mal aux pieds et que c’est pour ça qu’elle ne s’est pas levée dans le bus, alors même que Rosa Parks était déjà une militante très radicale. Ça faisait 20 ans qu’elle luttait contre les discriminations et si elle ne s’est pas levée ce jour-là, c’était par choix !

… Pourquoi choisir tel représentant pour en faire un héros ? Que dit-on à son sujet ? Si c’est une femme, qu’est ce qui est dit ? Comment les femmes se mettent-elles en retrait ?

Le fait que Claudette Colvin ait 15 ans au moment où elle agit permet qu’aujourd’hui des enfants, des lycéens ou collégiens qui lisent le livre puissent s’identifier en se disant qu’il n’y a pas besoin d’être connu pour être un véritable citoyen.
Il y a besoin, en revanche, d’avoir une conviction très forte de ce qu’est la justice et de tenir cet engagement sur le long terme. Fabriquer une lutte, c’est soutenir que chacun peut apporter sa pierre à l’édifice et que c’est pour ça que quelque chose se produit…

..  Je rencontre souvent des gens qui me donnent toute leur compassion parce que selon eux, ça n’a pas l’air facile d’être noir. Et je me rends compte que ces personnes sont bien contentes de ne pas être concernées. Mais alors, on perd de vue le sujet, qui n’est pas de savoir si c’est facile d’être noir. Le vrai sujet est de savoir si les droits de chacun sont respectés ou pas…

Là, maintenant, vous êtes dans ce bus. Vous avez dû faire comme Claudette Colvin, acheter votre ticket d’un côté, monter par l’autre côté. Vous avez dû vous lever pour laisser la place à des gens sur le seul critère qu’ils étaient blancs. Vous avez fait tout ça. Pour comprendre la force de son acte, il faut faire ce chemin avec Claudette Colvin.

Quand l’événement a lieu, on est à ses côtés, on est dans l’ambiance. On va pouvoir l’accompagner dans son trajet et comprendre le geste de cette adolescente de 15 ans qui va intenter un procès à la ville et qui, malgré les violences, va aller jusqu’à la Cour suprême.

Si chacun se pose la question de ses droits et trouve le courage que Claudette Colvin a eu, on pourrait aller beaucoup plus loin. Parce que chacun pense qu’il ne doit intervenir que sur le périmètre dont il se croit propriétaire ou se sent légitime.

Mais il n’est pas question de ça avec la citoyenneté, car cela nous concerne tous. Alors, foncez ! »

 

Écriture et réalisation : Clara Gouraud, Delphine Coffin
Mixage : Léo Chardon
Habillage musical : Sixième son

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1 Comment

  1. Murielle
    mai 10, 2023 at 11:19 — Répondre

    Bonjour

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