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TORTUREZ-LES ET TUEZ-LES !

Ce premier volet de notre enquête s’articulera autour des Bahamas et de la République Dominicaine, qui se sont illustrées au cours de l’année 2015, par des déclarations particulièrement outrancières et xénophobes d’hommes politiques à l’égard de la population haïtienne.

Mais nous avons tenu aussi à pointer du doigt nos propres turpitudes. Notre prochaine chronique nous replongera dans un passé récent peu glorieux pour les départements français.

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Arrestation d’haïtiens aux Bahamas @Telenoticia

 

Quand allons-nous refuser le poncif du génocide impensable aux Caraïbes ? Savez-vous que 20 000 haïtiens, hommes, femmes et enfants furent exterminés pour la plupart à la machette par leurs « voisins » de la République Dominicaine ?

L’histoire pourrait s’intituler : Des îles paradisiaques au rouge sang. Ce qu’on nomme « l’abîme génocidaire» nous oblige à prendre notre distance avec les mots eux-mêmes véhiculés aux Bahamas et en République Dominicaine à l’égard des Haïtiens.

RACISME AUX BAHAMAS

Wayne MUNROE, un député des îles Bahamas, a tenu les déclarations reproduites ci-après sur les immigrants de son pays dans les colonnes du journal « The Tribune »  le lundi 7 décembre 2015.

Wayne Monroe

Wayne Munroe

Sur sa page Facebook et dans les médias, le parlementaire a demandé à son gouvernement de torturer et de tuer les Haïtiens illégaux, se trouvant sur le sol des Bahamas.

«Si les immigrants illégaux, particulièrement les Haïtiens, savaient que nous allions les torturer et les tuer, ils ne viendraient pas »  a déclaré le député qui ajoute «Flageller les gens peut paraître brutal, mais ça va servir comme barrière physique et  psychologique pour que les gens cessent d’entrer au pays illégalement».

On nous alerte de toutes parts sur les menaces terribles qui pèsent sur notre Terre, sur l’imagination sans bornes dont font preuve les hommes dans l’horreur et dans l’inhumanité.

S’il est vrai que pas moins de 64 793 personnes, soit 18 % de la population bahamienne, sont des immigrants, et qu’entre 20 et 50 000 haïtiens vivent sur le territoire bahamien selon les chiffres rendus publics par l’Organisation internationale de la migration, est-il besoin d’en rajouter dans la provocation et l’appel au meurtre ?

« Pour vivre, les hommes ont besoin de donner du sens à leur vie. Pour tuer, il en est de même».

Que nous dit Jacques Sémelin dans «  Purifier et détruire » Usages politiques des massacres et génocides (coll La couleur des idées Paris Le Seuil 2005) ? Dans tous les cas, le projet de génocide s’appuie sur des travaux d’ « intellectuels ».

Alfred Rosenberg pour l’Allemagne Nazie, les romans du serbe Cosic pour la Serbie, les publications du rwandais Kayibanda au Rwanda. Notre avocat et député Wayne Munroe aux Bahamas ?

Dans les fantasmes destructeurs, c’est l’idée de défense territoriale et d’épuration qui mobilise les individus.

Les thèmes de l’identité, de la pureté et de la sécurité sont abondamment relayés. Il s’agit d’exclure un ennemi souvent bestialisé. La tentation génocidaire est résumée dans cette formule : Détruire le «eux» pour sauver le  « nous ». Les génocidaires veulent détruire pour soumettre une population, ou détruire pour éradiquer un groupe humain.

Les rapines qui accompagnent ces génocides sont effectuées avec des variantes.

Dans l’Allemagne nazie, le pillage des biens a été organisé d’en haut, tandis qu’au Rwanda les paysans ont laissé libre-cours à leur désir de s’emparer des biens de leurs ennemis.

La passivité de la « communauté internationale »

Même si l’information circule vite, une fois le choc initial passé, les réactions officielles sont freinées par le principe de souveraineté de l’Etat.

L’ONU ne fit rien au Rwanda malgré les signaux d’alerte du général Dallare à la tête de la MINUAR. Le massacre de Srebrenica s’est déroulé du 13 au 15 juillet 1995 « en direct » sous les yeux des Casques bleus néerlandais (8000 bosniaques furent assassinés par les troupes serbes de Mladic).

Le souvenir de massacres passés

Car dans les génocides, l’histoire des massacres passés joue. Le Rwanda des années 1959-1961 avait été marqué par des massacres de Tutsi.

En 1972, une insurrection hutu provoqua une riposte immédiate et affolante. En deux mois, l’armée soutenue par les Jeunesses Révolutionnaires Rwagasore extermina les élites hutu y compris les étudiants de l’université de Bujumbura;  100 000 hutus furent massacrés.

Ce dernier élément (espérons-le) parait manquer pour un désastre génocidaire aux Bahamas à l’égard d’haïtiens. Il n’en est pas de même pour la République Dominicaine.

RACISME EN REPUBLIQUE DOMINICAINE

Dans un article édifiant (et malheureusement toujours d’actualité) du 21/01/2009, Courrier International titrait : » Haïti-République Dominicaine : En finir avec les chasses à l’homme ».

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On pouvait lire : « Il ne se passe pas un mois sans que des haïtiens trouvent la mort dans les régions frontalières. Les événements ont dégénéré au point de se transformer en véritable chasse à l’homme.

Récemment, environ 300 Haïtiens, poursuivis par une meute de Dominicains avides de vengeance après la mort d’un des leurs, ont dû se réfugier dans un campement militaire.

La situation est telle qu’elle peut déboucher dur une catastrophe – pour ne pas dire – un massacre ethnique. Evidemment les deux gouvernements jouent la politique de l’autruche, en espérant que la situation ne débordera pas.

Et pourtant si une telle monstruosité se produit, il ne faudrait pas dire que nous n’avions pas été prévenus.

Mettez-vous à la place du paysan dominicain, un être frustre aussi pauvre que l’haïtien auquel il s’attaque. Que voit-il ? Des vagues successives d’habitants du pays voisin qui franchissent continuellement et illégalement la frontière de son pays, n’ayant pour bagage que leurs haillons et leur misère.

Qu’entend-il ? Rien qui le porte à un esprit de charité et de compréhension mais, au contraire, les vociférations d’une ultra-droite et qui se sert de l’anti-haïtianisme le plus primaire comme cheval de bataille.

Pour couronner le tout, l’Etat haïtien ne fait rien pour protéger ses ressortissants, les abandonnant à leur triste sort, comme le lui reprochent depuis des années des organisations nationales et internationales ».

Haïtienne tuée en République Dominicaine

Haïtienne tuée en République Dominicaine

Il semble que la situation n’a fait qu’empirer. Pour éviter d’être expulsés manu militari, des résidents haïtiens ont quitté précipitamment la République dominicaine. En effet, la République dominicaine a décidé d’appliquer des mesures d’expulsion aux immigrés haïtiens, y compris aux citoyens dominicains nés de parents ou de grands-parents haïtiens.

Quelques 500 000 haïtiens ont été visés par ce plan qui a provoqué une vague d’indignation internationale.

En reprenant méthodiquement les éléments de la genèse génocidaire, tels que Jacques Sémelin les a explicités, nous avons :

– l’idéologie raciste anti-haïtienne mise sur pied depuis le régime de terreur du dictateur Trujillo avec l’appui d’ intellectuels dominicains

– les écrits quotidiens et les appels aux meurtres des responsables de la République dominicaine   à l’égard de la communauté haïtienne, avec le silence complice ou tout au moins complaisant de leurs élites

– un discours qui pousse le dominicain  à ne pas considérer le travailleur haïtien comme un être humain et à vouloir nettoyer ethniquement la République Dominicaine.

– l’exclusion sociale et spatiale d’une population noire majoritairement reléguée aux strates les plus basses du monde du travail (journaliers, ouvriers et employés)

– la spoliation des biens des haïtiens expulsés devenus apatrides

– une communauté internationale quasi-muette

Vous nous direz qu’il manque le dernier point, à savoir des massacres antérieurs.

 

LE MASSACRE DES HAITIENS EN 1937

massacre

Or, le massacre des Haïtiens en 1937, aussi connu sous le nom de massacre du Persil, est un ensemble de meurtres perpétrés en octobre 1937, après la décision du président de la République dominicaine, Trujillo, d’éliminer physiquement les Haïtiens travaillant dans les plantations du pays.

Ce massacre est surnommé en langue créole (KOUTO-A  le couteau et en espagnol EL CORTE (la coupe)).

20 000 Haïtiens furent tués.

Durant des dizaines d’années, pendant lesquelles un grand nombre d’Haïtiens travaillèrent dans les champs de canne à sucre, au profit des compagnies sucrières américano-dominicaines, la xénophobie se développa à un point extrême jusqu’au jour où le président Trujillo déclara qu’il fallait régler ce problème et l’ordre de mise à mort fut donné.

Dans la nuit du 2 octobre 1937 s’organise un massacre à la machette qui va faire plusieurs milliers de morts.

Le président Trujillo déclara : «Pour les Dominicains qui se plaignaient des déprédations commises par les Haïtiens qui vivent parmi eux, les vols de bétail, des provisions, fruits, etc…, et sont ainsi empêchés de jouir en paix des fruits de leur travail, j’ai répondu «  Je vais corriger cela ; Et nous avons commencé à remédier à la situation ».

Le chiffre conventionnel donné en République dominicaine est de 17 000 tués (l’historien Saez , selon ses recherches parues en 1988 va jusqu’à 20 000 ).

Cette opération a été appelée l’Opération Perijil’ (persil en espagnol ) un mot présumé difficile à prononcer- à cause de la lettre « r » – pour les Haïtiens sans trahir leurs origines. Ceux qui échouent seront tués, par armes blanches, pour éviter de donner l’alerte aux communautés haïtiennes voisines, qui sont alors exterminées à leur tour !

Le 5 octobre, l’armée dominicaine ferme les postes-frontières pour empêcher les Haïtiens de s’échapper, et pouvoir tuer le plus grand nombre d’haïtiens.

En janvier 1938, le gouvernement de la République Dominicaine accepta de payer une indemnité de 750 000 dollars (525 000 dollars furent versés), mais refusa de reconnaître toute responsabilité.

Trujillo

Après le massacre, Trujillo propose aux juifs fuyant les nazis de s’installer en République Dominicaine afin de « blanchir » la population

Les historiens sont d’accord pourtant sur le fait que le massacre a été une action calculée pour homogénéiser la population dans cette zone frontalière, et détruire cet embryon de « république haïtienne », conséquence de l’importance de l’immigration haïtienne.

Peu après les tueries continuèrent dans les six premiers mois de 1938, quand plusieurs centaines de haïtiens sont tués (plusieurs milliers selon l’historien dominicain Juan Manuel Garcia, 1983 ).

La majorité des Haïtiens tués, lors de cette semaine sanglante, était née en République dominicaine.

Les massacres d’haïtiens ont toujours lieu en République Dominicaine. En 2015, la presse a fait état d’hommes lynchés comme Claude Tulile Jean Harry retrouvé mort après avoir été battu et pendu dans un parc public.

Le journal Courrier International du 21/01/2009, nous livrait l’effroyable histoire aux Bahamas d’un citoyen voulant tromper sa compagnie d’assurances qui ne trouva rien de mieux que d’assassiner un immigrant illégal haïtien, dont il plaça ensuite le corps dans sa voiture. Puis il mit le feu à celle-ci. Ensuite sa femme alla collecter l’assurance avec l’acte de décès de son mari qui, bien vivant, se cachait quelque part. Mais la compagnie d’assurances découvrit le pot aux roses. L’homme arrêté, avoua son horrible forfait : le meurtre de cet haïtien illégal.

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Théo LESCRUTATEUR

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