Société

LÉGENDES PORTUAIRES ET GOUVERNANCE DE LA POSTURE

Lundi 26 juin,  le conseil de surveillance du Grand port de la Martinique devait élire un nouveau président choisi par les 17 membres du conseil. Le président sortant Philippe Jock  a été réélu, récoltant 7 voix. Didier Laguerre, maire de Fort-de-France et le candidat de Serge Letchimy n’a obtenu que 5 bulletins et 4 absentions pour 16 votants.

Le président du conseil exécutif de la Collectivité territoriale de Martinique dans un courrier au ministre des Outre-mer a tenu à exprimer son mécontentement. Francis Carole, président du Palima, Parti pour la libération de la Martinique, lui répond.

@extraits du courrier de Serge Letchimy au ministre

 

Nous avons, depuis longtemps, dénoncé la stratégie PPM d’accaparement de tous les centres de décision de la Martinique. La tragi-comédie de l’élection du président du conseil de surveillance du Grand Port Maritime de Martinique confirme la prégnance d’une gouvernance du mensonge permanent, de l’esbroufe et de la gesticulation verbale pseudo-nationaliste (à laquelle, d’ailleurs, certains semblent très sensibles).

Cette dernière déviance se manifeste par le type de bouffées délirantes qui avaient, par exemple, conduit le président du conseil exécutif, en novembre 2022, à demander à l’Etat le déplacement du ministère des outre-mer au motif que c’était le site du ministère des colonies. Qu’est donc le ministère des « outre-mer » si ce n’est un ministère des colonies ?

Ces embardées politico-idéologiques rocambolesques dissimulent mal, quant au fond, une complicité bien réelle avec le pouvoir colonial et une manière de docilité face aux diktats de celui-ci.

Ainsi, dès son arrivée à la tête de la CTM en 2021, Serge Letchimy s’était empressé d’obéir aux ordres du préfet qui exigeait (et a obtenu) que le GIP Titrement, pourtant créé par la CTM et majoritairement financé par elle durant la mandature précédente, soit dirigé par une personnalité qualifiée et non par un élu, comme prévu par les statuts.

ÉCHOUAGE D’UN PETIT ARRANGEMENT EN COLONIE

Contrairement aux accusations du président du PPM selon lesquelles l’État aurait « choisi le président » du conseil de surveillance du Grand Port, tout concourt à prouver que c’est lui qui avait combiné des arrangements avec le ministre délégué à l’outre mer, Jean-François Carenco, et les békés, pour faire main basse sur le port, en quémandant, anba fèy, l’appui des représentants de l’État. Il l’avoue lui-même à travers les reproches qu’il adresse au gouvernement de ne pas avoir « tenu sa parole » et d’avoir laissé ses quatre représentants s’abstenir.

Les pressions exercées par Bernard Hayot, le matin même du vote, sur le président de la CCIM pour le contraindre à se désister au profit du maire de la capitale -démarche impossible à imaginer sans l’accord explicite du président du conseil exécutif et de son candidat- viennent confirmer les manigances organisées par la bande des trois (Serge Letchimy, Jean-François Carenco et Bernard Hayot). Cet épisode montre d’autre part comment s’opère le commerce d’influence et de rapine en Martinique ainsi que l’omniprésence des békés que Letchimy, suivant ses intérêts du jour, fustige ou flatte. « Je te donne ça, tu me donnes ça. C’est bon comme ça. », chantait déjà la Maafia de Jean-Michel Cabrimol.

LA PRIVATISATION DU PORT EN RIDEAU DE FUMÉE

Ces accusations contre l’adversaire n’étant pas suffisantes, il fallait créer un autre rideau de fumée pour faire plus vrai que vrai et densifier « l’argumentaire » de la manipulation.

« Je ne veux pas qu’on privatise le port de Fort-de-France”, lance à l’encan Letchimy. Fort bien ! Mais pourquoi ne pas l’avoir dénoncé avant ces élections, alors que la CTM siège au conseil de surveillance et au conseil de développement du Grand Port Maritime ? C’est donc le dépit qui alimente ce cafardage, d’autant qu’aucun élément factuel ne vient y apporter un début de confirmation : ni les travaux du conseil de surveillance auquel participe la CTM, ni un projet gouvernemental connu, ni un vœu exprimé par le secteur économique…

Le DISCOURS VENTRIPOTENT SUR LA « VISION STRATÉGIQUE »

En dernier lieu, vient le discours ventripotent qui prétend caresser les hautes cimes de la réflexion économique et de la pensée politique. Il faut donner l’impression que l’on a une « vision » du futur, une « ambition stratégique » pour une « nouvelle dynamique de développement » du port. Des mots.

La danse du paon qui ne séduit que le paon lui-même… et sa cour… peut-être. Et on gonfle. On « crapeaude ». Et on se lance dans un assourdissant feu d’artifice de fausses expertises : « le transbordement qui détruit l’économie locale », « l’esprit de monoculture », « l’arrogance coloniale » et j’en passe. Des mots. An djigidi Adan an bonm fè blan.

Tout cela, en définitive, est « comique et laid ». Surtout « comique ». Et « laid » quand même…

DES DECENNIES D’INCOHÉRENCES QUI ONT DESSERVI LA MARTINIQUE

Or, derrière ce cirque pour idiots, il y a la réalité -têtue comme toujours- qui témoigne des incohérences politiques et des actes manqués du président du conseil exécutif, au fil de sa carrière politique et au détriment des intérêts de notre pays.

En effet, le 15 décembre 2011, au moment du débat parlementaire sur « la réforme
des ports de l’outre-mer relevant de l’Etat », le député Alfred Marie-Jeanne, dénonçant la volonté de « main mise de l’État sur les ports » de nos pays, réclamait « le réinvestissement sur place des dividendes attendues » des activités portuaires et mettait déjà l’accent sur le rôle du port en économie dominée et sur les déséquilibres de notre modèle économique : « Nous n’avons pas besoin d’un port-import », affirmait-il. En effet, 70% des marchandises qui transitent par notre port relèvent de l’importation ! Un « port-import » d’une économie de comptoir !

S’appuyant sur l’article 30 de la loi du 13 août 2004 qui permettait, jusqu’au premier janvier 2006, de « demander les compétences prévues par la loi » en la matière, AMJ avait fait voter, à l’unanimité, quelques années avant son discours à l’Assemblée française, une délibération au conseil régional allant dans ce sens.

Malheureusement, c’est celui qui aujourd’hui dénonce « l’arrogance coloniale » et la nécessité d’une « ambition stratégique pour le port » qui s’était, sans vergogne, acoquiné avec le pouvoir colonial pour torpiller cette initiative courageuse, conforme aux intérêts de notre pays et de notre peuple.

Alors, plutôt que de manipuler, de menacer et de faire du chantage avec l’argent des Martiniquais, le président du conseil exécutif devrait faire son acte de contrition et s’excuser auprès de la population pour avoir, systématiquement, pendant des décennies, freiné ou sabordé toutes les initiatives qui participaient du progrès de notre pays mais qui n’étaient pas portées par lui : évolution institutionnelle, transports routiers, port…

Quel gâchis pour la Martinique à cause d’un ego qui est pathologiquement persuadé que tout ce qui ne vient pas de lui est, par nature, mauvais !

Ses « makakri » et son obsession de main mise totale sur la Martinique ne feront pas avancer le pays d’un seul centimètre et risquent de nous condamner à stagner dans le marigot du mal-développement. Le port comme l’aéroport constituent à l’évidence des outils économiques qui doivent s’inscrire dans la cohérence d’une stratégie de développement national martiniquais. Cela ne se décrète pas lors d’une polémique à l’occasion d’une élection. Cela se pense avec rigueur et cela se construit dans le temps.

 

Francis CAROLE
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