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Le sanglot de l’homme blanc et le vaccin aux Antilles

Les antillais manifestant en novembre 2021 contre la politique vaccinale, auraient voulu adresser à l’état français un message idéologique produit dans un contexte d’humiliation, pourquoi pas ? Mais comment l’écrasant sentiment de victimisation a-t-il touché jusqu’aux « bourreaux » ?

La presse nationale et internationale a repris les arguments victimaires, alors que dans les Etats de la Caraïbe (Cuba en est l’exemple choc),  ou les gouvernements autonomes de Nouvelle-Calédonie ou de Polynésie, tout tendait à démontrer que les leaders au pouvoir, et ayant en mains le destin de leurs territoires, se sont affranchis de toutes circonvolutions idéologiques. 

Qu’ont représenté l’humiliation, et l’identité victimaire dans le cadre précis de la vaccination en Guadeloupe et Martinique ?

L’humiliation, selon les auteurs, revêt une pluralité de significations qui se recoupent. Généralement, elle désigne ce sentiment de mortification qui fait se sentir profondément impuissant, suscitant « une réaction émotionnelle de forte intensité devant une situation de rabaissement sous le regard d’autrui » (Elison & Harter, 2007). Plus littéralement, à partir du radical latin humiliare, l’humiliation renvoie à l’expérience d’avoir été « insulté par un autre plus puissant que soi » (Trumbull, 2008). Seraient-ce les Macron, Castex, Véran ?

L’un des mobiles les plus puissants de la violence tient à la manière dont un groupe présente et interprète ses expériences d’humiliation, que ses chefs maintiennent à vif et amplifient. Heinz Kohut (1985) considérait que de tels processus font partie des élaborations complexes de ce qu’il appelait le Soi groupal.

Varvin (2005) a exploré le lien entre humiliation et identité victimaire dans un contexte politique, et la manière dont, parfois, les chefs « exploitent cette situation, souvent bien au-delà des limites du raisonnable ». 

Il faut remarquer que de tels chefs tendent fréquemment à présenter une mentalité paranoïaque, comme le souligne une partie de la littérature traitant de la relation entre humiliation et paranoïa ou haine paranoïde (Blum de 1981 ; Böhm, 2006 ; McWilliams, 2010).

Il existe bien des manières d’appartenir à un groupe ; mais lorsque le credod’un groupe penche vers la violence et la destruction des ennemis, c’est fréquemment un sentiment d’humiliation qui mène à la rage et à une réponse explosive disproportionnée. Nous appellerons humiliation construitel’acte de requalifier une humiliation groupale passée – typiquement, une humiliation authentique qui fait partie d’un trauma plus large – et de créer une narration symbolique qui utilise cette humiliation comme catalyseur de la violence.

L’entrée dans ce qui devient alors généralement un chaos n’est rendue possible que parce qu’un tel attrait est totalisé (Lifton, 1962). La totalisation est le processus psychologique central par l’entremise duquel les disputes ou les conflits potentiellement traitables au sein de l’espace public, sont transformés en rivalités dramatiques qui déchaînent la paranoïa, et en violences qui nourrissent le feu de la haine. La rage devient chronique et prend racine.

L’autre (Gérard Cotellon, l’ex-directeur du CHU devenant la cible idéale), a été considéré comme mauvais dans le cadre de ce qui a pris la forme d’un fondamentalisme. Le directeur du CHU avait désormais la couleur viciée du péché, il représentait l’élément parasite et le véritable virus à éliminer, l’élément transnational et apatride, à la solde d’un bio-capitalisme vérolé et bâtard, il fallait alors s’en débarrasser, et son élimination s’apparentait à une obligation éthique visant à réaliser la perfection ici-bas. Car tuer, nous disent ces auteurs, dès lors, c’est guérir : dans ce contexte, on peut même dire que tuer fait du meurtrier un rédempteur. La violence devient un impératif moral.

De tels développements n’apparaissent pas ex nihilo. Le type de violence dont nous parlons émerge de crises politiques, économiques, sociales et spirituelles que les peuples vivent jusque dans leur être,  – le chaos et la mort atteignant alors des dimensions proprement sidérantes. 

L’un des thèmes centraux de ce type de projet idéologique est de nommer, avec force détails, les sources de l’humiliation historique (colonisation, évènements de mai 67, chlordécone). Une telle théorisation grandiloquente – la « vision d’ensemble » qu’attendent les âmes en peine – explique l’écrasant sentiment de victimisation. Il en résulte, au sein du message idéologique produit dans ce contexte d’humiliation, un appel implicite à la vengeance et à la réparation de l’injustice. L’humiliation sert de justification à la rage groupale, à la violence.

C’est le Soi groupal désorienté et fragmenté du peuple qui trouve , dans l’expérience de son chef charismatique, suffisamment de cohésion pour justifier l’obéissance totale à un message qui promet la guerre, la souffrance et la mort, (ce que nous promettait le syndicaliste de Force Ouvrière Zou)-, mais aussi l’espoir dans son rêve apocalyptique. 

Le chef charismatique, empli de la certitude de sa propre mission – il s’agit presque toujours d’un homme – qui unifie la souffrance, la colère, la confusion et le désespoir du groupe.  (les prétendants sont de plus en plus nombreux ; Gaby Clavier, Elie Domota, Eddy Ségur, Zou, Chicanos, Edson X, Eric Coriolan, Ludovic Tolassy ? ) Il propose une explication en révisant l’histoire, qu’il fait tendre vers un futur mythique et cosmique.

Cette nouvelle histoire du passé est centrée sur un récit d’humiliation qui, s’il est construit sur un noyau réel, (ce noyau réel étant l’implacable et  longue descente aux enfers du système de santé aux Antilles), la réécrit et la redéploie suivant une logique tellement dramatique que le désir de la dépasser devient l’expérience fondatrice du groupe. Rien d’autre ne compte vraiment. Cette nouvelle histoire d’humiliation, désormais construite de manière à être aisément utilisable et facilement compréhensible, doit être vengée. C’est de ce genre d’événements que sont nées certaines des violences les plus douloureuses de l’histoire humaine.

A partir de cette tentative de synthèse, forcément parcellaire et incomplète, nous constatons que le rejet de la vaccination anti-covid aux Antilles était devenu une prothèse identitaire  pour les foules antillaises en colère, et pour un LKP à bout de souffle la cristallisation clientéliste d’une haine à l’encontre des institutions françaises. 

 

Politique de l’humiliation construite : Perspectives psychanalytiques sur la guerre, le terrorisme et le génocide Strozier, C et Mart ( 2017) dans Research in Psychoanalysis

 

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Théo LESCRUTATEUR

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