La pauvreté n’ôte de noblesse à personne, la richesse oui
Jouer au pauvre fait vendre
Les marques n’hésitent pas à alimenter la tendance. La semaine dernière, tout Internet a raillé la paire de chaussures de la marque de sneakers de luxe Golden Gooses vendue par la chaîne américaine Nordstrom pour la modique somme de 500 euros. Aujourd’hui en rupture de stock, le produit évoque la version rapiécée à coups de ruban adhésif d’une paire de Converse aussi défoncée que si elle avait servi à arpenter de long en large les États-Unis. (Pour la marque, il s’agissait supposément d’un hommage à la culture du skate-board de la Côte Ouest…) Mais le phénomène est loin d’être anecdotique : pensons à tous ces jeans effilochés vendus plusieurs centaines d’euros ou aux T-shirt de designers délavés et troués dont on inonde podiums et boutiques de luxe depuis deux décennies.
Dans un édito, la journaliste Elena Scappaticci d’Usbek & Rica interrogeait : « Jusqu’où les marques iront-elles dans l’appropriation des marqueurs culturels des classes populaires ? » Jusqu’à la « glamourisation de la classe ouvrière » visiblement. Surfant sur l’engouement pour les bleus de travail et les salopettes en jean, la RATP a commercialisé cette année sur les conseils de l’agence Weematch une collection vendue au BHV, collection incluant la réplique d’une combinaison d’agent RATP (89 €) et d’une veste de conducteur du métro parisien (65 €). Pour Charlene K. Lau, historienne américaine interrogée par Vox, la situation ne manque pas d’ironie. Pour les riches, arborer des vêtements « de pauvre » (faussement rapiécé etc…) s’apparente presque à une performance artistique ou à une forme de rébellion contre l’ordre majoritaire établi par la classe moyenne, classe qui valorise netteté et propreté. Pour les autres, c’est simplement une condition subie.
Fétichiser la pauvreté et l’authenticité
Pourquoi cette manie des riches à se présenter (ponctuellement du moins) comme pauvre ? Dans un essai publié en 2017 dans Politico, l’historienne et journaliste Kimberly Chrisman-Campbell souligne qu’en période de grandes inégalités sociales (maintenant, donc), les riches auraient tendance à imiter les tenues vestimentaires des pauvres afin de se fondre dans la masse. (Pensez Marie-Antoinette qui se déguisait en simple aristocrate pour exfiltrer Versailles et se rendre au bal à Paris.) La tendance montre aussi la propension de certains à fétichiser la pauvreté comme quelque chose de cool. (Pensez Marie-Antoinette qui se plaisait à jouer à la bergère au Petit Trianon.) Selon Charlene Lau, il s’agit d’ « une appropriation des personnes marginalisées et défavorisées, et d’une esthétisation de leur misère. En ce sens, une telle « authenticité » peut être marchandisée et achetée. » Là où certains voient un hommage, d’autres discernent une appropriation culturelle délétère. Car dès lors que l’esthétisation commence, la mise à distance (stérile) et la relégation en arrière-plan des enjeux politiques, sociaux et économiques d’une classe oubliée semble inévitable.
Mais une autre motivation sous-tend aussi sans doute l’inclination des riches à jouer aux pauvres. Dans un monde de plus en plus aseptisé, dématérialisé et uniformisé, embrasser les attributs de la pauvreté peut s’apparenter à une tentative maladroite et désespérée pour se rapprocher d’une vie plus authentique. Comme l’explique le sociologue italien Stefano Boni, l’atonie engendrée par le système dans lequel nous existons nous incite parfois à payer pour vivre des expériences perçues comme inconfortables – rafting, fermes pédagogiques, camps de survie – pour retrouver le « sel de la vie. » Finalement, est-ce que cela n’est pas un peu ce que l’on fait lorsqu’on agrémente sa garde-robe d’un bleu de travail alors qu’on est consultant chez McKinsey ?
Gwadloup, péyi a bon dié
La Guadeloupe possède aujourd’hui le statut de département et région d’outre-mer (DROM), régi par l’article 73 de la Constitution. Elle est, avec La Réunion, le DROM le moins autonome. En comparaison, les collectivités d’outre-mer (COM), déterminées par l’article 74, ont un champ de compétences plus étendu, à l’instar de Saint-Barthélemy et Saint-Martin, ou encore de la Polynésie française.
Théoriquement, les DROM peuvent demander à l’État ou au Parlement un droit à l’adaptation d’une loi à leurs spécificités, et un droit d’habilitation pour fixer momentanément des règles applicables sur leur territoire.
«La Guadeloupe a été le premier DROM à disposer d’un droit à l’habilitation. C’était en 2009, et cela concernait la formation professionnelle, le développement des énergies renouvelables et les normes de construction», rapportait Mathieu Maisonneuve, co-auteur du Dictionnaire juridique des Outre-mer.
Depuis, silence radio, bavardages existentiels, frein à main tiré, surtout avec une éventuelle réforme de l’octroi de mer qui priverait les communes guadeloupéennes de sommes importantes.
Le nationalisme guadeloupéen de parade pour reprendre les termes de Ducosson, est bien mal en point, face à l’ inertie de nos représentants politiques.
Serons-nous les rhinocéros d’Afrique qui ne sont pas capables de suer pour évacuer la chaleur, et qui risquent bien de disparaitre sans retour ?
Le journal L’Humanité nous relate une histoire tragique, – les chômeurs antillais n’ont qu’à bien se tenir!- où la douleur d’une situation personnelle se mêle au systématisme parfois aveugle de l’administration, selon les termes du journaliste. Une « affaire de fous », selon les mots d’un des protagonistes. Mais une affaire qui dit quelque chose, néanmoins, de la manière dont de plus en plus de chômeurs sont pressurés au quotidien.
Michel, demandeur d’emploi âgé de 60 ans, s’est retrouvé radié de France Travail (ex-Pôle emploi) fin janvier pour insuffisance de recherche d’emploi, alors qu’il avait pourtant invoqué une circonstance qu’on penserait de nature à susciter l’indulgence : s’il avait un peu levé le pied ces derniers temps, c’est parce qu’il s’occupait de son père mourant. Lequel s’est finalement éteint trois jours avant la sanction.
Tout commence le 14 décembre par une procédure de contrôle en apparence anodine. L’ancien ingénieur en génie civil, qui vit dans une petite commune du Nord, est prévenu par mail qu’il va devoir montrer qu’il recherche activement un emploi. En plus de remplir un fastidieux questionnaire, il joint la liste de toutes les offres d’emploi auxquelles il a répondu les derniers mois, ainsi que les réponses reçues.
« Monsieur, ce sont les choses de la vie » aura-t-il comme réponse définitive.
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