Carte blanche à

Sans courage, pas d’audace !

Invitée à fêter les 35 ans du réseau BGE, j’ai eu le plaisir d’entendre pour la deuxième fois le propos de la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury, professeure de philosophie politique à l’American University of  Paris.

Il y était question du courage. Le courage comme « outil de protection du sujet »  dans ce sens où selon Cynthia Fleury, « l’acte courageux renforce le sujet ». Le terme de sujet étant pris ici au sens psychanalytique qui englobe, pourrait-on dire, le corps et l’esprit (qui n’est pas l’âme). Et c’est en étant courageux que nous alimentons notre estime et notre confiance en nous-mêmes. Et non l’inverse. Comme l’illustre Robert Maggiori, dans son article paru sur le site Libération.fr[1] : « Etre courageux, ce n’est pas exploiter impavide les «qualités» qu’on a, mais faire soudain émerger, sans préméditation ni espoir de récompense, celles qu’on ne pensait pas avoir ».

Dès lors, il n’est pas ici question du courage belliqueux du héros, qui s’appuie, au sens propre comme au sens figuré, sur « l’armée de ses sympathisant-es » pour vaincre ses adversaires et imposer triomphalement sa vérité individuelle. Il est au contraire question du courage innovant du pionnier, qui ose le risque de la cohérence entre le dire et le faire. Entre l’action et le sens. Entre la vision, les valeurs et la stratégie.

La vision qui est la nôtre et qui est la plus partagée par toutes et tous les originaires des outre-mer est celle de l’égalité. Egalité en droits c’est à dire la capacité rendue à chacune et chacun d’entre nous d’exercer nos droits et de répondre à nos devoirs.

Aussi, les valeurs mobilisables au service de cette vision, se nourrissent de notre histoire tout autant que des fondements de la République, qui garantissent ces droits : « Le fils d’outre-mer que je suis doit tout à la République. C’est elle qui, dans ma Guyane natale, est venue m’apporter la dignité et la culture. C’est elle qui m’a tout appris et qui a fait de moi ce que je suis. », disait Monnerville. Les trois valeurs de respect, efficacité et liberté me semblent correspondre.

Respect, comme condition nécessaire à la construction de la confiance : respect des autres et  de qui nous sommes, quelles que soient nos appartenances religieuses, notre couleur de peau ou encore nos orientations sexuelles. Et il nous reste du chemin à parcourir sur ce dernier point, particulièrement : les prises de positions autour du mariage pour tous et plus récemment le documentaire Iles Amères en témoignent.

Efficacité, car l’égalité n’a de sens que si elle se traduit dans les faits. Les actions de communication, si elles permettent à long terme de changer le regard qui est porté sur nous, n’ont de sens que si elles changent, ici et maintenant, les situations d’inégalité. Dénoncer à grand renfort de communiqués les discriminations que nous avons à connaître est vain si nous n’usons pas ne nos droits pour mettre fin à ces discriminations. Et plutôt que de crier au scandale dans la presse parce que tel assureur avait inscrit dans le règlement de son concours de sculpture que ce dernier n’était ouvert qu’aux artistes de métropole, nous avons, le mois dernier, agit avec le défenseur des droits et le concours a été ouvert aux artistes des outre-mer.

Liberté, comme synonyme de capacité à faire des choix en conscience et en responsabilité. En conscience signifie que nous connaissons la portée de ces choix. Choisir, par exemple, de demander des réparations financières et individuelles pour les descendant-es d’esclave nous engage à établir en toute objectivité notre généalogie. En responsabilité suppose que nous assumerons collectivement ces choix et leurs conséquences. Exiger l’égalité nous conduira inexorablement à renoncer aux adaptations législatives, qui nous désignent comme des citoyennes et des citoyens à part puisque bénéficiant de mesures dérogatoires et/ou particulières.

Faire le choix du courage, c’est-à-dire de la cohérence entre l’agir et le dire, revient alors à opter pour une stratégie d’inclusion dans le droit commun, bien plus que celle d’une adaptation aux spécificités territoriales voire infra-territoriales.

Et si l’acte courageux est individuel et instantané, l’éthique durable du courage est collective[2]. C’est parce que nous fabriquons ensemble nos figures exemplaires qu’elles le deviennent et nous inspirent. Dès lors, si nous ne voulons pas perdre courage, l’enjeu est grand de ne pas nous tromper de choix entre ceux que nous érigeons en héros (dont les victoires seront toujours personnelles) et les pionniers qui porteront cette vision collective d’égalité. Car, nous dit Cynthia Fleury, quand on perd courage, on se perd soi-même et on égare la capacité d’agir sur soi et sur le monde.

[1] http://www.liberation.fr/livres/2010/07/08/courage-au-desespoir_664574 : Courage au désespoir, par Robert Maggiori

[2]  http://blogs.mediapart.fr/edition/comment-faire-societe/article/260810/eloge-du-courage : Eloge du courage, par Charles Conte

Sophie Elizéon

Déléguée interministérielle pour l’égalité des chances des Français des Outremers

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