Société

« LES AFRO-TRINIDADIENS, DES CAFARDS QUI PONDENT SANS ARRÊT »

RACISME ENTRE INDIENS ET NOIRS A TRINIDAD

« Toutes les croyances et toutes les races sont les bienvenues ici ». Ce passage de l’hymne national de Trinité-et-Tobago ne reflète pas tout à fait le vécu des trinidadiens pendant la dernière campagne électorale

Pour présenter schématiquement les forces politiques en présence, les Afro-trinidadiens soutiennent le PNM (People’s National Movement), et les Indo-trinidadiens l’UNC (United National Congress).

La représentation politique à Trinidad a tendance à être communalisée, de sorte que le parti au pouvoir incarne non pas la volonté générale, mais des solidarités et des intérêts ethniques particuliers. Par conséquent, les élections suscitent des craintes qui divisent profondément dans un état culturellement fragmenté. Les discussions constitutionnelles qui ont précédé l’indépendance ont été compliquées par les difficultés créées par les différences raciales, qui sans être au premier plan, sont toujours restées dangereusement sous-jacentes. Les minorités indiennes et européenne ont craint de se trouver absorbées par le nouvel Etat et victimes de discriminations.

L’UNC a pollué les dernières élections par une campagne publicitaire considérée comme largement raciste, en brossant un portrait des Afro-trinidadiens en proie à des difficultés économiques et totalement dépendant des allocations (retiré par la suite de la chaîne You tube). Systématiquement les personnes d’une même couleur de peau, étaient désignées comme pauvres et opprimées.

La blogueuse Mo MARTIN, prenant la pose d’une princesse, dans un hastag devenu viral, hurlait sa colère « ça dépasse la politique maintenant. Face au racisme et aux stéréotypes véhiculés par l’UNC, j’appelle toutes les personnes originaires d’Afrique – métis inclus – à publier vos diplômes et vos réussites sous le hastag « IAmNotSuffering » ( Pas en galère).
Toutes les races souffrent. Arrêtez d’utiliser UNIQUEMENT des Afro-trinidadiens-nes pour généraliser et véhiculer de dangereux clichés ».

D’autres ripostent : « Au moins, nous n’avons pas acheté nos diplômes, ça a été gagné… Pas en les monnayant comme certains ».

Certains à la limite de la résignation s’expriment : «L’autre jour, ma mère et moi, avions cette même conversation. Pourquoi disent-ils que les Africains, souffrent de faim, sont incultes et sont des bandits ? Oui, c’est peut-être ainsi. Mais le noir n’est pas égal à la souffrance. La souffrance n’est pas le sort des seuls noirs dans ce pays », ou accusent « La plupart des gens n’ont pas choisi d’être pauvres. Vous ne pouvez pas juger tout le monde par votre expérience professionnelle. Un master commerce dans une économie pauvre ne sert à rien comme le covid l’a démontré ».

De nombreux Indo-trinidadiens suite à la défaite de l’UNC se sont lancés dans des commentaires racistes sur les réseaux sociaux, comme Naila Ramsaran, fille des dirigeants de l’entreprise de boissons familiale, sortant cette formule qui a révulsé bon nombre de trinidadiens, « Les Afro-trinidadiens sont des cafards qui pondent sans arrêt ».

Ses excuses ont laissé beaucoup de trinidadiens indifférents. Garth St Clair rétorqua : Voilà ce que vous vouliez réellement dire : « Je m’excuse de dire tout haut ce que mes proches et moi-même pensons de la communauté africaine ».

Les appels au boycott ont fleuri, quoique des commentateurs avisés expliquent qu’il faut aller plus loin. « Nous avons désespérément besoin d’institutions en mesure de nous aider à canaliser ce déchaînement de rage. Nous avons désespérément besoin d’espaces propices au travail sur les traumatismes familiaux et générationnels. Nous avons désespérément besoin que la loi s’attaque à ce qui nous pourrit nos cerveaux à l’école et au bureau ».

Dans « Géographie de la ségrégation ethnique et géopolitique des drogues illicites, l’exemple de la Caraïbe indo-créole », Daurius Figueira et Romain Cruse, discutaient du lien entre racisme, ségrégation ethnique et trafic de drogues illicites dans trois territoires Trinidad, Suriname, Guyana, caractérisés par une forte représentation des populations d’origine indienne et africaine.

Pour des raisons historiques, ces territoires ont connu l’apparition relativement récente d’une classe d’entrepreneurs indo-caribéens prospère. Pour les mêmes raisons, les populations d’origine afro-caribéenne y représentent l’essentiel de la classe pauvre urbaine. C’est sur cette base que s’est développé, à partir des années 1980, le trafic de cocaïne colombienne. D’où une spécialisation ethnique des activités liées au trafic.

A la base de la pyramide sociale, les jeunes Afro-caribéens des bidonvilles de Buxton (Guyana), ou de Latenville (Trinidad), par exemple, se sont retrouvés sur-représentés parmi les coupables de crimes commandités liés au trafic.
La reprise en main du trafic par les Colombiens, les Vénezueliens, et les Mexicains a entraîné une instabilité chronique au sein de cette mouvance, dans laquelle les leaders ont été éliminés les uns après les autres. Les rédacteurs de l’article précisaient que les cartels mondiaux piocheraient leurs prochains soldats parmi les ghettos noirs, et que ceci ne devrait pas rassurer les criminologues caribéens déjà confrontés aux taux d’homicides les plus élevés de la planète, d’où le discours raciste présentant les « noirs » comme plus enclins au crime.

La petitesse des structures, s’agissant du commerce de drogue « local » oblige généralement à l’implication directe des organisateurs dans les activités de trafic, d’où leur facile identification, traçage policier, arrestation ou racket ou assassinat. Localement, la principale conséquence réside dans l’explosion de la violence générale et la frustration des groupes de jeunes Afro-caribéens, déjà par ailleurs largement exclus des segments lucratifs de l’économie formelle. Cette frustration se matérialise sous la forme de guerre des gangs pour le contrôle des derniers centres de profits que sont le racket et le petit trafic de ganja, sur le modèle jamaïcain qui donne lieu à une criminalité exceptionnelle.

@Voilà ce que je défends, ce que je soutiens. Voici les gens en qui je mets ma confiance, ma loyauté, mon espoir…

Alors que peuvent changer des élections ? La poétesse trinidadienne Shivanee N. Ramlochan, nous suggérait, « même au pinacle de la concrétisation de notre cadeau démocratique, de tenter de trouver le chemin le moins tortueux à travers la terreur ; la crise sanitaire mondiale, la criminalité violente, l’injuste corruptocratie, le dénuement des palétuviers, le pourrissement du cœur. Le pourrissement de notre cœur. Car il s’agit bien de notre cœur commun peu importe sa couleur ».

Les élections législatives trinidadiennes de 2020, qui ont eu lieu le 10 août 2020, ont vu la victoire du Mouvement national du peuple au pouvoir qui a conservé la majorité absolue. Elles ont permis à Keith Rowley de conserver son poste de Premier ministre.

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Théo LESCRUTATEUR

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