Société

L’équipe de France, un détecteur de racistes

Alors qu’on imaginait que les sociétés modernes avaient surmonté ces notions
d’identité avec la mise en avant de catégories passeïstes comme la race, il s’avère
que le Qatar a mis en scène l’obsession pour des questions telles que le
nombre d’Africains ou de Noirs jouant dans l’équipe de France ou
inversement leur absence en Argentine. Il suffit de voir la
multitude de personnes sur les réseaux qui traitent de manière péjorative
l’équipe de France comme africaine, ou le débat ouvert par un article du
Washington Post sur le fait qu’il n’y ait pas de Noirs dans l’équipe d’Argentine.

Le cas de la France est paradigmatique. « C’est la première fois dans l’histoire de

la Coupe du monde que deux équipes africaines s’affrontent en demi-finale »,

a écrit sur Twitter un habitant de Quito d’un ton désobligeant, tandis qu’un

influenceur argentin adresse ses félicitations à « La France, première équipe

africaine à atteindre une finale du Mondial ».

Comme sur Twitter, Facebook, Instagram, TikTok le nombre de vidéos dans

lesquelles l’équipe de Deschamps est qualifiée d’africaine est ahurissant.

Une chanson argentine qui se moque des joueurs français venant du Nigeria

est également la preuve de cette obsession collective.

Chose surprenante lorsqu’on enquête sur le lieu de naissance des joueurs

français : il s’avère que sur les 26 convoqués au Qatar, il n’y en a que 3 qui

n’y soient pas nés : Steve Mandand (Congo), Eduardo Camavinga (Angola,

arrivé en France alors qu’il avait à peine un an) et Marcus Thuram, né en

Italie parce que son père, footballeur légendaire de l’équipe de France et

aujourd’hui militant antiraciste, jouait pour Parme. Les autres sont des

enfants ou petits-enfants d’immigrés, pour la plupart originaires d’anciennes

colonies africaines, soit subsahariennes, soit du nord arabe.

Si seulement 0,78% des joueurs sont nés en Afrique, pourquoi tant de gens

répètent-ils comme un mantra que l’équipe est africaine ?

La question devient plus déconcertante lorsqu’on examine les origines

des joueurs perçus comme français, c’est-à-dire les Blancs. Il s’avère que

les grands-parents du gardien Hugo Llorís étaient des Catalans ayant émigré

en France et que le grand-père maternel de la star Antoine Griezmann était

originaire du Portugal, footballeur bien connu de la 1ère division portugaise.

Les frères Theo et Lucas Hernández descendent également d’Espagnols émigrés

en France, comme dans le cas d’autres joueurs mythiques du passé comme Luis

Fernández et Manuel Amorós.

L’explication semble résider dans une vision raciale du phénomène. Si les

vedettes de l’équipe étaient blanches, l’attitude ne serait sûrement pas la même :

Michel Platini est un descendant d’immigrants italiens (le nom de son père

était Aldo) et Amorós d’Espagnols, mais personne ne songerait à les remettre

en question. Est-il pertinent de s’interroger sur Aurélien Tchouameni, Ousmane

Dembélé ou encore Jules Koundé ? Tous sont les enfants ou petits-enfants

d’immigrés et légitimement aussi français que l’ancien président Nicolás Sarkozy,

si l’on tient compte du fait que leur père était également un immigré, dans son cas

un Hongrois.

La question est aussi sensible en France et pas seulement depuis le Qatar. L’équipe devenue championne du monde en 1998 était célébrée pour avoir réuni des Antillais, des Africains de l’Ouest, des Algériens, des Arméniens, tous également français. Cela semblait être un nouveau modèle de ce que la France pourrait être. Lilian Thuram, né en Guadeloupe, et Zinedine Zidane, fils d’émigrés algériens, ont marqué les buts gagnants et sont devenus des icônes nationales. Le récit épique de cette Coupe du monde a servi d’antidote au discours du Front national d’extrême droite, dont le leader Jean-Marie Le Pen avait accusé l’équipe 2 ans plus tôt d’être composée d' »étrangers » et de « faux Français ». Le triomphe, cependant, n’a pas suffi à effacer le rejet qui existe envers les immigrés africains.

Karim Benzema, l’un des attaquants vedettes français, a déclaré en 2011 : « Quand je marque, je suis français ; quand ce n’est pas le cas, ou quand il y a des problèmes, je suis Arabe ». A l’approche de la Coupe du monde 2018, les racistes du Front national n’ont pas attaqué l’équipe car cela ressemblait alors à une bévue politique : le multiculturalisme longtemps diabolisé est désormais une réalité pour les plus jeunes.

En 2010, les responsables du football français avaient discuté d’un plan visant à limiter le nombre de joueurs d’origine africaine et nord-africaine dans les rangs des jeunes. Lorsque ces conversations ont fuité dans la presse, l’opinion publique a été choquée d’apprendre que le sélectionneur national y avait participé. Il a été remplacé par l’actuel, Didier Deschamps, adepte de la cohabitation multiculturelle au sein de l’équipe.

Le poète, conteur et érudit américain Clinton Smith a écrit un article décrivant ce qui pourrait être le moyen le plus sage de surmonter et de comprendre la réaction au sujet de la prétendue équipe d’Afrique de France : le football international nous invite à imaginer des pays non pas tant que ils le sont, mais comme ils pourraient l’être -écrit-il-. L’histoire de l’équipe de France et les débats qui l’ont entouré permettent de comprendre les mutations qui refaçonnent l’identité du pays et où subsistent des limites.

La France, avec tous les terribles conflits sociaux et culturels qui la rongent, peut devenir une nation qui finira par se reconnaître dans sa riche diversité et non dans la génétique de ses habitants. Elle est déjà sur cette voie.

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