Société

Le Scandale du chlordécone : le combat continue

Equal Times est un site d’information et d’opinion trilingue basé à Bruxelles centré sur le travail, les droits humains, la culture, le développement, l’environnement.  Des extraits d’un article d’Elodie Toto du 15 janvier qui a travaillé notamment pour la BBC, Reuters et l’AFP.

« Ils nous empoisonnent ! Ils nous tuent ! »  Voici ce qu’on pouvait lire sur les pancartes lors de la manifestation anti-chlordécone, en Martinique, le 28 octobre 2023. Cette manifestation a été le point d’orgue d’une semaine de mobilisation, sous le slogan en créole « Simenn Matinik Doubout – Gaoulé kont klordecone », lancée par un collectif qui regroupe une trentaine d’organisations ultramarines et hexagonales.

« On veut que l’État français reconnaisse sa responsabilité dans l’affaire du chlordécone. Qu’il reconnaisse sa responsabilité, mais aussi qu’il répare ses crimes et qu’il fasse en sorte de décontaminer la terre », déclare Théo Lubin, président du Comité d’organisation du 10 mai.

Le chlordécone est un pesticide qui a été utilisé dans les bananeraies de la Martinique et de la Guadeloupe de 1972 à 1993 pour lutter contre le charançon du bananier, un insecte qui ravageait les cultures. Mais le chlordécone est toxique et contamine aussi bien les humains que l’environnement.

Dès 1976, les États-Unis décident d’en interdire sa production et sa commercialisation. En 1979, le Centre international de recherche sur le cancer classe le chlordécone comme cancérigène possible pour l’humain, mais il sera autorisé en France de 1981 à 1990.

Pourquoi ? Nombreux sont ceux qui, comme à l’Institut national de la recherche agronomique se posent la question. Mais l’INRA restera sans réponse, car le rapport de la commission des Toxiques chargée de l’évaluation de la toxicité des produits avant leur commercialisation, a tout simplement disparu.

Là où le bât blesse, c’est qu’une fois interdit, les grands propriétaires terriens de Guadeloupe et de Martinique obtiennent une prolongation auprès de l’État pour pouvoir continuer à l’utiliser, uniquement dans les îles…

«  Il s’agit manifestement d’un crime organisé par l’État français, ils savent que c’est toxique pour l’homme, donc ils protègent leur population sur le sol hexagonal, mais pour nous, il n’y a pas de problème, on peut être empoisonné. C’est toujours la suite de l’expérience coloniale  », s’exclame Philippe Verdol.

Ce maître de conférences en sciences économiques à l’université des Antilles et de la Guyane qui a rédigé plusieurs ouvrages sur le chlordécone, ajoute : « On retrouve les mêmes acteurs, l’État et les békés d’un côté, et de l’autre, les populations afro-descendantes qu’on exploite et qu’on empoisonne. »

… Selon les autorités, 90 % des Guadeloupéens et des Martiniquais ont des traces de ce pesticide dans le sang, il met environ sept siècles pour être éliminé totalement des sols et les Antilles françaises détiennent le record du monde du nombre de cancers de la prostate.

En 2006, une plainte est déposée. En janvier 2023, les juges à Paris prononcent un non-lieu tout en reconnaissant un scandale sanitaire…

« Nous n’acceptons pas le non-lieu et la lutte continuera jusqu’à ce qu’on obtienne gain de cause. En attendant une suite judiciaire, notre nouvelle bataille, c’est l’information », dit Théo Lubin, avec véhémence. « Il y a beaucoup d’Antillais de la diaspora contaminés dans l’Hexagone, mais qui ne savent pas que c’est lié au chlordécone. Beaucoup sont morts aujourd’hui… Il n’y a pas d’information, alors nous, on veut sensibiliser là-dessus pour que les victimes puissent être prises en charge et indemnisées. »

En Guadeloupe, l’objectif est le même. Tous les lundis, à 15h30, la Confédération générale du travail CGT-G organise une « permanence chlordécone », à Capesterre…

En 2019, un fonds d’indemnisation des victimes de pesticides a été créé par l’État. Vilner Croichy s’est rendu en novembre à la permanence pour voir comment il peut faire avancer son dossier. Il a travaillé toute sa vie dans une grande bananeraie, située non loin du local syndical. Aujourd’hui, il a presque 65 ans et est atteint d’un cancer de la prostate.

« J’ai été diagnostiqué il y a 1 an et deux mois. Depuis, j’ai été opéré 3 fois et je ne peux plus travailler, alors on m’a licencié. J’ai tellement mal que je prends jusqu’à 3 cachets d’antidouleurs le soir, sinon je ne peux pas dormir. »

« J’essaie de me faire indemniser, mais en essayant de rassembler mes papiers, je me suis rendu compte que pendant des années mes employeurs ne m’ont pas déclaré, du coup, je ne reçois pas d’indemnisation. »

«  Une fois que la maladie est reconnue, le fonds envoie un courrier aux victimes pour leur annoncer le montant de l’indemnisation. Pour les adultes, c’est une rente mensuelle qui est versée donc tous les mois de l’ordre de 300 euros à 1.500 euros par mois en fonction du taux d’incapacité. Pour les enfants, c’est lié à l’âge et à la pathologie, mais ça peut aller jusqu’ à plusieurs dizaines de milliers d’euros, plus une rente  », décrit Edwige Duclay, directrice de projet chargée de la coordination du plan Chlordécone IV.

Le plan Chlordécone IV est une suite de mesures mises en place par le gouvernement français en 2021 ayant pour but de lutter contre la pollution au chlordécone. Pour ceux qui ont du chlordécone dans le sang, mais qui n’ont pas (encore) développé de pathologie, Mme Duclay avance une solution : « On peut se débarrasser du chlordécone si on arrête de consommer des produits avec du chlordécone. Entre 4 et 6 mois, on peut diviser le taux de chlordécone dans le sang. On peut l’éliminer et la priorité, c’est d’avoir une alimentation zéro risque Chlordécone  », explique-t-elle.

… À l’évocation de ce plan, on éclate de rire la permanence chlordécone de la CGT-G. « C’est méprisant ! L’État nous a dit que le pesticide pouvait mettre 700 ans pour disparaître, maintenant, il suffit juste de bien manger ? Et quand on voit le nombre de personnes qui sont décédées… On est en train d’établir une liste, rien que ces 6 derniers mois, il y a plus de 200 travailleurs qu’on avait référencé comme victimes qui sont parties. Ce genre de discours, c’est juste pour cacher les fautes graves de l’État  », s’indigne Jean-Marie Nomertin.

… En attendant, en Guadeloupe, si la permanence d’accompagnement se fait dans la bonne humeur, les esprits restent tendus. Il y a peu, ils ont perdu l’un de leurs adhérents, une femme qui a travaillé longtemps dans le secteur de la banane, ici même, à Capesterre. « Elle se plaignait toujours qu’elle avait mal au dos. Elle a fini par faire une IRM et on lui a diagnostiqué un cancer de la moelle épinière. Le cancer s’était généralisé. On lui a dit ‘si on vous opère, vous allez perdre l’usage de vos jambes, si on ne vous opère pas, aussi’. Elle s’est fait opérer. Quand on l’a revue, elle était en chaise roulante. Deux semaines plus tard, on l’a enterrée. Ça fait mal. Je ne veux plus que ça arrive », raconte Annick Hery, syndicaliste à la CGT-G.

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