« Le Rêve français » par Maryse Condé
« Mon Dieu ! » suffoqua une jeune femme se serrant contre son mari, quand
surgit de la bouche du métro une bande de Noirs rigolards et bavards.
« On les voit partout à présent. »
« Oui Madame ! Même à l’université, » rétorqua ma mère qui l’avait entendue
d’une voix coupante.
Cette anecdote devint proverbiale dans ma famille. Je l’entendis répéter et
répéter encore des dizaines de fois avec des mines satisfaites. Aussi
naïvement, je m’imaginais que le cheminement antillais avait été une montée,
roide à n’en pas douter, depuis le ventre des vaisseaux négriers.
Ce n’est visiblement pas l’avis de Christian Faure, le réalisateur et co-scénariste,
entouré d’une solide équipe comprenant Sandro Agénor, Alain Agat, les scénaristes
et France Zobda, la Productrice d’Eloa Prod dont c’est l’idée originale.
L’histoire antillaise complexe, parfois confuse, est faite d’une succession de circuits
et de méandres, d’allers et de retours. Le réalisateur accumule des vignettes qui de
prime abord collent mal ensemble tant elles sont différentes, voire contradictoires
et de portée variables. Les unes se réfèrent à des faits sociaux, les autres à des
révoltes historiques ; d’autres enfin à des attitudes singulières. Se reconnaissent
au passage Frantz Fanon, Aimé Césaire, réduit à un quatrain de Madame
Christophe, et le cadavre du militant indépendantiste, Jacques Berthelot,
(est-ce bien lui ?).
A ceux qui seraient tenté de dire : « Assez ! N’en jetez plus ! » il convient de
comprendre que cette surabondance d’images et d’évènements est
volontaire et que l’intention pédagogique et didactique n’est jamais
absente.
« Le Rêve français » veut mettre au jour des faits souvent inconnus des
Antillais eux-mêmes.
Ce film, souhaité par France 2 et le service public, contient deux audaces
significatives.
La première est qu’il ne sépare pas l’histoire des départements d’outremer.
Il ne sépare pas la Guadeloupe de la Martinique comme si les deux jumelles
acariâtres avaient enfin admis que leur sort se jouait en commun.
La deuxième est qu’il ne sépare pas non plus ces territoires de celui de la
France. Les personnages vont, viennent, débarquent, s’attardent comme
s’il s’agissait d’un périmètre aux contours identiques. C’est sans doute là
une manière de suggérer les liens étroits, bien que souvent conflictuels,
qui unissent les « départements » à « leur métropole » car pour les auteurs
du film les Antilles ne sont pas des terres entièrement à part,
c’est évident.
Le « Rêve Français » tourne résolument le dos au documentaire.
Cependant il intègre des héros qui pourraient avoir vu le jour
dans la réalité.
Samuel, incarné avec brio par Yann Gaël, qui troque ses rêves de
coureur contre la robe noire d’un avocat, son frère Julien qu’une
sombre affaire de trahison sépare de lui pour un temps. N’oublions
pas surtout Doris interprétée par la talentueuse Aïssa Maïga, à la
recherche du véritable amour, et tant d’autres que nous ne pouvons
nommer ici.
Tel qu’il est Le Rêve Français peut se comparer à un fleuve tourbillonnant
et divers. Il plaira sans nul doute à ceux qui ne connaissent pas entièrement
leur histoire, à ceux qui sont friands de belles épopées où l’amour, la mort,
la justice, l’intolérance et le racisme se mêlent, se nouent et se dénouent
dans un apparent et savoureux désordre.
Maryse Condé
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