Le récit d’une déchéance guadeloupéenne
C’est le récit d’une déchéance guadeloupéenne
Y aurait-il une vertu de la déchéance ? Hisser bruyamment la bannière de la déchéance au statut de haute symbolique, comme le prédisait Rabeh Sebaa.
Le journaliste Mohamed Benchicou au Huffington Post, le 3/04/2018, reprenait la formule d’André Brink et Nadine Gordimer, répliquant à ceux qui leur reprochaient de n’écrire que sur l’apartheid : « It is our landscape » : « c’est cela notre contexte, notre réalité ».
L’agonie d’un pays chlordéconé et de l’obésité galopante
otre réalité, notre contexte, en Guadeloupe, est le récit de l’agonie d’un pays chlordéconé, de l’impuissance des politiques, de l’obésité galopante, du démantèlement de la mangrove et de la biodiversité guadeloupéennes, de la mort du littoral, de la fuite des cerveaux, de la violence multiforme.
Les équipes au pouvoir, conglomérat de factions diverses, promettaient d’abolir la corruption, de réhabiliter la transparence, de lutter contre le chômage, de rendre sa dignité au guadeloupéen.
Elles semblent n’avoir que consolidé un régime absolu, au sein duquel les acteurs souffrent tous de la maladie du pouvoir avec une faconde gouailleuse!
Il n’y a plus d’adversaires au sein de ce système. Aucun n’a résisté aux sortilèges de la proximité avec les prébendes régionales.
Mais aucun ne semble pouvoir résoudre la monstruosité SIAEGAG.
Cela fait trois jours que nous n’avons pas une goutte d’eau ! Les employés ont indiqué une nouvelle fois leur défiance quant à la disparition de l’entité. La coupure d’eau n’est pas due à une défaillance technique, à des tuyaux obsolètes, mais est le fruit d’une volonté évidente de punir. Punir qui ?
Un pays entier glisse dans l’arriération. Faudra-t-il une nouvelle insurrection du peuple guadeloupéen pour qu’il puisse avoir de l’eau ? Quelles bastilles doit-il enfoncer et conquérir ?
Comment imaginer que des syndicats ne puissent pas comprendre qu’ôter de l’eau à une population est immoral, puisqu’ils s’adonnent inlassablement à de tels actes ?
Peut-être que la vie d’un enfant guadeloupéen, d’une mère ou d’une grand-mère guadeloupéenne n’a pas de sens face à celle d’un gréviste.
Les communiqués de fermeture de crèche ou d’école se sont multipliés. La clinique Les Eaux Claires, n’a pas accueilli de patients. En maternité, des femmes ont été renvoyées chez elles, et les autres ont dû accoucher dans les conditions lamentables.
La seule explication est que le citoyen en Guadeloupe dispose d’une qualité de vie privilégiée, que les bus de mer sillonnent les marinas, pour transporter la population active jusqu’à Jarry, intégrée dans la flamboyante et compétitive production guadeloupéenne, que notre économie est florissante, notre démocratie souveraine, que les jeunes guadeloupéens se caractérisent par un poids de forme étincelant, loin de toutes marques d’obésité morbide, que notre université est mondialement reconnue.
Nos politiques se sont agités en tous sens, lors des récentes élections, exigeant plus de responsabilités, de pouvoir réglementaire. Curieusement dès qu’on leur parle de l’eau, des déchets, des transports, ils sont comme des noyés dans des sables mouvants. Comme si la gestion opérationnelle n’était plus du ressort de ces mêmes politiques.
L’enlisement chronique de tous les dossiers majeurs, sape la société et l’économie guadeloupéennes jusqu’à un très possible effondrement total.
L’absence de toute morale permet l’inconcevable. La crise identitaire, l’incivisme, la corruption, le désordre ambiant, aboutissent à ce qu’ assidument nourrie aux mamelles de la violence, la société guadeloupéenne se retrouve face à ses démons.
L’insoluble équation de la criminalité fait passer de nombreux guadeloupéens de vie à trépas.
Les atouts de l’archipel, désespérément inexploités, restent lettre morte face à l’inertie des décideurs.
Dans la « cité », la confrontation d’une personne avec ses pairs, va la conduire à créer cette autre partie d’elle-même qu’est l’être social (Durkheim). Mais comment l’homme guadeloupéen pourrait-il créer cet être social, si on fait de lui , au quotidien, un homme amputé, minoré, souillé, sali, sans possibilité d’accéder à ses besoins élémentaires ?
Comment pourrait-il revendiquer une identité ? Comment s’étonner que le corps social guadeloupéen soit entré en dépression ?
L’identité nationale exprime en fait l’aliénation d’un individu à un ordre social qui le dépasse.
« La fierté nationale est comparable, d’un point de vue psychologique, à la bonne image narcissique que l’enfant reçoit de sa mère, et qui procède par un jeu intéressant d’identification émanant des deux parents, à l’élaboration de l’idéal du moi. Par manque de compréhension, ou de dégradation d’une telle image narcissique ou idéale du moi, on peut humilier et faire entrer le sujet ou groupe en dépression » ( Kristeva 1993)
Ce jeudi matin. Il est 3heures 25, et un mince filet d’eau commence à poindre dans les robinets. Cela fait quatre jours que comme tant d’autres guadeloupéens, je suis totalement privé d’eau. Je m’interroge quand même. L’habitant de l’île ne peut pas avoir une telle résistance. Comment fait-il pour endurer la loi d’institutions tyranniquement souveraines, et ce processus d’assujettissement qui recouvre toute sa vie ?
Les mêmes, éternels bateleurs, paraderont sur les estrades, brandiront leur opposition à un syndicat unique, (prévu par la loi avec création au 1er septembre 2021), qui remplacera les cinq structures intercommunales qui « exercent les compétences en eau et en assainissement depuis 2016 sur l’île ».
Nous avons placé entre guillemets les fonctions censées être dévolues à ces organismes. Il vaut mieux rire que pleurer.
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