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Perec : En Guadeloupe, c’était une enfance géniale !

C’est l’histoire d’une gazelle, mal à l’aise dans un corps trop grand, trop fin mais qui va pourtant faire d’elle la plus grande championne de l’athlétisme français. Extraits d’un entretien dans Running Heroes par Alexandre Pedro et Vincent Riou.

L’enfance

… À Basse-Terre, la maison de ma grand-mère était collée à celle de ma maman. En Guadeloupe, c’est souvent comme ça, toute la famille est très proche. C’était une enfance géniale ! Une rivière passait juste derrière, il y avait plein d’enfants dans le quartier, on faisait des jeux extraordinaires, on grimpait aux cocotiers, on allait pêcher l’écrevisse ou nager dans la mer. C’est la Guadeloupe quoi, c’est pas Paris !

Ma grand-mère vendait de la viande et du boudin sur le marché, elle avait sa loge. Ma mère tenait un « lolo », un petit restaurant où les gens mangent le midi. C’était en face du palais de justice, à côté du lycée, au centre-ville de Basse-Terre. Un « lolo » quoi, les gens aimaient bien venir, les avocats, les juges, les écoliers, y en avait pour tout le monde…

La découverte de l’athletisme

… À 13 ans, je mesurais 1,75 m donc j’avais grandi trop vite et j’étais pas très coordonnée, j’arrivais pas à attraper une balle…  

Au collège, j’essayais toujours d’en faire le moins possible, je me cachais derrière un énorme arbre pendant l’échauffement. Personne ne me remarque jusqu’à mes 16 ans, en 1984. Là, on fait des 60 m dans la cour d’école, donc on ne peut plus se planquer. Je cours le mien comme tout le monde. « Toi, tu recommences », me fait la prof en regardant son chrono, je lui réponds : « Ah non, c’est bon, lâchez-moi les baskets. » Elle me menace d’aller voir ma grand-mère, qui habitait juste derrière, je me dis que je vais encore me prendre une raclée, alors je recommence. La prof me dit: « Il faut que tu viennes mercredi, il y a une compét’. » Ce jour-là, le minivan de l’école a dû venir me chercher à la maison. Ma grand-mère m’a tapée derrière la tête. « Quand on donne sa parole, on la tient, tu prends tes affaires et tu y vas. »

… Je fais douze secondes sur le 100 m, ce qui me qualifie pour les championnats de France cadets. On me regardait comme une extraterrestre. Je me sentais comme une bête curieuse, je le voyais dans les yeux des autres. Je mesurais 1,80 m pour 50 kilos, et encore… Vous imaginez, douze secondes, pour une gamine de mon âge ! Mais ça s’explique, j’ai grandi à côté d’une rivière, je passais mon temps à sauter d’une pierre à l’autre, à courir : en fait, je m’étais entraînée depuis toute gamine, je faisais de la proprioception sans le savoir ! On était en 1984, les JO de Los Angeles, mais Carl Lewis, je ne sais pas qu’il existe, je suis vraiment dans un autre monde…

Les premières compétitions 

Comme la plupart des gamins en Guadeloupe, mon rêve c’est d’aller voir ailleurs. Le voyage en métropole, prendre l’avion, je kiffe à mort, j’ai envie de me barrer. Sur la piste, je termine deuxième mais je suis disqualifiée pour avoir mordu le couloir. Personne n’a pensé à me dire de faire attention à ne pas mettre le pied sur la ligne. Mais je me rends compte que, potentiellement, je suis deuxième au niveau national. C’est assez extraordinaire.

Après les championnats du monde juniors à l’été 86, on va en Italie et je demande à être alignée sur un 400. L’idée de faire un tour de piste, ça me bottait bien. Je me souviens plus de mon chrono, mais je finis deuxième, celle qui gagne était championne du monde juniors. Ça me plaisait vraiment le 400, j’aimais le fait d’avoir une stratégie en tête, partir vite, ou bien plus lentement, attendre les 200 ou les 300 pour accélérer…

En décembre 86, ça caille à mort sur Paris, il y a de la neige et les gens portent des après-ski… Je me dis: « Non, ce n’est pas pour moi, je rentre. » J’appelle mes parents depuis une cabine à pièces. Ma mère me répond : « Mais tu te rends compte, c’est 5 000 francs, on a pas les moyens. » Je voulais vraiment partir, je lui dis : « Demandez à tonton, à papa, à tout le monde, vous vous démerdez mais il faut que je rentre. » À l’époque, l’INSEP c’était l’armée, les chambres… On avait l’impression d’être des militaires… J’arrête l’athlé’ et je rentre chez moi à Basse-Terre ! Et j’arrête l’école aussi.

La promesse de gloire

L’été d’après, je reviens en métropole, j’accompagne un copain sur une compét’ et je tombe sur François Pépin. « Tu as disparu, c’est quoi ce gâchis, qu’est-ce que tu fais? » J’étais partie pour suivre un BEP électrotechnique en Guadeloupe. Bref, Pépin me dit de venir m’entraîner avec lui. Et ça marche super bien.

En décembre 89, je suis championne d’Europe en salle, et je ne me pose plus la question de m’arrêter. Entre temps, je me qualifie pour les JO de 88 à Séoul, où j’arrive blessée malheureusement. Je passe un tour quand même. Mais lors de la cérémonie de clôture, on est sur la pelouse et il y a cet immense écran avec écrit: « See you in Barcelona ». Je me dis : « Putain, j’ai eu des Jeux pourris, mais dans quatre ans, je vais tous les exploser. »

On connaît la suite…

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