Les dés sont jetés pour Jovenel Moïse
L’avenir politique du président Jovenel Moïse ne tient qu’à un fil par Catherine Charlemagne, Haïti Liberté, 19 juin 2019.
Par choix ou de force, le président Jovenel Moïse devra se retirer
Par choix ou de force, le président Jovenel Moïse devra se retirer. Il ne terminera pas son mandat comme il l’aurait souhaité. Ce n’est pas un souhait ou une spéculation mais une réalité. Ce sont les circonstances et les impératifs de la conjoncture politique qui l’obligeront soit à fuir le Palais national, à quitter le pays, soit à présenter sa démission à la nation. Dans un cas ou dans l’autre, il sera obligé de renoncer au pouvoir avant 2022. Il n’a pas le choix.
Sa dernière tentative de dialogue avec toutes les forces du pays le lundi 17 juin a échoué. Du plus radical au plus modéré, tous ont formulé une même revendication : sa démission. La majorité a décliné l’invitation à le rencontrer chez lui, à Pétion-Ville. Ceux qui ont accepté de faire le voyage voulaient juste lui dire verbalement qu’il n’était plus possible de rester au pouvoir. Les dés sont jetés pour Jovenel Moïse. Même ses plus grands partisans internationaux, dont le gouvernement américain, commencent à prendre leurs distances.
Le vendredi 14 juin, le département d’État américain demande la formation d’un gouvernement pour faire face aux défis d’Haïti, dans un langage diplomatique assourdi, prouvant au président Jovenel Moïse qu’il n’a plus le soutien de Washington. Par conséquent, lui et son entourage doivent tirer une seule conclusion : ils doivent partir. Peut-être que plus tard, il sera trop tard. L’entêtement dans ce genre de situation ne va pas aider. Cela peut même aggraver les choses.
Comment le successeur de l’ancien président Michel Martelly a-t-il atteint ce point de non retour ? Après les actes I et II de la mobilisation politique qui avait prévalu l’année dernière et au début de cette année, Jovenel Moïse avait un peu repris le contrôle de la situation. L’opposition, elle, n’a jamais perdu espoir.
Vient ensuite la publication de la première partie des audits de la Cour supérieure des comptes à la demande du Sénat haïtien. Le 1er rapport de la Cour des comptes sur l’utilisation des fonds PetroCaribe publié le 31 janvier 2019 avait donné un avant-goût, une sorte de synthèse, de l’explosion sociopolitique qui allait suivre avec le volume 2 de cet audit sans précédent.
Bien que l’opposition ait tenté d’utiliser ce rapport, elle n’a pas réussi à mobiliser la population, à part quelques manifestations autour de la capitale. Néanmoins, les radicaux et en particulier les PetroChallengers ont annoncé qu’ils attendaient le 2ème rapport, et davantage de détails sur l’utilisation des fonds PetroCaribe par plusieurs sociétés. Bien qu’un nombre impressionnant d’entreprises et de particuliers aient été nommés dans le premier rapport, tous les regards étaient déjà braqués sur la société Agritrans SA de Jovenel Moïse : des contrats de construction et de réfection de routes signés entre l’État et Agritrans SA et Betex, deux sociétés privées dirigées alors par Jovenel Moïse pour un montant de 39 990 399 gourdes (894 640 $) et de 34 998 785,50 gourdes (752 662 $), pour un travail qui n’a jamais été fait. Le pire, c’est que les deux contrats concernent le même tronçon de route reliant Borgne à Petit Bourg de Borgne, la route étant dans un état déplorable.
Rien de très grave, avaient probablement pensé les dirigeants de ces entreprises, (censées être impliquées dans l’agriculture, la culture de la banane, pour être exact) jusqu’à la publication du deuxième rapport de la Cour des comptes. Le rapport n°1 manquait de précision sur le degré de corruption de ces entreprises qui, pour la plupart, n’étaient que des sociétés écrans afin de détourner des fonds destinés au développement d’Haïti et à l’amélioration des conditions de vie de la population.
Le chef de l’État n’a jamais fait grand-cas des audits de la Cour des comptes et a toujours pensé que l’affaire PetroCaribe avait été fabriquée par ses opposants politiques. Jovenel Moïse a donc continué à narguer l’opposition qui, à son avis, ne pourrait pas le renverser. Mais les PetroChallengers n’ont jamais lâché l’affaire. Loin de là !
.. Les PetroChallengers du groupe « Kot Kòb PetroCaribe » et « Nou Pap Domi” ont organisé une série de sit-in devant le siège du CSC afin que les juges publient les résultats très attendus de leurs travaux sur cette affaire. Alors que le gouvernement etait dans une impasse, la Cour a remis son rapport n ° 2 au président du Sénat, Carl Murat Cantave. Et les PetroChallengers ne s’etaient pas trompés. Le président de la République, Jovenel Moïse, est au cœur d’un scandale de corruption qui dépasse les attentes de ses opposants politiques.
La corruption est à un niveau qui suggère que ce pays aura du mal à se remettre
de son triste destin.
Ainsi, avec la publication de ce fameux rapport le jeudi 30 mai, Haïti a pris feu. Sans surprise, le pays a découvert l’ampleur des dommages. La corruption ici est à grande échelle et à un niveau qui suggère que ce pays aura du mal à se remettre de son triste destin. Les révélations qui ne font en quelque sorte que confirmer ce que tout le monde savait déjà, ont déclenché l’étincelle à laquelle tous les acteurs et secteurs cherchant à extirper Jovenel Moïse du Palais national s’attendaient.
Dans ce rapport chirurgical de 612 pages, tout a été rapporté dans les moindres détails. Tous les contrats passés sous les différents gouvernements ont été examinés pour y chercher des irrégularités, qui ne laissent aucun doute sur le caractère frauduleux de ces contrats. Le rapport n ° 2 confirme le rôle joué par tous les gouvernements qui ont bénéficié de ces millions de dollars destinés au développement d’Haïti pour engendrer un système de corruption de l’État dont les conséquences sur l’économie nationale mettent en péril la survie même de la nation.
Dans ce travail de fourmi mené par la Cour des comptes selon une méthodologie mise en œuvre dans le premier rapport, on comprend pourquoi, à partir du moment où ces révélations ont eu lieu sur la place publique, il est devenu difficile même pour les plus grands partisans du régime de ne pas se sentir gêné et menacé.
Mais une question reste à poser : est-ce le président de la République dans l’exercice de ses fonctions qui est impliqué ou l’entrepreneur Jovenel Moïse, plongé jusqu’au cou dans cet océan de corruption et de pillage d’État ? Dans ce contexte, la question peut sembler surprenante pour certains alors que tout le pays demande sa démission. Les faits qui lui sont reprochés sont antérieurs à son accession au pouvoir. Selon la loi, Jovenel Moïse peut se vanter de n’avoir rien fait de mal dans l’exercice de ses fonctions présidentielles.
L’avenir politique de Jovenel Moïse ne tient qu’à un fil. Pour le moment, il n’y a pas eu d’enquête sur sa gestion en tant que chef d’État en vertu de la Constitution. Les juges de la Cour des comptes n’ont à aucun moment indiqué dans les deux rapports que le Président de la République se livrait à des pillages dans les caisses de l’État ou à un détournement de fonds publics. Ils ont relaté logiquement les actions du PDG des sociétés Agritrans SA et Betex qui ont participé à ce vaste mouvement de corruption érigés en système. Cela étant, pouvons-nous aujourd’hui dissocier le citoyen Jovenel Moïse, ancien PDG de l’industrie agroalimentaire, et Jovenel Moïse, devenu président de la République depuis? C’est tout le débat.
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