Société

La tribune de Manuel Valls sur l’esclavage

La tribune de Manuel Valls sur l’esclavage dans Le Monde

Aujourd’hui, … je me rendrai à la Franklin House, comme je me suis rendu… sur l’île de Gorée, au Sénégal. Ces deux parcelles de l’Afrique…, disent toutes deux, avec la même force, la même émotion, la même indignation, ce que fut l’horreur de l’esclavage qui…, au nom de l’appât du gain et au mépris de l’humain, a vidé le continent africain de son énergie vitale, piétiné les sociétés africaines, nié des cultures, des savoirs, un patrimoine ancestral.

La traite négrière a été un désastre à grande échelle. Cette réalité doit être rappelée, enseignée, martelée.

Il faut toujours rappeler l’enfer de douze millions d’hommes, de femmes, d’enfants arrachés à la terre de leurs ancêtres pour traverser l’Atlantique, enchaînés, réduits à l’état de bétail, de marchandises. Combien d’atrocités, de viols, de meurtres ! C’est un crime contre l’humanité. La France l’a pleinement reconnu par la loi du 21 mai 2001, dite loi Taubira.

Il faut toujours rappeler la réalité des crimes. Il faut aussi rappeler la dignité d’un combat. Celui de ces esclaves insurgés qui cherchèrent à briser les chaînes qu’on voulait leur imposer. Ils s’appelaient Frederick Douglass aux États-Unis, Toussaint Louverture en Haïti, Louis Delgrès en Guadeloupe…

La dignité du combat, aussi, de Victor Schœlcher, celui sans qui le décret d’abolition de l’esclavage du 27 avril 1848 n’aurait pas vu le jour. Le 10 mai dernier, avec Jesse Jackson nous nous sommes recueillis sur sa tombe au Panthéon, ce lieu où la France honore ses grands hommes…

C’est la tâche des historiens de restituer la nature, la profondeur des crimes, comme la réalité des combats vers l’abolition. C’est aussi la tâche des historiens d’éclairer dans toute sa complexité la réalité de l’esclavage, sans omission, ni simplification, c’est-à-dire en évoquant, bien sûr, la traite atlantique et le commerce triangulaire, dans lesquels l’Europe a une lourde responsabilité, mais aussi les traites saharienne, océan-indienne…

Cette mémoire de l’esclavage est au cœur de la conscience de l’Afrique. Elle vit dans des lieux où chacun peut se recueillir. Sur le continent africain mais aussi dans ces lieux que la France abrite : le mémorial de Nantes, le musée de Bordeaux, le mémorial ACTe de Guadeloupe…

La mémoire ne doit pas désunir. Elle doit au contraire refermer les fractures et rassembler, dès lors que l’on fuit ce penchant terrible de la concurrence mémorielle, de la hiérarchie, de la comparaison entre les souffrances des uns et les malheurs des autres. Toutes les pages sombres de l’histoire de l’humanité doivent être dénoncées dans leur singularité. Nous devons poursuivre main dans la main – cela vaut pour mon pays, la France, et pour tant d’autres – cette longue marche vers la réconciliation des mémoires.

Une mémoire partagée, apaisée, nous arme contre le racisme, l’antisémitisme, les actes antimusulmans, antichrétiens, la xénophobie, la haine de l’autre, contre les préjugés et les discriminations – toutes ces formes odieuses d’intolérance qui continuent de nous emprisonner et d’empoisonner nos sociétés car elles sont autant de vexations, d’humiliations, de meurtrissures.

Je sais qu’il a fallu du temps pour reconnaître la réalité de l’esclavage. Je sais combien les silences, les non-dits ont pu peser sur les victimes et leurs descendants. Mais je sais aussi combien l’histoire de l’Afrique, ce n’est pas que l’histoire de l’esclavage, à laquelle on veut trop souvent la réduire. C’est bien plus que cela ! Et je sais que l’Afrique a en elle la force de s’affranchir de ce passé en faisant siennes les paroles de Frantz Fanon : « Je ne suis pas esclave de l’Esclavage ».

S’affranchir de son passé, ce n’est pas absoudre ceux qui ont pu commettre des crimes. Ce n’est pas oublier. Bien au contraire ! S’affranchir du passé, c’est connaître l’histoire et être fier de ce que l’on est aujourd’hui, fier aussi du fait que de l’autre côté de l’Atlantique, une culture afro-américaine a fleuri, dans la musique, les arts, les lettres. Déracinée, elle s’est réinventée. C’est cette fameuse Harlem renaissance dont parlait Langston Hughes qui, par un effet miroir, inspira notamment Léopold Sédar Senghor dans l’affirmation de la négritude.

Previous post

La photo d'un golfeur guadeloupéen manipulée par un groupe d'extrème droite

Next post

Bravo à la réunionnaise Lucie Ignace championne du monde de karaté

97land

97land

Des infos, des potins, des événements... Toute l'actu du 97.

No Comment

Leave a reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *