Société

LA PRATIQUE DES RITUELS AUTOUR DE LA MORT EN PLEINE MUTATION

Si la tradition de la Toussaint, oú les antillais honorent leurs morts en entretenant la dernière demeure de leurs proches et en les couvrant de fleurs et de bougies, reste vivace, Guy-Albert Medec, sociologue, n’en fait pas moins le constat de l’évolution de nos rituels mortuaires.

@Alain Hannibal

Combien de fois avons nous entendu dire par des parents plus âgés que « ce n’était pas comme ça qu’on faisait lorsque Mr ou Mme Untel était mort ! », et le fameux « An tan mwen…. », insistant sur les changements en cours au niveau des rituels entourant la mort. La question de nos pratiques au rituel entourant la mort nous interpelle sur cette mutation silencieuse, qui s’opère sous nos yeux.

I- LA LENTE EVOLUTION DES PRATIQUES DU TEMPS DE ZOBEL AUX CEREMONIES DE 2022

Dans le film « Rue Cas-Nègres » de Joseph ZOBEL, Euzhan PALCY, la réalisatrice insiste sur la solidarité qui se manifeste dès le décès d’un proche et nous avons en mémoire ces images, où tout le village converge vers la maison du défunt. Dès cet instant, le mort ainsi que ses proches seront entourés par le voisinage, entre prières et « Yé Krik Yé Krak… », où le conteur, accompagné de tambours et autres instruments locaux, retrace le vécu du disparu. Ce moment se caractérise par cet esprit de fête, où la nourriture est offerte, la fameuse soupe ainsi que les boissons (surtout le rhum) dont l’objectif est de soutenir la famille du défunt jusqu’à l’enterrement le lendemain. Nous sommes ici dans l’univers de la plantation.

La crise sucrière un élément moteur de la transformation des cérémonies mortuaires

Avec la crise sucrière, le développement économique plus particulièrement de la société de consommation et une nouvelle forme d’habitat (cités, maisons individuelles, villas..), la pratique des rituels autour de la mort s’adapte à cet environnement. La veillée se déroule toujours chez le défunt ou à défaut un lieu proche (capable de recevoir les amis) avec un rituel en 2 temps : la séquence prière d’abord puis le conteur enchaine. Le caractère festif, comme soutien à la famille demeure, de même que le service soupe et les boisons y compris le rhum. L’enterrement, le lendemain dans les 24h, car la conservation des corps ne permet pas d’aller au-delà malgré, quelques techniques héritées de la plantation.

L’apparition des morgues et les nouvelles réglementations : les nouveaux comportements

L’apparition des hôpitaux avec morgue comme l’hôpital Clarac, l’hôpital Civil et plus tard le Lamentin transformera la relation aux rituels. La possibilité de conservation du corps est allongée, mais surtout le mort est « enlevé » à ses proches et restitué pour la veillée et l’enterrement le lendemain. Les « yé krik yé krak » commence à disparaitre car de moins en moins de conteurs dans ces villes modernes. Les années 90, marquent un tournant avec la présence des morgues (capacités plus grandes), à cela s’ajoute une réglementation de plus en plus contraignante en matière d’hygiène et santé publique.

La vie en cité, comme ailleurs dans les villes (phénomènes d’urbanisation même en commune) rend impossible les veillées d’hier avec conteur ! Certaines familles (très peu) font de la résistance, en voulant que le défunt soit présent à son domicile pour la veillée. Nous sommes dans la phase, d’une certaine adaptation entre pratiques traditionnelles aux rituels et les contraintes de la modernité dans la période 1990-2010.

@Alain Hannibal

II- A L’ERE DES MAISONS FUNERAIRES ET DE LA CLE USB /L’ECRAN PLAT

Un changement dans la pratique aux rituels de la mort est un fait indéniable. Cela ne signifie pas pour autant une rupture, totale avec, au moins, un élément structurant de notre relation à la mort : le soutien. Cette présence physique auprès de la famille du défunt qui transcende les générations. Cet aspect, soutien qui domine dans nos fêtes mortuaires, ne doit point occulter l’importance des retrouvailles, pour les familles éparpillées, les amis dispersés, pour des raisons économiques ou/et professionnelles. Le mort devient un vecteur de rassemblement comme jadis sur les plantations, « Antan Siméon, M’Man Tine, Misié Mesdouze » où, tous convergeaient vers la case du défunt en signe de réconfort, aussi bien à la veillée qu’à l’enterrement. Le soin porté à la tenue vestimentaire, exprimait tout le respect et l’estime que l’on portait au défunt. Il en est de même aujourd’hui mais sur un autre registre vestimentaire, le tee-shirt avec la photo du défunt ou un emblème qu’il affectionnait, sa musique préférée, ou encore ses passions comme chez les motards !

L’apparition des entreprises funéraires : le nouveau marketing funéraire !

Les nouvelles réglementations et l’évolution du droit funéraire, ont transformé l’univers de la mort. Les entreprises funéraires se livrent une concurrence acharnée pour conquérir davantage de part de marché. Et oui ! Que de chemin parcouru depuis la création de l’espace funéraire de la Joyau, véritable révolution à son époque, avec ses box, permettant aux familles de pouvoir « veillée » en toute quiétude, sans déranger les voisins. Ou encore ces salles funéraires privées qui fleurissent sur l’ile aux fleurs, avec des prestations utilisant les mêmes stratégies commerciales de la grande distribution.

Jadis la famille se chargeait de toutes les démarches administratives, médiatiques y compris de l’office religieux. Aujourd’hui le « prestataire », l’entreprise funéraire s’occupe de tout : à l’ère des « packages » avec service de base et les options ! J’ai eu plusieurs fois l’occasion de participer aux cérémonies funéraires de proches ou d’amis dans des salles funéraires privées. L’esprit de la veillée traditionnelle demeure mais à la place des conteurs qui succédaient au temps de la prière animée par un groupe de « grandes personnes », se trouve l’écran plat. Le vécu, les temps forts du passage du défunt sur cette Terre, défile en continue, par l’entremise d’une clé USB.

L’évolution de la société, de la ruralité à l’hyper consommation, a évidemment eu un impact sur la pratique de nos rituels à la mort. Nous assistons davantage à une modification par adaptation, de certains rituels. En Martinique certains éléments comme la veillée, véritable temps fort du rituel de la mort, les moments de prière, les moments de partage autour de la soupe et des boissons, sans oublier l’autre temps fort qu’est l’enterrement résistent tout en évoluant avec son époque.

 

Guy-Albert MEDEC

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