En février 2000, Luc St Eloy bousculait « la grande famille du cinéma ». Depuis, rien n’a changé…
Aissa Maïga aurait été inspirée de reprendre à la virgule près le discours de Luc Saint-Eloy, prononcé 20 ans plus tôt. S’adressant à la famille du cinéma lors de la 25e Nuit des Cesar, le comédien guadeloupéen accompagné de Calixthe Beyala se lançait dans une diatribe contre l’absence d’artistes noirs dans le 7ème art français sous le regard bienveillant d’Alain Chabat.
Pardonnez-nous de nous introduire ainsi devant vous. Il est vrai qu’il est rare de voir à cette place des citoyens issus des minorités visibles…
Imaginez vous dans ce pays des écrans publicitaires, à la télévision, au cinéma, sur les murs de toutes les grandes villes qui vanteraient des produits de consommation, par des noirs, pour manger, pour boire, pour se laver, pour se distraire, pour se vêtir, pour dormir et éduquer vos enfants… Bref… Pour vivre…
Pour vivre simplement chaque instant, chaque jour chaque semaine chaque année. Et cela depuis la naissance de la radio, de la télé et du cinéma.
Interrogé par la scénariste Florence Combaluzier-Kromwel en 2007, Luc Saint-Eloy est revenu sur cet happening.
« Lors de notre intervention au cours des Césars, nous avons parlé au nom des peuples noirs, au nom de toutes les communautés visibles, au nom de l’Afrique et des Antilles et c’était une première… Le combat à mener est dans leurs têtes et dans nos têtes ».
Le texte a été écrit très rapidement
« Le texte a été écrit très spontanément, le jeudi soir où nous avons appris que nous avions deux invitations pour la cérémonie… Le texte a donc été écrit très rapidement, à deux, pratiquement d’un seul jet. On l’a revu le samedi après midi avec Jacques Martial ».
Une angoisse qu’il fallait maîtriser
« Nous avions deux invitations qui nous permettaient d’être à l’intérieur du théâtre des Champs Elysées, mais les places étant numérotées et réservées, nous étions installés au deuxième balcon, donc très loin de l’espace scénique. Nous avons plusieurs fois essayé de descendre et d’accéder au rez-de-chaussée. Ce dernier étant réservé aux nominés, aux institutionnels, nous avons été arrêtés à chaque fois.
Nous avons alors décidé, vers 21 h 15 de passer par un escalier qui nous faisait arriver vers la porte la plus proche du rez-de-chaussée, où une équipe importante de membres de la sécurité regardaient la cérémonie sur un petit écran. On a attendu patiemment derrière eux, et quand ils s’y attendaient le moins, on est passé en disant que c’était à notre tour de parler. On a ouvert brutalement et rapidement les portes et on est montés directement sur la scène. Evidemment, on ne se sentait pas à l’aise, même si on était sûrs de l’importance de notre démarche. On a eu peur d’être happés juste avant d’arriver sur scène ou d’être coupés au milieu de notre discours et expulsés de l’espace scénique. Donc nous avions quand même une grosse angoisse, qu’il fallait maîtriser, ne pas montrer. C’était donc un pari à gagner, avec souplesse, avec élégance et je crois que nous nous en sommes bien sortis.
On a vu des noirs à l’écran
Avant de pouvoir prendre la parole, j’ai eu le temps de dire à Alain Chabat, qui présentait la cérémonie, de se rassurer puisque nous ne voulions adresser qu’un message d’espoir. Alain Chabat nous a demandé d’attendre que la personne qui était alors sur le plateau finisse son discours avant d’entrer en scène.
Je crois que le réalisateur, dans ce court temps d’attente, a reconnu Calixthe Beyala et s’est rendu compte que nous allions prendre la parole au nom du Collectif Egalité. Il a donc cherché dans la salle où étaient les noirs. Il a fait fort, puisque sur les deux mille personnes qui étaient là, il a réussi à trouver les cinq, six noirs qui étaient présents. Je ne sais pas s’il a voulu cautionner ou non notre discours mais en tout cas on a vu des noirs à l’écran. On a pu voir Melvin Van Peebles, qui est un des plus grands réalisateurs noirs américains, et qui, soit dit en passant, était lui aussi au balcon et non avec le gratin du bas.
Un hommage à Darling Légitimus
Personnellement, ce qui m’a le plus touché et scandalisé, à part le fait qu’il n’y ait, une fois de plus, ni acteur ni réalisateur noir nominé, c’est qu’à aucun moment il n’ait été prévu au cours de cette cérémonie de rendre un hommage à Darling Légitimus. Son nom n’a même pas été cité lors de la séquence nécrologique qui a eu lieu quelques minutes après notre intervention. Darling avait donné un grand prix d’interprétation à la France à la Mostra de Venise et pourtant aucun représentant du ministère de la culture n’était présent à son enterrement. J’avais été aussi scandalisé lors de la mort de Serge Sommier, qui avait notamment travaillé des années avec Michel Drucker, et dont la disparition avait été passée sous silence à la télévision. Donc nous avons donné un prix en notre nom à Darling et je pense définitivement que notre intervention était justifiée et nécessaire…
Le système français est hypocrite
Le système français est hypocrite. Il n’existe pas de loi contre les noirs, mais cela ne signifie pas que tout aille bien en France… Nos ancêtres ont gagné leur liberté, en brisant leurs chaînes. Leur liberté s’est arrachée, avec leur sueur, avec leur sang. Le respect s’arrache aussi et nous l’arracherons exactement comme nos ancêtres l’ont fait. Nous arracherons l’honneur et le respect. Point final ».
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