Victoire Jasmin : En Guadeloupe, nous sommes confrontés au vieillissement de la population et au chômage massif
Inconnue du grand public il y a encore un mois, la sénatrice Victoire Jasmin nous reçoit dans la salle des Conférences du palais du Luxembourg. Mornalienne, mère de 3 enfants, cadre de santé, responsable de laboratoire de microbiologie au CHU en Guadeloupe après avoir débuté à l’Institut Pasteur, elle a participé à des travaux de recherche avec l’INSERM, l’Unité 91 en coopération avec l’hôpital Henri Mondor aboutissant à l’ouverture du centre de drépanocytose en Guadeloupe. Elle est aussi cosignataire d’une publication sur la découverte de l’hémoglobine Roseau-Pointe à Pitre.
Par mon militantisme, les guadeloupéens se sont familiarisés avec moi
97L : Comment passe-t-on de la vie civile à la politique ?
V.J : Je suis une militante associative. J’ai une très longue expérience dans ce domaine. J’ai présidé plusieurs associations : l’inter-laboratoire d’analyses médicales en Guadeloupe, la Fédération des Associations de Parents d’Elèves de Guadeloupe la FAPEG sans compter que je suis membre de F.O.R.C.E.S. une fédération féminine. Par mon militantisme, les guadeloupéens se sont familiarisés avec moi et je pense que c’est ce qui a favorisé mon entrée dans le monde politique.
En fait, je fais de la politique depuis 2001. En 2002, j’ai été suppléante d’un candidat aux législatives dans le 2ème canton de Morne-à-l’Eau. L’objectif était surtout de faire entendre notre voix. En 2008, Mr Lombion m’a placée sur sa liste en première position devenant ainsi de 2008 à 2014 1ère adjointe au maire. Puis, en 2014 en raison d’une fusion de listes je me suis retrouvée en 3ème position. En 2016, suite au décès du maire, le nouvel élu a souhaité que je sois sa 1ère adjointe jusqu’aux élections sénatoriales du 24 septembre.
Nous avons été plébiscités par les Grands Electeurs
97L : Parlons justement de cette élection.
V.J : J’ai été élue sénatrice sur la liste menée par Victorin Lurel, « La Guadeloupe au cœur de notre action ». Placée en 2ème position, nous avons été plébiscités par les Grands Electeurs. J’ai donc abandonné mes fonctions d’adjointe pour représenter les Guadeloupéens au niveau national mais afin de poursuivre le travail entamé localement, je reste tout de même une petite conseillère municipale. J’espère ainsi faire remonter au Sénat les problématiques dont mes collègues et la population me feront part.
Je me dis que les gens croient encore aux élus
97L : Vous sentez-vous légitime, n’étant pas élue au suffrage universel direct ?
V.J : Je crois que oui. C’est vrai que c’est un vote particulier, l’ensemble de la population n’y est pas conviée, mais ils ont montré de l’intérêt à ma candidature. Quand je vois les réactions sur les réseaux sociaux suite aux résultats, les espoirs mis en moi, je me dis que les gens croient encore aux élus. On m’a demandé de l’aide, de trouver des solutions dans des domaines très différents. Notre rôle est de proposer des alternatives afin d’améliorer les conditions de vie des concitoyens. Mais je rappelle que notre fonction a des limites de par la législation. Nous sommes là pour contrôler et amender les propositions de lois.
Agir sur le quotidien des familles
97L : Pourquoi avoir choisi la commission des affaires sociales ?
V.J : C’est une suite logique de mon engagement tant professionnel qu’associatif, jalonné de rencontres dans des domaines très variés. Cette commission touche au logement, à l’habitat, la petite enfance, les personnes âgées, la famille, les anciens combattants entre autres soit une commission assez vaste au cœur de nos problématiques. C’est agir sur le quotidien des familles. Tout le monde est concerné.
En Guadeloupe, nous sommes confrontés au phénomène du vieillissement de la population et au chômage massif. Permettre que les aînés puissent rester le plus longtemps possible à leur domicile et agir sur la formation professionnelle et l’emploi sont mes challenges.
Récemment il y avait la semaine bleue des personnes âgées. Il y a des EHPAD, mais les familles y répugnent devant les contraintes financières. Avec les petites retraites de chez nous, le maintien à domicile avec des aidants est donc une priorité. Il faut aussi aider les personnes âgées dans leurs démarches. Par méconnaissance ou par absence d’accès à internet, vous pouvez vous retrouver en rupture de droits. Une personne ressource résoudrait ces difficultés. Avec Mme Jegu de l’IREPS (Instance Régionale d’Education et de Promotion de la Santé) nous sommes en train d’y travailler accompagnés par l’ARS. Lors de l’ACCD’OM l’Association des Communes et Collectivités D’Outre Mer il y aura la présentation d’un outil réalisé par des jeunes du lycée de Port Louis.
J’ai rencontré la Ministre des Outre-mer j’ai insisté sur la difficulté pour les étudiants en BTS, en formation en alternance ou des contrats de qualification pour trouver un stage en entreprise. On a un marché relativement restreint : le premier écueil, trouver une entreprise, le second la gratification. Trop souvent les jeunes abandonnent leur formation bien qu’ils aient accompli la partie théorique faute d’un employeur. La législation prévoit qu’ils reçoivent une indemnité. J’ai donc interpellé la ministre sur ce problème pour nos jeunes qui veulent étudier, sont motivés, mais n’ont pas toujours les réponses adéquates.
Je n’attends pas grand-chose des Assises
97L : Votre opinion sur les Assises, un temps menacées de boycott par les élus guadeloupéens ?
V.J : Il y a eu les états généraux en 2009 suite au mouvement social. On en a un peu parlé sur le moment, puis plus du tout ensuite. En tout cas, il n’y a pas eu le retour attendu.
Avec les Assises, il faudra se poser les bonnes questions, exploiter au mieux les réponses proposées, voir ce qu’on peut faire pour améliorer le quotidien de chaque guadeloupéen mais aussi se pencher sur les besoins des entreprises. Nous sommes dans un environnement caribéen. Nos entrepreneurs doivent s’adapter aux problèmes de langue, de transport.
Je n’attends pas grand-chose des assises, mais j’y participerai dès que j’en aurai l’occasion. Je verrai ce que cela va donner en termes de finalité. Cependant, si on parle de l’avenir de mon île, je me dois d’être là.
Un mot sur la fronde des élus guadeloupéens concernant les contrats aidés. Cette mobilisation était indispensable. Cela prouve que nous savons être solidaires. Maintenant il faut actionner tous les leviers qui peuvent créer de l’emploi.
Je ne suis pas rancunière mais pas amnésique non plus
97L : En tant que femme antillaise, que pensez-vous de l’hashtag balance ton porc et de ses milliers de témoignages de femmes harcelées ?
V.J : Je suis du genre à être cash. Je dis en temps réel ce qui va ou ne va pas. Je n’ai jamais supporté que l’on m’impose des choses. Je ne vais pas forcément balancer mais j’ai toujours recadré si nécessaire. Quand on vous dit quelque chose de blessant, en répondant spontanément, votre interlocuteur doit être gêné par ses propos ou son attitude. Je n’ai pas de porc à balancer mais j’ajouterai cependant que si je ne suis pas rancunière, je ne suis pas non plus amnésique.
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