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« Zot sé des fuck…ng hypocrites ! »

Balance ta Tik Tokeuse Gwada RBL971 ou alors « zot sé des fuck…ng hypocrites ! »

Bon, voilà comment ça s’est passé. L’équipe brain-trust de 97land fourbissait ses armes. L’un d’eux m’a dit : « Théo, avec ta notoriété, les internautes te réclament, ils sont friands de tes analyses percutantes et de tes articles qui décryptent tous les faits de société, on peut te le dire maintenant, ne joue pas au modeste. Peux-tu nous livrer tes réflexions sur une nouvelle star dans le monde des réseaux sociaux ? En plus, c’est une guadeloupéenne ! »« Lé rézo sossio cé pa ma kame » ai-je dit imitant Wedjene de l’Académie Francaise. J’ai fait semblant d’être circonspect. J’ai avancé mes arguments. Il s’agissait d’un dossier complexe. Mais leurs propos laudateurs ont eu raison de mes dernières réticences. De plus, si cela peut me permettre d’éviter pour une fois les coups bwa de Chalussiens, Marie-Jeanniens, Lureliens, Letchimiens…

Avec un regard quasi-scientifique, j’ai donc pénétré l’univers Tik-Tok qui m’était inconnu et découvert RBL971 « simple, drôle et folle ».

Un internaute s’offusque et lui balance : Qu’est-ce que tu veux, parce que tu es indienne, tu veux un hymne et un drapeau ? Tu te revendiques indienne ? Elle répond : « Indien en créole, ne s’écrit pas zindinyin. Oui, je veux un drapeau avec un cabrit’ dessus parce que nous aimons les colombos de cabrit’ et ensuite je veux un hymne mais sur le drapeau, il faudra obligatoirement marquer à ton intention, coun… a manmanw ». Elle chante Nigeria, Nigeria, « Depuis la Guadeloupe, je chante avec vous. Je trouve qu’on ne parle pas assez de ce qui se passe sur le continent africain, On ne tire pas sur le peuple. (Elle fait ainsi référence aux manifestations récentes dans le pays réprimées brutalement).

Un message délicieux apparaît. « Ne vous gênez pas pour retourner au Nigeria ». Un adepte des Praud, Zemmour & Co ? Elle sort de ses gonds.

« Je ne supporte plus ce racisme, j’aime et j’assume ma couleur de peau. Je suis guadeloupéenne, mais j’ai plusieurs origines. Néanmoins, je reste une femme noire. Tout ce qui touche à la communauté noire, forcément ça me touchera. Et ton cœur est plus noir que ma peau. Oui j’ai plusieurs origines, indienne et guadeloupéenne. Je m’adresse aux personnes racistes. Ta peau est peut-être plus claire que la mienne. Tu es raciste, mais malgré ça, ça ne t’empêche pas de venir chez nous pour prendre du soleil an coun… mamman zot. Zot ké toujou rété dé moun fades, des « pommes de terre sans sel » ».

Ses extensions capillaires sont commentées. Elle rétorque. « Tu as demandé ka i mété en têt ay’. En ka trouve’y fresh, i ka ban mwen swag, pwel a manman’w. Di manman’w arété vend pwel ay, pwel a manman’w ! ». Comment ne pas songer à Ti Fabrice avec son « Man Ogis, di fé en pwel aw’ ! »

D’autres internautes font ressortir les fautes d’orthographe. Elle n’hésite pas à leur répondre (en parlant de telle cédille qui manquerait, des accords mal placés), « Voyey’ ba manman’w ».

La nouvelle application préférée des pré-ados connaît un succès fulgurant.

De très nombreuses jeunes filles s’y déhanchent (et jeunes gens). Il s’agit de chanter sur les morceaux du moment en agitant les lèvres, reproduire les chorégraphies des clips les plus en vogue ou encore rejouer les scènes cultes de certains films.

A l’aide d’un puissant algorithme, Tik-Tok fait de n’importe qui une pseudo-star, nous prévient le site Geeko.

Tik-Tok peut faire peur, car il entraîne l’hyper-sexualisation des plus jeunes, avec une frénésie de danses sexy, et danses du ventre, un fléau insidieux. Plus les jeunes se mettent en avant, plus ils ont des likes, ce qui entraîne une dérive des contenus. Dans le flot des vidéos, l’algorithme de l’application fonctionne de telle manière que vous verrez en priorité celles qui sont susceptibles de vous plaire. Plus vous regardez, plus vous allez aimer…

Il faut plaire physiquement. Tout est calculé pour plaire le plus possible. Les jeunes sont assez peu vêtus en général. Alors que la limite d’âge est en principe de 13 ans, des enfants très jeunes de 9 et 10 ans ont été approchés par des pédophiles.

Tout un réseau de pédophiles nichés sur Tik-Tok, se livre à des commentaires demandant aux gamines (et aux gamins), leurs snap, de véritables prédateurs se livrent à des commentaires déplacés, c’est un catalogue en libre-service de contenus sexy. Les témoignages d’emprise, de chantage et violences sexuelles, se multiplient.

Une jeune fille a mis en ligne les échanges avec un pédophile alors qu’elle n’avait que 13 ans.

– Je vais te mettre des coups de fouet

– T’en as l’habitude n’est-ce pas ?

– Ouh – Excuse- moi. C’est ta sœur que j’ai dû violer.

L’autre côté pervers est le déversement de moqueries qui peuvent perturber les très jeunes. C’est un univers où les méchancetés gratuites abondent. Ça c’était pour le cadre conceptuel et général tiktokien.

Mes investigations ont ensuite porté plus précisément sur RBL971.

1ere remarque : RBL 971 est une mère de famille, et non pas une gamine de 13-14 ans. Est-ce, me suis-je demandé, perplexe et rêveur, parce que chaque femme porte en elle une force instinctive, riche de dons créateurs et de savoir immémorial ? La société et la culture n’auraient-t-elles pas trop souvent muselé cette femme sauvage, afin de la faire rentrer dans le moule réducteur des rôles assignés ? * 2ème remarque : RBL971 a un physique agréable. Elle aurait pu être notre fille, notre sœur, notre mère (cela dépend des générations). La mienne « consciente » n’imaginait pas engendrer la Millennial puis la GenZ.

Nous sommes à l’opposé de la tiktokeuse, « plongée dans l’esthétique corporelle d’une jeunesse totalement clonée : toutes, les cheveux longs ; toutes, la poitrine très rehaussée ; toutes, le tee-shirt taille XS ; toutes, le ventre ultra-plat, nombril dénudé ; toutes, les fesses rebondies ; toutes, quasi le même visage lisse et mutin. C’est complètement flippant. D’autant plus dérangeant qu’elles dansent toutes de la même manière, déhanchant du petit popotin et balançant leurs seins en avant. Une gestuelle hyper-sexualisée reproduite à l’infini par des très jeunes filles qui se copient dans le monde entier ».

Non, RBL971 présente quelquefois, juste ce qu’il faut des petits décolletés avantageux, ses vêtements sont seyants, elle arbore de jolies tenues. Je parlerais de sensualité plus que de sexualité. Bravo ! Bon point.

3ème remarque : Le visage mutin disparait quand on l’attaque, et elle peut devenir féroce, les yeux révulsés. Mais à sa décharge, il semble très souvent que c’est pour la bonne cause. Un vieux pervers n’arrête pas de lui faire des live cochons, elle s’emporte (à juste titre). « Ils montrent leur sexe par l’intermédiaire de Tik Tok, à des enfants, sans que personne ne les poursuive, mais moi quand j’injurie, tout le monde est choqué ».

4ème remarque : L’ennemi n’est jamais vraiment celui auquel on pense. Ses plus grands détracteurs seraient des femmes, si on comprend bien. « Suis-je une femme vulgaire ? Il y a certaines femmes noires qui partagent la vidéo en disant que je suis une vulgaire. Alors les filles, zot sé des fuck…ng hypocrites. Zot sé lé premié fanm ka kambré zot’. Lang a zot en lan…(Djet X-Ret Cézi ndlr pour un peu de poésie) en mwen, sé sa zot enmé ».

Même sa voisine ? Sur une des vidéos, elle affiche « Ma voisine me regarde ». Là fais attention RBL971, il vaut mieux être en bons termes avec ses voisins.

Elle classe les femmes en deux catégories. Il y a de nombreuses femmes qui s’assument, et les autres. « On n’est pas responsables de vos frustrations ». Il y aurait les femmes pionnières, décomplexées, enthousiastes, et les femmes de second niveau des «golèt ».

Supériorité narcissique du fait de son succès ? Remarquez, elle a la franchise de ses opinions. Nous nous proclamons volontiers impartiaux, démocratiques, mais nous procédons tous à une classification systématique des individus.

Et pour soucrer un peu plus le couteau dans la plaie, elle n’hésite pas à s’exclamer « Vive les bars à pangnol », ces filles de Saint-Domingue qui affolent les femmes antillaises parce qu’elles leur arrachent leurs maris, mais qui ont le mérite d’être claires dès le départ dans leurs intentions avec les hommes.

5ème remarque : Si les contrecoups de la célébrité peuvent la perturber, « laissez-moi vivre ma notoriété ! N’essayez pas de foutre la merde dans mon couple. Ka zot ka raconté la, il dit que tu le fais ch… Mais bande de fuck… Sé mwen ki en kaz eve’y é sé evè mwen i fê premyé ti moun ay », son cercle de fans ne cesse de s’agrandir. « Oh my god, aujourd’hui j’ai vu RBL971, j’ai buggé sur le moment, si tu vois cette vidéo sache que je t’adore ». « Enjoy, les gars. Ma préférée tik tokeuse française. Je la trouve drôle, belle, je la trouve juste, gentille avec tout le monde. Dites, arrêtez de faire des commentaires sur elle, quand elle répond à vos commentaires. Vous allez dire : Ah, elle dit des gros mots, mais c’est vous qui la cherchez. C’était juste pour te dire je t ’aime très très fort, RBL971 ».

Les commentaires élogieux proviennent d’Australie, du Canada, de l’Afrique, des Etats-Unis, des Caraïbes, de l’Europe, du monde entier. « Es-tu réunionnaise, J’aime trop quand elle parle comme ça, Meuf je t’adore, Elle est géniale, elles veulent te pousser à bout, Ou mérité kalté gwo Mcdo, (ça doit être un compliment), le macrelage de l’antillais, ou otantik, moi chui haïtienne je t’adore ».

6ème remarque : Est-ce une stratégie marketing ? Injurier pour dominer ? Serions-nous dans une posture mûrement réfléchie ? Certains indiquent que par cette « stratégie de nuisance langagière », une entreprise de domination féminine, tisse sa toile pour obtenir ce qu’elle souhaite, et parvenir à ses fins.

La vulgarité, qu’est-ce que c’est ? Lisez l’excellent article de Mircea Austen 12 février 2017 par Madmoizelle.

Être vulgaire, c’est l’apanage du « petit peuple ». Car oui, à la base, ça vient de là. Vulgus en latin, le bas peuple, le commun, la masse. Sauf que de nos jours, on est toujours le vulgaire de quelqu’un, sauf à être l’empereur, tant les recompositions sociales peuvent être soudaines et dramatiques. De plus, l’acception moderne de populaire, c’est ce qui est à la mode.

Il ne s’agit plus de se faire aimer par l’élite, mais par le plus grand nombre. Il existe donc une relation très forte entre la vulgarité et la popularité que certains communiquants vont s’approprier.

Être vulgaire, l’apanage des femmes ? On est en droit de se poser la question tant certaines l’ont bien compris. Il n’est pas courant de voir une femme jouer avec les normes de la société. Aussi les pop-stars femmes « font de la vulgarité » un argument de vente.

Plusieurs éléments contre toute attente, sont assez positifs dans l’opinion des fans. Cette femme est provocante, donc elle mérite de faire la une. Peut-être pourrait-on même dire qu’elle est courageuse. Elle s’assume. Elle est en avance sur son temps. Ceux qui ne l’aiment pas sont réactionnaires. Cette femme est proche des gens. Elle n’est pas snob.

RBL971 se distingue des autres tiktokeuses parce qu’elle est une star, les autres seraient des bêtes curieuses à regarder, un exemple à ne pas reproduire à la maison. (une m’a tellement fait de peine que j’ai préféré ne pas la citer). Mais surtout si ces femmes, se dévoilent autant sur les réseaux, c’est que selon moi, Tik-Tok leur apparait contradictoirement comme refuge et terrain de jeu. On devient addict au jeu. Elles dansent convulsivement sur Tik-Tok, peut-être pour respirer dans cet étau de folie qui menace de nous broyer tous.

La route n’est pas longue au volant d’une Range-Rover. La vie doit paraître également moins longue lorsqu’on est sur Tik Tok.

Quant aux injures quelquefois proférées, me direz-vous ?

Gustave Flaubert dans une Lettre à Louise Colet, le 28 juin 1853, écrivait : « En fait d’injures, de sottises, de bêtises, etc.., je trouve qu’il ne faut se fâcher que lorsqu’on vous le dit en face. Faites-moi des grimaces dans le dos tant que vous voudrez, mon cul vous contemple ». Non, pas le mien, pas celui de Théo…

Everyone is a fuck…ng hypocrite.


*Clarissa Pinkola Estes dans « Femmes qui courent avec les loups »

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Théo LESCRUTATEUR

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