Une population antillaise prête à flamber au contact de démagogues ?
GUADELOUPE : UN PROLETARIAT EN HAILLONS PEUT-IL SE PREVALOIR DE NOTRE PROPRE TURPITUDE ?
« Merci Jocelyn Sapotille, pour ce que tu as fait, mais ne pense pas que tu te serviras du conflit pour ta politique » ! C’est la fin de non-recevoir de l’UTC-UGTG suite à la sortie médiatique du président de l’association des maires de Guadeloupe.
Les agents communaux en grève en Guadeloupe peuvent-ils prospérer et exiger des revalorisations de carrière parce qu’ils font partie d’un lumpenprolétariat (prolétariat en haillons) ?
Les analystes du XIXème siècle avaient affirmé que le lumpenprolétariat qui paraissait être un milieu flottant, louche, inorganisé, dans lequel il n’y a ni travail, ni revenu fixe, ne saurait engendrer une conscience révolutionnaire. Il fournit, en revanche, un terrain privilégié aux aventuriers qui s’emparent de l’appareil d’Etat par la violence, quand la domination bourgeoise ne peut plus s’exercer par des moyens pacifiques.
Le schéma de l’interprétation a été fixé dans le 18 Brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte. Marx y développe l’idée que Louis Napoléon n’a pu conquérir le pouvoir qu’en prenant appui sur un ramassis de « vagabonds, soldats en rupture de ban, repris de justice, galériens évadés, escrocs, charlatans, clochards, pickpockets, filous, tricheurs, maquereaux et patrons de bordel, portefaix, écrivailleurs, joueurs d’orgues de barbarie, chiffonniers, bohémiens, mendiants-, bref, toute cette masse diffuse et inorganisée, ballottée de ça de là ».
On remarque, en passant, la piètre estime qu’avaient les théoriciens révolutionnaires à l’égard des classes laborieuses !
La paupérisation de nos sociétés aurait considérablement élargi la couche du lumpenprolétariat, et créé de fait une couche de population prête à flamber au contact des démagogues de l’Etat total (dictatures fascisantes) ou si l’on se réfère alors à nos régions, dans le cadre des conflits municipaux actuels, d’un syndicalisme totalisant.
Frantz Fanon estimait dans Les Damnés de la Terre que, pour les pays colonisés, le lumpenprolétariat pouvait autant constituer un potentiel contre-révolutionnaire qu’un potentiel révolutionnaire.
« Fanon montrait clairement que si vous ne l’organisiez pas, si l’organisation ne repose pas sur lui, si elle ne prend pas pour base le maquereau, le truand, le chômeur et l’opprimé, le frère qui attaque les banques et qui n’a aucune conscience politique – c’est cela le Lumpenproletariat –, si vous vous désintéressez de ces types, c’est le pouvoir qui va les prendre en main, contre vous » (Bobby Seale, À l’affût. Histoire du Parti des Panthères noires et de Huey Newton, Gallimard).
Nemo auditur propriam suam turpitudinem allegans
Jocelyn Sapotille, dans la logique de guerre syndico-anarco-municipalo-prolétarienne paroxystique dont l’origine fut l’électoralisme vicié des maires sous couvert de pansement social (à leur décharge, nous dirons que les chemins de l’enfer sont pavés de bonnes intentions), semble appliquer l’adage : « Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ». Le principe d’un accord-cadre est selon lui inenvisageable.
L’UTC-UGTG dans sa volonté farouche d’obtenir des promotions pour ses adhérents et le personnel municipal, oublierait une notion fondamentale en matière d’avancement d’échelon ou de grade : le mérite.
Rappelons que le principe « nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude » s’applique pour bloquer le jeu des restitutions consécutives à des contrats dont la cause est immorale.
En général, il est utilisé pour empêcher une personne de bénéficier de ses actes illicites, par exemple, pour une personne ayant tué son conjoint de toucher une pension de réversion.
L’UTC-UGTG veut-elle tuer les Mairies en Guadeloupe tout en empochant pour les fonctionnaires territoriaux concernés des revalorisations salariales substantielles ne reposant sur aucune règle de droit ?
Dans cette drôle de Guadeloupe où les signes du progrès (écoles, universités, hôpitaux ) sont devenus la marque de la décadence, où l’armature idéologique du syndicalisme est le rapport de forces, dans un pays coupé dans son espace physique (barrages, blocages ), et dans sa représentation morale (pouvoir politique discrédité, faillite des élites), nous savons depuis la sophistique du Gorgias de Platon que le langage est un instrument de manipulation des masses et de conquête du pouvoir, ainsi qu’un moyen d’agir sur les classes populaires. Les sophistes, au contraire des philosophes, sont des illusionnistes.
Pour Platon, dans le Gorgias, le savoir-faire rhétorique est une partie de la flatterie et une contrefaçon de l’art politique.
Il ne s’agit jamais de faire des démonstrations rationnelles. On utilise la suggestion de masse, l’appel aux émotions.
L’usage de la vulgarité est lourd de conséquences
Nous savons aussi que pour dialoguer, encore faudrait-il tenir un langage courtois et policé.
Pour Alain Bentolila, le vif échange au Salon de l’agriculture entre le président Sarkozy et un citoyen provocateur, illustrait une incapacité à adapter son registre de langage à sa fonction. Il y a deux façons de choisir un registre de langage, analysait le linguiste. S’adapter à une situation donnée et ouvrir la porte à l’émotion, ou avoir conscience de qui l’on est et des obligations liées à son statut. Un dirigeant ne peut pas se contenter du premier registre (La Croix du 25/02/2008).
Cet usage de la vulgarité, au sommet de l’Etat, est à la fois inquiétant, et lourd de conséquences, estimaient les linguistes.
Nicolas Sarkozy ne connaissait pas l’homme qui l’interpellait. Il aurait dû chercher des mots élaborés pour convaincre, donner une chance au dialogue plutôt que de choisir l’insulte.
En brouillant les pistes (le président de la région Guadeloupe paraît avoir adopté la même ligne que l’ex-président Sarkozy en formules outrancières, l’enseignant guadeloupéen cadenassant écoles primaires, collèges et lycées, et brûlant les livres), on finit par rendre acceptable ce qui ne l’était pas, et ce dans n’importe quel domaine. Une mère de famille en Guadeloupe est convaincue de sa légitimité à diffuser des montages photos d’enseignants, pour le problème des masques à l’école. Il s’agit d’un terrorisme symbolique.
L’antagonisme devient fatal.
Des individus stupides qui font partie d’un réseau stupide
Notre faillite est aussi morale. Dans la malheureuse dérive du fils de Firmine Richard, nous reconnaissons notre déchéance collective.
Nous nous reconnaissons en toutes ces victimes et en tous ces assassins, car comme le disait très humblement Hippomène Leauva, « par la faute de mon fils, deux familles sont dans la douleur ». Keneff Leauva avait déjà été impliqué dans d’autres affaires, qui avaient eu un retentissement national, avec des accusations d’homophobie, qui avaient valu à sa victime, 30 jours d’ITT, des traumatismes faciaux ou cervicaux, des hématomes en pagaille, un doigt cassé.
Nous surfons en rivalités morbides sur les réseaux sociaux, terreaux fertiles à la bêtise et à la mégalomanie aigüe.
Dans ces fenêtres virtuelles, trop de nos compatriotes s’engouffrent.
Nous sommes devenus « des individus stupides qui font partie d’un réseau stupide… qui devrait être interdit en France », avait résumé l’avocat du prévenu Vireak Mau, en fin d’audience.
Irons-nous voter ? L’actualité proche sera aussi politique avec les élections annoncées en juin, même si tout cela semble risible.
Aura-t-on un peuple rassemblé derrière un pouvoir inspiré, ou d’une désespérance stérilité ?
Nous sommes nombreux à nous poser la question. Les richesses dont l’homme antillais est porteur ne se sont-elles pas taries à la source ?
La sédimentation en couches géologiques d’une Guadeloupe en crimes, en détournement de fonds, en fermetures d’écoles dans l’invective et l’insulte, en saccage de bananeraies, en pollutions environnementales, n’est-elle qu’une malformation passagère, une anomalie provisoire de notre expression au monde ?
N’est-elle pas une insulte à une jeunesse brillante ?
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