Nous mourons aux Antilles de désespoir et de soif
Tourner le robinet ne sert à rien. La situation en matière de distribution d’eau n’a jamais été aussi catastrophique aux Antilles, curieusement depuis les dernières élections.
Les secteurs géographiques qui semblaient échapper aux coupures sont rattrapés par la pénurie liquide. Si l’eau exceptionnellement est disponible, cela se traduit par « les vies brisées du chlordécone ».
De l’article de GEO du 27/07/2018, « En Guadeloupe, l’eau courante n’existe pas », à l’article de Mediapart du 12 juillet 2021, « En Guadeloupe, l’eau courante est devenue un luxe », la Guadeloupe semble être devenue ce territoire de naufragés.
« Naufragé volontaire » ? Vous souvenez-vous d’Alain Bombard ? Selon la formule du célèbre médecin, il voulait prouver que « les naufragés meurent de désespoir, non de faim ou de soif », par référence au radeau de la Méduse.
Et si en Guadeloupe les naufragés mouraient de soif et de désespoir ? Dans le meilleur des cas, devrait-on dire : Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés.
Mais d’abord rappelons l’histoire du radeau de la Méduse. La frégate française a une mission en cette année 1816. Récupérer des comptoirs commerciaux occupés par les Britanniques au cours des guerres de l’Empire, près du Sénégal.
Le commandant De Chaumareys, détesté par tout l’équipage, prend de l’avance sur les autres navires, plus lents que le sien. Il s’échoue sur un banc de sable pourtant indiqué sur les cartes.
L’équipage ne perd pas de temps. Les marins bâtissent un radeau pour y mettre le matériel et alléger le navire.
Mais une vague vient frapper le bateau. Il n’y a pas assez de canots de sauvetage.
150 personnes sont envoyées sur le radeau. Trop lourds, trop nombreux, les hommes ont de l’eau jusqu’au bassin. Il leur est impossible de s’asseoir, de s’allonger.
La première nuit, vingt hommes se donnèrent la mort sur le radeau. Sans vivres et sans moyen de se diriger, ils n’imaginaient pas pouvoir survivre.
Au quatrième jour, les soixante-sept survivants durent se résoudre à l’anthropophagie.
Sur la célèbre toile de Géricault, Jean-Charles, soldat noir, est le seul espoir du tableau. Il agite son mouchoir en direction de l’Argus, un navire qui apparait à l’horizon. Il tient la main blanche d’un autre soldat, symbole de fraternité.
Alain Bombard, lui, sur un canot pneumatique, « l’Hérétique », finira par toucher terre à la Barbade le 23 décembre 1952 après 113 jours de mer. Il est dans un état de santé déplorable ; souffrant d’anémie et ayant perdu 25 kilos, il doit être hospitalisé. Il acquiert une renommée mondiale.
Après avoir rencontré Alain Bombard à Tanger en 1952, l’allemand Hannes Lindermann effectua en 1955 une traversée de l’Atlantique en solitaire en pirogue. Il conclut aux effets néfastes de la consommation d’eau de mer. Linderman estime donc, sans en apporter la preuve, que Bombard avait embarqué une réserve d’eau à bord de l’Hérétique, et qu’il devait avoir été ravitaillé secrètement en pleine mer.
Peu importe d’ailleurs. S’il est vrai que guadeloupéens et martiniquais ont embarqué des réserves d’eau, en aucun cas, ils ne sont ravitaillés secrètement en pleine mer.
Dans les eaux glacées du doute, le naufrage démocratique, sanitaire, humain, aux Antilles, est palpable.
Bombard avait envisagé un moment de faire carrière dans la musique, et ce serait le compositeur Igor Stravinsky, son ami, qui l’en aurait dissuadé.
Un message donc à l’intention de tous ces hommes et femmes politiques, qui font preuve d’amateurisme, dans la gestion et la conduite des affaires publiques, plongeant Guadeloupe et Martinique dans la spirale du déclin infernal. Ils sont certainement remplis de bonne volonté, on n’en disconvient pas. Mais n’ont-ils pas des amis qui leur déconseillent de faire de la politique ?
Dans les descriptions des sociétés idéales, se trouvent d’ordinaire prédites et décrites de mirobolantes inventions d’instruments ou de machines destinés à améliorer la vie de l’homme. Le vol humain à partir du tunnel de Perrin aux abymes, la navigation sur et sous le niveau de la mer (bus de mer depuis Jarry). La population guadeloupéenne demande simplement de nos jours des tuyaux qui ne « pètent » pas.
Rose-Marie Dethier dans « S’enraciner pour exister : l’homme du désastre » (cahiers internationaux de psychologie sociale, année 2014, numéro 104), écrit que nos contemporains avaient oublié l’intégration douloureuse et salutaire de l’ombre. Les mythes fondateurs sont fissurés. Midas comme la Modernité nous rappellent que quand on ne donne pas la place à un élément, celui-ci se venge en revenant sous une forme extrême. Il est certain que la rivière de la Lézarde à Petit-Bourg, asphyxiée par une dérive urbanistique insensée se vengera tôt ou tard. Ce qui fait frémir, c’est que la même municipalité avait présenté un projet de golf en montagne d’une soixantaine d’hectares, que le président du conseil régional est un farouche défenseur de la « bétonisation » du littoral guadeloupéen. La Guadeloupe peut-elle encore être sauvée ?
Plus que jamais, nous savons que l’ombre dont parle JUNG est un élément structurant.
Aujourd’hui, un ultimatum nous est posé : changer sous peine de disparaître. Permettre la survie de l’homme.
Permettre la survie de la rivière de la Lézarde, comme tant d’autres rivières en Guadeloupe.
Nous nous sommes comportés comme si la terre pouvait supporter sans broncher nos pires actions.
Il nous faut comprendre désormais qu’elle est entre nos mains et fragile.
No Comment