MANGER : une autre forme de bonheur ?
MANGE, JOUE, MEURS ?
Avertissement : Je ne parle pas de ceux qui ont vraiment faim et qui de plus en plus nombreux fouillent dans les poubelles.
Une devinette pour commencer. Quelle est la lettre préférée des antillais ?
Il faut ajouter toutefois que la mère de cette lettre est une vedette que le public adule.
La réponse à la première question est G ( la lettre G ). En français, cela donne comme équivalence ( J’ai ). Cela aurait pu se traduire en effet par le fait de revendiquer la possession sous toutes ses formes. Mais c’est le sens créole qui nous paraît être intéressant ( jé : en créole le jeu ).
La mère de la lettre G est donc MAN jé ( manger )
MANGÉ EN TOUT’ SOS’
Dans son livre éponyme « Mange, prie, aime » en forme de triptyque, Elizabeth GILBERT, américaine du Nord, met cette fonction en tête de ses préoccupations, ou tout au moins de sa phase de reconstruction après une longue phase de dépression.
A 31 ans, angoissée et dans le doute après un divorce et une liaison désastreuse, elle décide alors de tout plaquer pour partir seule à travers le monde. En Italie, elle goûte aux délices de la dolce vita, et prend les « douze kilos les plus heureux de sa vie ».
Ce qui m’a paru intéressant, c’est passer d’un cas particulier ( névrose individuelle ) à une pathologie collective. Suite à des traumatismes multiples que nous n’avons pas encore surmontés, nos populations sont désormais en pleine phase boulimique. Jusqu’à saturation, l’être antillais recherche les plaisirs de la table.
Alors qu’on parle ailleurs de la valeur thérapeutique du jeûne ( on me dira que ce sont surtout les milieux bobos qui sont concernés), toutes les occasions sont bonnes pour avaler de la nourriture aux Antilles. Les excès alimentaires ont toujours eu lieu ( pour ceux qui le pouvaient !).
Je vous livre cette effroyable histoire relatée dans le Dictionnaire : les mots de l’histoire de Jacques Boudet Editions Larousse )
« Sous le second empire, au restaurant Bonvalet, un client, le père Gourier, dit l’assassin à la fourchette, prenait un invité à l’année et s’amusait à le tuer à force de nourriture. Le premier dura six mois et mourut d’un coup de sang après boire. Le second tenait depuis près de deux ans, quand il périt d’une indigestion de foie gras. Le troisième tînt trois ans, jusqu’à ce que le père Gourier, à sa quatorzième tranche de bel aloyau, s’effondrât dans son assiette, frappé d’apoplexie ».
Sans aller jusque là ( enfin, j’espère !) les repas de Noël par exemple ont été traditionnellement « surchargés » aux Antilles.
« Noêl
ce qu’il lui fallait, c’était toute une journée d’affairement, d’apprêts, de cuisinages…
de peur-que-ça-ne-suffise-pas
de-peur-que-ça-ne-manque…
et l’on en mange du bon, et l’on en boit du réjouissant et il y a du boudin,
celui étroit de deux doigts qui s’enroule en volubile, celui large et trapu…
et toutes sortes de bonnes choses qui vous imposent autoritairement les muqueuses ou vous les distillent en ravissement, ou vous les tissent de fragrances… »
Cahier d’un retour au pays natal – Aimé Césaire
Mais ces excès étaient compensés par les rites catholiques et une activité physique soutenue.
Or, le gavage et un comportement de glouton sont devenus des constantes. Chacun de nous peut constater aux Antilles qu’une femme sur trois est obèse, que les pantalons craquent, que les ventres débordent.
Un ancien président de la ligue guadeloupéenne d’escrime ( Rober GARA ) d’origine hongroise, indiquait à quel point il était houspillé par les parents et les autres présidents de clubs pour organiser des petites réceptions. Il opposait une fin de non recevoir systématique dans le but de faire des économies à la ligue. Il concluait, philosophe : « Certains m’ont voué une haine mortelle ».
Le 27 mai en Guadeloupe, pour commémorer l’abolition de l’esclavage, un relais inter-entreprises est organisé.
Je suis toujours un peu gêné de constater qu’à l’arrivée de ce relais, ne semblent plus compter que les victuailles et le farniente. J’aurais préféré un peu plus de recueillement, et un peu moins de stands de « bouffe ».
Il ne s’agit nullement dans mon propos de condamner la bonne chère et les plaisirs gustatifs ( j’adore un bon repas), mais de faire part de ma révolte face à cette situation qui touche pour une grande part les milieux populaires.
Pour en revenir à Elizabeth GILBERT, cette jeune femme dans la deuxième partie de l’ouvrage, raconte avec humour sa quête mystique en Inde. Elle termine son parcours en Indonésie, en « cherchant à réconcilier son corps et son âme pour trouver cet équilibre qu’on appelle le bonheur ».
Aux Antilles, devrons-nous après avoir mangé et joué, nous préparer à mourir ?
EN GUADELOUPE, UNE FÊTE EST INVENTÉE TOUS LES JOURS
« Aucune cité ne peut vivre paisiblement, quelles que soient ses lois, quand ses citoyens ne font que festoyer, boire et s’épuiser dans les soins de l’amour » écrit Platon. Lollia, ancien professeur de philosophie, a déclaré que la Guadeloupe est un pays où une fête est inventée tous les jours.
J’ai consulté une revue qui proposait les animations de la semaine.
* Le Gosier : au Royal Riviera, Leïla Chicot fête ses 20 ans de carrière
* Krys en concert Live : 10 ans de tube, 10 ans de carrière : de nombreux invités Fanny J, Missié Sadik, et d’autres surprises…
* Baie-Mahault « Galerie d’orchidées au Vélodrome »
* Anse-Bertrand Foire culinaire : Dombré en tous genres : Zumba géante, déboulé carnavalesque du groupe MKAN, défilé de mode
* Parc Paysager de Petit-Canal : Apprendre à fabriquer son cuiseur solaire de 9h à 12h 30. Très original pour ce dernier ! Ah !!! Toujours accompagné de la formule Vente de repas sur place ( 30 € en prévente, 35 € sur place) et ainsi de suite …
La liste est longue et sidérante.
« Ecoute ! Le bonheur de vaincre sans arrêt, de réaliser triomphalement tous ses désirs, le bonheur de la pleine satiété est un malheur ! C’est la mort de l âme, c’est comme une brûlure interne, une aigreur morale. ( Les hommes) s’échinent à marteler le vide pour une poignée de biens matériels et ils meurent sans avoir connu la richesse de leur âme » Soljenitsyne – Le premier cercle
UNE POPULATION EN SURSIS ? ( Maladie ka vin’ a chouval, i ka viré a pié : la maladie arrive au galop ; elle ne recule que pas à pas)
Mais le plus grave, c’est que nous sommes atteints de syndrome métabolique ( un taux élevé de sucre, une présence massive d’acides gras dans le sang, une tension haute, une déficience en bon cholestérol et de l’obésité )
LE GAVAGE DE L’AGROBUSINESS
On évoque souvent la fameuse affaire du tract de Villejuif qui « répertoriait » des additifs réputés dangereux. Les industries ont ainsi pu faire état de rumeurs totalement infondées. Pourtant, les recherches médicales récentes font froid dans le dos mais seules quelques revues scientifiques autorisées font encore barrage à l’agrobusiness.
Je vous conseille le remarquable livre de William Reymond ( TOXIC : Obésité, malbouffe, maladies : enquête sur les vrais coupables) paru aux Editions Flammarion qui est selon moi l’ouvrage de référence en la matière. Vous y trouverez toute la documentation technique et les liens internet pour les publications scientifiques.
L’HFCS ( le fameux sirop de glucose-fructose ) entraîne « une substantielle augmentation de poids sans que pour cela on augmente les calories » dans le foie. La preuve a été administrée « d’un début de stéatose hépatique chez les souris exposées aux boissons sucrées au fructose ».
La stéatose hépatique non-alcoolique est une accumulation de lipides dans le foie. « Autrement dit, les consommateurs d’HFCS partagent désormais une pathologie avec les oies d’élevage, gavées pour produire le fameux foie gras ».
Les saucisses de hot dogs entraînent la mutation de notre matériel génétique. Libération du 16 août 2006 titrait : « la mutation du mangeur de hot dogs ». Un rapport du professeur Siney Mirvish ( Université du Nebraska ) lie les nitrosamines ( résultant de la combinaison des nitrites présentées dans les agents conservateurs et les protéines de la viande ) au cancer du côlon.
D’autres produits déclenchent une mutation de notre ADN.
Buck LEVIN, chercheur à l’université de Kenmore, a passé de nombreuses années à étudier ce qu’on appelle la génotoxicité. Il cite le pentachlorophénol ( PCP ) résidu de pesticide que l’on retrouve dans le gras et le foie des poulets, mais aussi le peroxyde de benzoyle, composé chimique présent lors du blanchiment de la farine.
A l’université de Wake Forest en Caroline du Nord, Kylie Kavannagh a étudié durant six ans les effets de la consommation d’acides gras sur les singes. Inventée en 1992 par le professeur Normann, cette méthode permet de rendre les huiles solides ou semi-solides. Les animaux ayant mangé des acides gras (cobayes avec menus d’un niveau semblable à celui d’un consommateur régulier d’aliments frits ou issus de fast-foods ) grossissent considérablement. L’apport de poids est essentiellement localisé dans la zone abdominale, facteur de risque pour le diabète de type 2, et les problèmes cardio-vasculaires.
« C’est un choc, dit-elle. Malgré tous nos efforts pour qu’ils ne prennent pas de poids, ils ont quand même grossi. Et presque toute cette graisse se situe dans le ventre. Continuer, c’est aller tout droit vers le diabète. » ( Why fast-foods Éare bad, even in Moderation : The New Scientist, 26 juin 2006 )
NOS ENFANTS NOUS DÉNONCERONT SI NOUS LEUR INTERDISONS LES FAST-FOODS
Connaissez-vous Rio Grande City ?
C’est une des dernières villes du Texas avant d’arriver au Mexique. 95,89 % de la population est d’origine mexicaine : les sans-papiers en représentent la majorité. Tous les Mac Donald’s et autres fast-foods s’y sont implantés, car ils ont une clientèle idéale : les enfants de ces immigrés nés aux USA, sont eux, américains.
D’après les services sociaux de la ville, les enfants terrorisent la partie « illégale » de la famille et sur simple coup de téléphone peuvent dénoncer leurs parents à la Homeland Security chargée de vérifier les visas et de déporter les immigrés clandestins… Pour moins de 5 dollars, le client est invité à manger autant qu’il le souhaite, ou le Coke géant est offert pour l’achat d’un menu. Cette « orgie alimentaire » se traduit par les faits suivants :
– à l’école maternelle, 24 % des enfants sont déjà en surcharge pondérale ou obèses.
– la moitié de la population adulte souffre de diabète de type 2.
Une nutritionniste du Texas a tenté, grâce à un don privé destiné à financer un service reliant son bureau de San Antonio à l’infirmerie de l’école de la ville de donner des conseils de nutrition aux familles, par écran interposé. Le personnel des cuisines a été formé pour servir une nourriture moins sucrée, et les distributeurs de sodas présents dans les couloirs des établissements scolaires ont été déplacés dans les rues. Des fruits frais, de l’eau ont même commencé à faire leur apparition. Les enfants se sont mis en grève, soutenus par certains parents et professeurs. Ils ont affiché : Non au régime ! Nous voulons manger des trucs cool !
« Pour comprendre la nature du bonheur, tu ne verras pas d’inconvénient à ce qu’on étudie d’abord la nature de la satiété dit un personnage du roman de Soljenitsyne, Le premier cercle.
La satiété ne dépend aucunement de la quantité de ce qui est mangé, mais de la manière dont on mange. Le bonheur ne dépend pas absolument pas du volume de bien-être matériel arraché à l’existence. Il ne tient qu’à notre façon de réagir devant ce bien être.
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top pour l’article 😉