Société

Le camarade loup et le piège identitaire aux Antilles

« Ce camarade loup mange et n’écoute personne et n’a aucune intention d’écouter qui que ce soit » . Sommes-nous piétinés continuellement, avalés crus par de tels « camarades loups », ceux qui viennent de Saint-Domingue ou d’Haïti, de la Dominique, de l’étranger, ou tout simplement de France, qui veulent imposer leurs us et coutumes, qui veulent accaparer le pays (qui l’auraient déjà accaparé, selon certains, soit dit en passant) ?

@Djo Dezormo hurlant avec les loups en 1989

Le président russe Vladimir Poutine, dans le discours cité en introduction, en 2006, deux mois avant sa rencontre avec son homologue George Bush, lors du sommet du G8 à Saint-Pétersbourg. avait comparé les Etats-Unis à un loup prompt à faire fi des droits de l’homme lorsque ses intérêts sont en jeu.

L’allusion au loup faisait référence à une histoire souvent racontée à l’époque soviétique, celle d’un loup tombé dans un puits avec un agneau et un homme, et qui faisait le choix de manger l’homme.

En paraphrasant le dirigeant russe, aux Antilles, ces loups seraient prêts à faire fi des droits des Guadeloupéens et Martiniquais, d’après un discours convenu : « le loup ki vlé dévoré nou ».

C’est l’occasion pour nous de nous interroger sur nos crispations identitaires et ethniques.

Peut-on mouler l’identité nationale à partir de l’identité ethnique ? Le culte identitaire, la fièvre identitaire, les constructions identitaires sont des aventures dangereuses. Prenons l’exemple de Bobby Seale et de Huey P. Newton qui ont créé les Black Panthers, en 1966, engageant une action conjuguant exemplarité et soutien concret aux communautés noires, par exemple en organisant le dépistage en leur sein de la drépanocytose (problématique de santé que nous connaissons trop bien aux Antilles, malheureusement ), mais dont le parcours s’achévera  sur une  radicalisation qui aboutira au recours des armes.

L’identité, la nation, l’appartenance, la reconnaissance, sont des mots magiques, agités par des leaders, selon lesquels, nous serions englués  dans le  brouillage de nos identités collectives, et à terme effacés de nos terres,  dans la course à la mondialisation. 

Mais réduits à un slogan, les mots peuvent être dangereux. Tout individu venu de l’extérieur ou tout simplement un peu différent, peut devenir ce camarade-loup qui rode.

A quoi tient l’identité qui nous rassemble et nous attache les uns aux autres dans une même nation ? Comment s’est-elle construite ? quelle est la part des échanges, des importations, des traductions, et réinterprétations (tout ce qui vient des « autres » et d’ailleurs) ? 

Le risque est qu’à défaut de promettre aux uns et aux autres qu’ils vivront mieux, qu’ils pourront se déplacer grâce à un système de transports performant, qu’ils auront de l’eau dans les robinets dans nos pays Guadeloupe et Martinique, ce serait que par un tour de passe-passe, nos politiques, nos syndicalistes, nous assurent qu’ils défendent ce que nous sommes (notre identité), qu’ils n’en toléreront aucune modification, aucune altération.

L’appartenance est d’autant plus idéalisée et sublimée que tout ce qui n’est pas cette fameuse appartenance  est dévalorisé (ressentiment à l’égard des autres communautés principalement de la Caraïbe), la mise en œuvre de cette exclusion et de cette répulsion étant quoiqu’on en dise majoritairement tournée vers ces communautés. 

S’agissant des européens ou occidentaux, c’est un peu plus subtil. La rhétorique en vigueur, la rapidité avec laquelle l’hystérie s’installe dans le déni de l’autre, de sa bonne foi, de ses arguments, de ses maladresses, peut-être, gagnent sans cesse du terrain. L’affaire du temple hindou est un bon exemple pour décrire la situation actuelle, irrationnelle.

Un plan machiavélique serait mis en œuvre pour déposséder les habitants de Guadeloupe et de Martinique, de leurs terres, de leurs traditions, de leur culture. 

La situation est plus complexe.  Il n’est un secret pour personne que la situation est grave. Nos jeunes fuient nos pays, dégoûtés par les corbeaux incompétents aux tempes argentées qui s’accrochent à leurs postes, et ne laissent pas une once de possibilités professionnelles à des jeunes originaires. Si on rajoute les préfets à la retraite qui émargent au conseil régional, le personnel pléthorique de ce même conseil régional, (les dépenses de fonctionnement ont en effet flambé au palais du conseil régional à Basse-Terre), ceux qui occupent de multiples fonctions (affaire Averne), on comprend que cette génération compradore a encore faim de prébendes.

Les faibles, dès qu’ils ont une once de pouvoir, deviennent tyranniques disait Kenizé Mourad.

Alors, puisque les enfants ne sont plus là, et ne reviendront pas, sauf pour les enterrer, les parents âgés vendent leurs terres. Des acheteurs multiples se présentent, attirés par le soleil, les plages, les rivières.

Et pour les enfants de leurs enfants, qui malgré toutes les embûches, font le choix de revenir vivre sur l’île de leurs grands-parents, notre course à l’identité est  largement mutilante. (celui ou celle qui courageusement s’emploiera à parler créole, et qui n’aura pas l’accent « officiel » sera impitoyablement moqué). L’hystérie actuelle identitaire, s’inscrit dans le catalogue de replis identitaires.

La frénésie mémorielle est telle que les non-historiens veulent imposer leurs vérités. En réponse à notre volonté de puiser dans certaines pages « glorieuses » de notre passé les éléments d’une essentialisation,  Marc Crépon dans le numéro 2017/4 de « La Pensée », indiquait que lorsque l’idéologie fait usage de l’histoire, c’est pour fixer une fois pour toutes les traits constitutifs, les caractéristiques propres de l’identité, qu’elle entend défendre ou promouvoir.

Nous opérons une transformation de l’identité narrative collective, par l’intermédiaire de  mythes identitaires soi-disant fondateurs, mais qui sont en réalité narcissiques.  En ce mois de commémorations, d’exaltation de révoltes tragiques, et de héros incontestables, avec leurs forces et leurs faiblesses, n’avons-nous pas également une autre mission que nous rappelle  Pierre Louret dans Rue Descartes 2009/4, n° 66, dans « L’identité nationale à l’épreuve des étrangers » ? La forme d’une communauté est mouvante, historique, toujours en mouvement.

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Théo LESCRUTATEUR

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