Il est des vérités qui peuvent tuer un peuple
Une odeur pestilentielle règne en Guadeloupe, et une vision dégradante de l’île nous insupporte.
L’odeur de l’argent sale, l’odeur du crack, la politique aux dérives multiples, la vue des SDF toujours plus nombreux, des carcasses de voitures, des poubelles qui débordent, des cadavres sur les routes, des gamins qui assassinent comme dans un jeu vidéo.
Une ancienne ravine traverse le centre hospitalier de Basse-Terre, charriant immondices, matières fécales, cadavres d’animaux, peut-être d’humains.
Devons-nous annoncer avec tact les mauvaises nouvelles, dire au patient seulement ce qu’il est prêt à entendre : crise du CHU, crise sanitaire, saccage écologique, crise du chlordécone, faillite de l’éducation, crise de la formation (les formations dispensées par la Région sont de la poudre aux yeux, l’établissement de formation étant en quasi mort clinique. L’établissement de formation tenait la route uniquement grâce aux qualités intrinsèques de l’ex-recteur Gallas. On fait semblant de dispenser à des mères de famille des cours de cuisine, on oriente des analphabètes vers des voies de garage, car ils n’ont pas le minimum requis, encore des millions gaspillés juste pour de l’habillage politique).
Pourquoi y-a-t-il autant de corruption, autant d’institutions moribondes ? Pourquoi les transports sont-ils une catastrophe ?
Pourquoi sur Jarry, continuent à pousser comme des champignons de monstrueux édifices, alors qu’aucune voie de bus n’a été créée ? Donc, la femme de ménage qui se lève à 5 heures du matin n’a pas droit au respect, de sa vie privée, de sa santé ?
Pourquoi font-ils semblant de faire de la politique ? Lisez Le Prince de Machiavel.
La corruption s’installe quand il y a une augmentation des dépendances personnelles et du factionnalisme (au lieu du sain conflit de classes), la montée des classes des gentilhommes oisifs, la servilité et l’oisiveté du peuple, le mépris de la frugalité.
Il faudrait distinguer la petite corruption dans les échelons inférieurs ou moyens de l’administration publique, et d’autre part la grande corruption qui se manifeste à leurs sommets. Il faudrait alors distinguer la corruption plébéienne et la corruption des élites. Mais les deux vont de pair sur l’île. Jamais, il n’y a eu autant de recrutements dans les municipalités et à l’Assemblée régionale, retraités anciens préfets, directeurs de cabinet occupant des doubles, sinon triples fonctions, des sportifs, des missionnés multiformes). Il est des vérités qui peuvent tuer un peuple. (1)
Une bonne partie de la population est oisive (c’est juste un constat), et bouffe au McDo (c’est encore un constat), consomme des stupéfiants, « marronne » dans les déjeuners champêtres qui ne désemplissent pas, jeunes gens et jeunes femmes énormes, jusqu’aux grands-parents proches de l’obésité morbide, une bière à la main, puis deux, arrosant de Fanta et de Caresse antillaise, des gamins sur-développés.
En Guadeloupe, Il y a des familles et pas de peuple (2) (dynasties politiques, obédiences de toutes sortes). Il est des regards de peuple mort qui pour toujours étincellent. (3) Dans les excès, les somptueuses voitures, les tiraj, les bains démarré en champagne.
« Il est des forçats que l’on aime, des assassins que l’on caresse » (4), avec nos criminels musiciens drogués notoires encensés par les foules, presque tous condamnés, et impliqués dans des affaires de prostitution, de séquestration, de sévices sexuels, de viols sur mineures, des chyen la ri à Miky Dingla, Young Chang Mc, Gambi G. Que pouvions-nous titrer en parlant de nos chanteurs, si ce n’était : Quand je chante, c’est pour tuer !
Une Guadeloupe en déliquescence est une Guadeloupe défaillante
Nous apprenons qu’un Etat en déliquescence ne doit pas être confondu avec un Etat fragile. Mais la fragilité est déjà derrière nous. Nous sommes dans un état de déliquescence avancé.
Une Guadeloupe en déliquescence est une Guadeloupe défaillante, une Guadeloupe faillie, une Guadeloupe déstructurée, une Guadeloupe en échec (en anglais Failed State).
Une Guadeloupe qui ne parviendrait pas à assurer ses missions essentielles. Un état déficient, est ainsi caractérisé par les données suivantes.
– Une corruption généralisée
– Une crise économique
– L’absence des services publics essentiels
– L’émigration chronique et soutenue
– La fuite des cerveaux
– l’utilisation par les élites d’une rhétorique nationaliste ou de solidarité ethnique
Sur ce dernier point, que n’allons-nous pas revendiquer ! Déboulonnage de statues, enlèvement de plaques Victor Hugo. Mais moi, j’aimerais que tous les jeunes guadeloupéens aient lu les Misérables ; tenez si j’étais président d’une collectivité unique de la Guadeloupe, la lecture des Misérables serait une de mes priorités, avec la lutte contre l’obésité, et de vraies cantines pour tous dans les établissements scolaires. Savez-vous pourquoi ?
En ce qui concerne l’épidémie d’obésité qui frappe les Caraïbes et l’Amérique latine, et surtout les femmes qui se voilent la face, parce que c’est une maladie qui tue 2,8 millions de personnes chaque année dans le monde selon l’OMS. C’est avec stupéfaction que nous voyons des femmes leaders en Guadeloupe, avocates, sociologues, ne pas se saisir de cette donnée fondamentale, ( peut-être parce qu’elles-mêmes sont en surpoids manifeste), comme les responsables des politiques publiques. Or, il nous faut produire non pas forcément davantage, mais surtout différemment, ce qui signifie manger moins. Apprendre à manger moins en Guadeloupe ne va pas nous tuer. Au contraire.
En ce qui concerne Victor Hugo, parce que pour comprendre Césaire, il faut avoir lu les écrivains et poètes français.
Roland Suvélor nous précisait d’ailleurs que le malheur de nos jeunes est qu’ils ne lisent rien. Ils ne lisent pas Balzac, Stendhal, et ils abandonnent Césaire au bout de deux pages parce qu’ils n’y comprennent rien, faute d’avoir lu les autres auteurs français. Le peuple noir aux Antilles revendiqué par certains, pourquoi pas, mais surtout sans école, et avec un faux-retour à l’identité.
C’est comme quand nous répétons continuellement de nous tourner vers la Caraïbe. Avons-nous conscience que nos voisins luttent pied à pied contre les dérives sexistes, et ont à faire face à de gigantesques défis, en matière de droits de la femme et de protection des mineures ?
Porte-t-on à notre connaissance les atrocités sexuelles commises dans la région ? Toujours la fameuse et malvenue solidarité des peuples qui ont connu l’esclavage ? Personne ne vous le dira !
La Caraïbe n’est pas le Darfour, soit. Mais en matière d’agressions sexuelles, on peut se poser la question. Nous avions évoqué l’énorme scandale de pédophilie, et de mineures violées dans le milieu du football haïtien dont tout le monde se moque éperdument.
En République dominicaine, les policiers violent, battent, humilient régulièrement les travailleuses du sexe. La criminalisation du travail du sexe, associée à un machisme profondément ancré permet ces graves violations des droits humains, commises en toute impunité. La violence liée au genre est endémique dans toute l’Amérique latine et les Caraïbes, a déclaré Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques d’Amnesty International.
En République dominicaine, pour la seule année 2018, le bureau du procureur général de la République a reçu plus de 71 000 signalements de violence liés au genre et intrafamiliales, et plus de 6 300 signalements de violences sexuelles. Le pays affiche en outre l’un des plus forts taux de féminicides de la région avec plus de 100 cas recensés par l’ONU.
L’impunité pour les tortures sexuelles est habituelle, surtout à l’égard des transgenres. La République dominicaine ne collecte aucune donnée qui aiderait à déterminer l’ampleur et la gravité du problème de la torture et des mauvais traitements liés au genre (Amnesty International du 28 mars 2019, Torture et autres traitements).
Oui, la vérité en Guadeloupe, « cela va coûter des milliers d’yeux glacés, de prunelles éteintes », (4), nous qui avons l’habitude de porter un regard complaisant, détaché, amusé ou cynique sur les prostituées dominicaines de Grand-Baie et du Carénage.
Les assassins et les violeurs font aussi la loi à Trinidad. Le nombre des meurtres s’est élevé à 362 en 2020. 47 femmes ont été assassinées. Mais cela c’est sans prendre en compte les personnes disparues.
Sur les 745 personnes portées disparues en 2020, 416 sont des femmes et des jeunes filles, soit plus de la moitié ! Sur Facebook, la poétesse Shivanee Ramlochan a traduit les émotions du pays en vers de façon émouvante. (5)
« Pour les femmes, pour nous qui sortons pieds nus sur le seuil de notre maison pour cueillir des prunes de Cythère de nos propres arbres riches en fruits, puissions-nous ne pas mourir… Puissions-nous arriver aux fêtes d’anniversaire les bras pleins de gâteaux, de glaces et de ballons métallisés premier prix. Puissions-nous arriver à ces fêtes dans le plus court des shorts à pompons avec nos sacs à mains scintillants remplis de spray au poivre inutilisé. Puissions-nous arriver vivantes dans les églises ou chez nos amants… peu importe l’endroit où nous allons, qu’il soit saint ou profane, nous avons le droit d’y arriver sans avoir été agressées sexuellement, sans coups de couteau dans les poumons, sans lacérations au niveau du vagin…
Même si c’est une prière contre la mort, si nous sommes tuées, peut-être que les premières questions ne seront pas de savoir combien d’hommes nous avons eu entre nos cuisses ou nos lèvres, combien d’enfants nous avons et avec combien d’hommes, combien d’hommes eux-mêmes assassins nous avons aimés »…
1) « Il est des vérités qui peuvent tuer un peuple », Jean Giraudoux, Electre
2) « Il y a des familles et pas de peuples », Victor Hugo dans la préface de sa pièce de théâtre, Cromwell
3) Il est des forçats que l’on aime, des assassins que l’on caresse », Jean Giraudoux, Electre
4) « Cela va coûter des milliers d’yeux glacés, de prunelles éteintes » Id.
5) Pour le texte original en anglais, et l’article complet voir la revue Global Voices du 7 décembre 2020
2 Comments
Il y a des éléments intéressants dans cette réflexion que globalement je rejoins. C’est valable pour la Martinique.
Lecture tout à la fois démoralisante et édifiante.