Nous reprenons le titre d’un ouvrage de Wolfgang Pohrt, paru en 1997 : Brothers in Crime. Le livre a pour sous-titre : L’être humain à l’époque de son inutilité.

L’habitant de Guadeloupe et de Martinique n’est-il pas lancé dans une avidité sans fin de fast-food émotionnels et intellectuels dont l’ingestion ne peut calmer la faim ?

Comme le précisait le sociologue Gérard Huber, la « misère » est certes économique, mais plus profondément, si l’on peut dire, elle est surtout narcissique.

La population antillaise, ne pourrait plus supporter d’avoir à subir la toute-puissance de l’Etat français qui a ignoré superbement la blessure infligée lors de la crise Covid. On ne cesse de dire aux habitants de ces territoires qu’ils ont des droits, mais leur situation serait pire que celle d’objets de charité, dans leur détresse identitaire.

Certains ont paru avoir l’âme de meneurs de foule, et ont accédé aux postes de commande de nos îles, mais dans un même mouvement, ils ont refoulé leur misère narcissique devenue puissance. Songeons à l’humiliante video d’Ary Chalus, refoulé de la manifestation organisée par la Région Guadeloupe, lors de la Conférence sur les Sargasses présidée par le premier ministre Edouard Philippe.

L’appartenance à la France est-t-elle une chape de béton qui est scellée, sur la matrice du désir politique antillais ?

Reconnaissons qu’avec le plébiscite accordé à Marine Le Pen, une hantise post-œdipienne nous saisit, la terreur d’avoir à affronter notre risible effondrement moral, et la certitude que la génération des Luc Reinette, Elie Domota, Alfred Marie-Jeanne, précipitée vers l’extase indépendantiste, a vécu dans le déni.
La chute du narcissisme moral est l’affaire des perdants. Toujours selon Gérard Huber, il s’agit de laisser les perdants enterrer d’autres perdants.

Comme Ary Chalus enterre actuellement Laurella Rincon (Et pourtant, Victorin LUREL pouvait dire le 10 mai 2015 : « En ce dimanche 10 Mai, vous vivez non pas métaphoriquement, mais concrètement, la métamorphose de ce site transformé en beauté, en temple dédié aux âmes de nos ancêtres… Le MACTE est le résultat d’une co-production guadeloupéenne, le fruit d’une longue rumination, d’une belle germination, et d’une rigoureuse fertilisation croisée »).

Comme Gaby Clavier a pensé enterrer Gérard Cotellon. Il s’est agi de s’autosuggestionner en se racontant l’histoire d’une fiction. Nous fûmes persuadés d’être les leaders planétaires de la lutte anti-vaccinale.

Or cette autosuggestion n’a qu’un temps, nous prévenait Gérard Huber.

Le champ libre était laissé à la foule en colère, aux groupes criminels, aux bandes de jeunes sans repères, et aux contestataires convaincus. Quand l’individu est atomisé et impuissant, quand il n’est donc plus capable de façonner sa propre vie et son propre environnement, quand il ne peut plus se ménager un règne plus ou moins grand de liberté où il pourrait agir – c’est alors seulement que l’individu peut se fondre dans une bande, nous prévenait Pohrt.

Dans la quête de la reconnaissance et de la liberté, appartenir à un groupe est en effet le seul moyen d’exister au sein de notre société. Cependant, l’élaboration de ces groupes offre aussi la possibilité à chacun d’exercer un contre-pouvoir effectif.

Asseoir son pouvoir ne peut se faire que par l’intimidation, la violence, le chantage ou la menace. C’est ainsi que le crime organisé a fini par imposer ses méthodes.

Selon Pohrt, le plus haut stade du capitalisme sera dominé par les groupes s’organisant comme forces criminelles, où la lutte du «tous contre tous» régnera et détruira la démocratie. «L’adhésion à un groupe signifie dépersonnalisation et fusion des personnalisés en une communauté de conjurés.»

Et, s’ils trébuchent dans le crime, il suffira qu’ils fassent amende honorable, pour mériter la résurrection ? Comme Young Chang ?