Et si l’ASCODELA était plus forte que le virus ?
Virus et humains, programmés pour tuer ?
Le virus en forme de couronne (1) a créé une large gamme de sceaux maudits : sceau de la mort, sceaux des discriminations, (travailleurs en première ligne, éboueurs, personnel de la santé), sceaux de la stigmatisation (habitants des quartiers pauvres montrés du doigt car accusés de répandre le virus), sceau de la marginalisation (surmortalité dans les maisons de retraite, mise à l’écart des séniors, des sourds et malentendants, les masques ne permettant pas la lecture labiale, -d’où la demande croissante de masques transparents-, des sans-domicile fixe. L’éthique médicale a été mise à défaut dans certaines parties du monde. Quelles catégories de malades devait-on privilégier dans les services de réanimation ?
L’interdiction de déplacement, vulgarisée par les médias, par l’expression « confinement de la population » est la mesure sanitaire mise en place du 17 mars à 12h au 11 mai 2020 (55 jours, soit 1 mois et 25 jours), qui s’insère dans un ensemble de politiques de restrictions de contacts humains et de déplacements en réponse à la pandémie.
Ce confinement fut en général appliqué, sauf de rares exceptions, sur toute la planète. Des couvre-feux ont été instaurés. Les risques de contamination par avions et bateaux, ont entraîné la suspension des liaisons inter-îles et internationales.
Cet enfermement fut toutefois paradoxal. Parmi les effets mesurables de cette quarantaine mondiale, l’explosion de contenus culturels dématérialisés fut sa marque de fabrique.
Visites virtuelles d’exposition, concerts virtuels, accès gratuit quasi-illimité pendant cette période à des livres et à des films. Ont été mis en œuvre par la suite les plans de déconfinement, à l’école, au travail.
Et voilà que le 23 septembre 2020, le Ministre de la Santé a classé la Guadeloupe en « zone d’alerte maximale», le niveau le plus élevé avant l’urgence sanitaire. La Guadeloupe a atteint, selon les indicateurs, le niveau 6 maximal.
Dans ces zones d’alerte maximale, tous les établissements recevant du public seront fermés, sauf s’ils ont mis en place un « protocole sanitaire strict ». Le cinéma et les théâtres ne sont pas concernés.
Les prochaines semaines semblent confirmer une année particulièrement sombre.
Les masques sont devenus une composante de notre personnalité, et de notre tenue vestimentaire. Des créatrices antillaises ont même transformé cet accessoire qui gomme une partie de leur féminité, à savoir les lèvres, les joues et autres, en accessoire de mode, en l’associant à des « maré tèt » et des coiffes au gré de leurs envies. Nathalie LUBERT, de son nom de créatrice, Nat’Alie, qui anime un atelier de couture au centre culturel de Coridon à Fort-de-France, ou SASS, influenceuse guadeloupéenne et créatrice du blog mode « Sass-fwi », nous promettent des promenades pas seulement numériques avec masque, fun, original et à la mode.
Le masque, nouvel accessoire de luxe ? De redouté, il aurait été finalement adopté. Pour séduire, les maisons de couture signent des masques faciaux réédités version luxe. Logotypé chez Off-White, en satin monogrammé chez Fendi, ou en coque rigide orangée pour la version co-brandée Supreme X The North Face, nous prévenait le journal Marie-France du 10/04/2020. Sur Instagram, l’influenceuse mode Brittany XAVIER, aux 1,3 millions s’affiche masquée d’un modèle Vivianchan. La modeuse Emma ROSE arbore fièrement un masque à l’effigie de marques de luxe sur son compte.
En même temps, la généralisation des amendes pour non-port de masques, des gestes barrière, est devenue la norme, « KONTRAVANSYON MAS ». Il est conseillé de ne pas s’embrasser, de ne pas se serrer la main. La « COVID-attitude » a remplacé les effusions, les gestes amicaux, et les gestes tendres. Le télétravail est devenu une priorité. Mais certains affirment qu’on semble oublier que la société, qui a redécouvert à l’aune de cette crise sanitaire inédite des métiers invisibles et déconsidérés, devra se rappeler ce qu’elle doit à ces travailleurs de l’ombre. Ils parlent même d’égoïsme social, une nouvelle lutte de classes à l’envers, pour des cadres qui ont été en mesure d’effectuer leurs tâches à distance, parfois dans des conditions qui ont pu frôler l’indécence, comparativement aux salariés en première ligne (hors soignants), et qui n’ont pas eu d’autre choix que de se rendre sur leur lieu de travail (au bureau, à l’usine, au magasin) pour assurer la continuité de l’activité et éviter l’effondrement de l’économie, en vivant dans une crainte permanente. (2)
D’autres récusent cette approche, et parlent de culpabilisation permanente. De nombreux messages de soutien ont été apportés, peut-être maladroitement, aux travailleurs de l’ombre. Chaque soir, à 20 heures, des particuliers se pressaient à leurs fenêtres, pour remercier le personnel soignant qui luttait contre le coronavirus. Le virus de la solidarité s’est bien propagé, avec des initiatives multiples. Les nouvelles modalités d’exercice des professions seraient au contraire source de tensions, pour le salarié, « attaché » en permanence à l’employeur, et indéboulonnable face à son ordinateur.
Même dans la sphère privée, on peut imaginer, dans un futur de plus en plus proche, des couples , où l’un des partenaires travaille normalement, et l’autre en télétravail. Celui, « télétravaillant », deviendrait un assujetti non plus à la tva, mais aux tâches ménagères ! Il serait d’office désigné pour accompagner et ramener les enfants à l’école, descendre les poubelles, effectuer la paperasse administrative.
Plus sérieusement, ce choc sanitaire avec une infrastructure de santé publique déjà très défaillante, particulièrement en Guadeloupe, et les risques majeurs sur nos îles avec la prévalence de l’obésité, et du diabète ; les conséquences économiques désastreuses, pour nos régions, comme à l’échelle de la planète, appellent à des remises en cause certaines, comme celles de la redéfinition des politiques de santé, du travail, du tourisme de masse. En matière d’éducation, nos « enfants génération Covid » ont-ils été sacrifiés ? Y-a-t-il eu un BAC 2020 au rabais, en Guadeloupe et en Martinique, plus que dans le reste du monde d’ailleurs, puisqu’écoles, collèges et lycées étaient pratiquement fermés dès le mois de décembre pour certains, en raison du mouvement de grève des enseignants contre les retraites ? Faire partie sinon des meilleurs élèves de la planète, mais tout simplement des moyens, semble un vœu pieu, et un objectif impossible à atteindre, vu les difficultés structurelles de l’académie.
Entre la crise climatique, l’épuisement des ressources naturelles, la déforestation de l’Amazonie, la fonte des glaces, et sur notre petit territoire on pourrait ajouter la liste infernale du chlordécone, des sargasses, la gestion erratique des déchets, l’eau empoisonnée, la rupture civilisationnelle qui nous semblait impossible s’est concrétisée pendant deux mois. Ralentir nos vies et nos sociétés fut exigé, décrété, par la plupart des pays. Les thèses conspirationnistes ont fleuri.
Il a semblé cependant à tous évident, que la nature avait retrouvé son autonomie, loin de l’homme. Il ne pouvait y avoir de meilleur « Lyannaj pou lanviwonaj ». L’humanisme n’est-il alors qu’une métaphysique de la mort, puisqu’il se fonderait sur l’exploitation et la spoliation de la nature ?
Les humains confinés, la nature reprenait ses droits. Les eaux et ciels s’éclaircissaient, et les oiseaux se remettaient à chanter. La qualité de l’air était en nette amélioration.
L’eau de la Darse, à Pointe-à-Pitre, n’avait jamais paru plus claire. Le retour à une réalité plus triviale a été brusque, et on comprend que les agents du parc national de la Guadeloupe aient ressenti le besoin de coucher sur internet, avec photos à l’appui, leur dégoût post-confinement, suite aux comportements de certains qui ont transformé en quelques jours un site environnemental protégé en immense décharge à ciel ouvert.
L’homme est une machine à tuer, explique Laurent TESTOT, dans Cataclysmes. C’est un hyper-prédateur en état permanent de belligérance.
Mais où placer le curseur entre ceux qui jugent l’actuelle épidémie sous-estimée et les autres qui récusent une hyper-médiatisation de cette dernière ?
Les nouveaux ennemis invisibles, ont toutefois leurs nouvelles vedettes médiatiques. Nous n’avons pas eu en Guadeloupe de Professeur RAOULT, (France), dégaineur de la fameuse chloroquine, ni de Dr Anthony FAUCI (USA), l’épidémiologiste qui tient tête à Trump avec le langage de la vérité, et qui a demandé pour lui et sa famille une protection rapprochée, et encore moins d’Anders TEGNELL, l’épidémiologiste en chef de la Suède au début adulé par les foules (Un trentenaire suédois porte désormais sur son bras le visage du scientifique).
La fragilisation de notre société antillaise, déjà déstructurée, des liens intergénérationnels, de notre art de vivre, de nos us et coutumes, l’agonie de la culture, palpable, tant pour les intervenants que pour le public, pourrait nous rendre pessimistes.
Comment ne pas évoquer aussi la tornade Georges Floyd, et ses répercussions, qui ont donné un tournant extraordinaire au confinement ? Nous avons en mémoire le déboulonnage de statues. Certains parlent de «CANCEL CULTURE », c’est-à-dire de la censure des opinions du présent et de l’effacement des signes du passé, dont les actions semblent relever davantage de « l’indignation scénarisée », immédiatement gratifiante par diffusion vidéo ; de « WOKE ATTITUDE », traduire rester éveillé ( de veille informatique). Le terme d’origine argotique afro-américain, popularisé il y a une dizaine d’années par la chanteuse Erykah BADU, a été repris sur les campus des grandes universités états-uniennes. Son usage s’est étendu dans les milieux mondains et marketing, en « WOKE-BASHING », que ses détracteurs assimilent à une hystérisation scénarisée de l’indignation relayée par les réseaux sociaux.
D’autres en Guadeloupe et en Martinique, indiquent que ces statues doivent être déboulonnées en raison de la violence coloniale, du racisme et des actions de déshumanisation criminelle et ségrégationniste attribuées à ces personnages controversés.
Chacun fera son opinion.
Il parait évident que ce mouvement n’a pas touché l’Afrique ou les Caraïbes. Nos régions, Guadeloupe, Martinique, Guyane, ont fait exception. La RBTF, le site de la radio télévision belge, le 12 juin 2020, publiait ce reportage étonnant. « Sur les hauteurs de Kinshasha, dans un écrin de verdure et de paix, une statue du défunt roi des Belges Léopold II surplombe le fleuve Congo, loin de la vague de destruction des symboles coloniaux en Occident, qui laisse les Congolais de marbre. Le monument à la gloire du monarque belge, qui a fait du Congo sa propriété personnelle entre 1885 et 1908 -date de son transfert à la Belgique-, trône à côté de celui de son successeur, Albert 1er, et du fondateur de Léopoldville ( actuelle Kinshasha), l’explorateur britannique Henry Morton Stanley ».
La statue de Léopold II, pour nous, ça reflète une histoire, une mémoire. C’est une référence pour nos enfants, avance le directeur de collection au musée. Si en Belgique, ils estiment qu’ils doivent détruire les monuments, nous en prenons acte. C’est une affaire belgo-belge qui ne nous concerne pas directement , affirme l’historien Isidore Ndaywel. Au Congo, nous avons nos priorités, qui sont autres pour le moment, ajoute cette voix respectée de la société civile, qui cite les tueries dans l’est et la corruption.
Malgré tout, l’ambition de l’ASCODELA demeure la même : lire toujours plus. Le thème de l’épidémie ravageuse relie un grand nombre de productions littéraires, cinématographiques et sérielles. (3)
Il y aurait donc un imaginaire épidémique ou pandémique, une écriture « virale ».
Les œuvres de fiction sont riches d’enseignements quant aux réactions humaines et sociales en temps de pandémie. Epidémies et littérature, une inspiration contagieuse, souligne Mathilde Gérard (Le Monde du 4/12/2009), qui nous livre que les épidémies comme les guerres réveillent les instincts les plus primitifs de l’être humain. Certains s’acharnent à combattre l’épidémie, et sauver les malades, d’autres s’enfuient, voire tentent de tirer profit de la pagaille provoquée par la maladie. On pense alors aux enjeux colossaux de la fabrication des masques à l’échelle mondiale, à la lutte entre laboratoires pour trouver le vaccin salvateur.
Dans les premiers chapitres de la Peste (1947), Camus décrit d’abord l’insouciance, puis le déni, et finalement la prise de conscience de la population d’Oran face à la maladie dans les années quarante.
Difficile de ne pas établir de parallèles avec notre réalité actuelle, de la communication craintive et contradictoire des autorités locales, à la nonchalance du public, qui refuse dans un premier temps, de croire en la menace.
« Nos concitoyens n’étaient pas plus coupables que d’autres, ils oubliaient d’être modestes, voilà tout, et ils pensaient que tout était possible pour eux, ce qui supposait que les fléaux étaient impossibles. Ils continuaient de faire des affaires, ils préparaient des voyages et ils avaient des opinions. Comment auraient-ils pensé à la peste qui supprime l’avenir, les déplacements et les discussions ? Ils se croyaient libres et personne ne sera jamais libre tant qu’il y aura des fléaux ».
On n’ose évoquer la prise d’assaut des paquebots, par nos croisiéristes naïfs. Les luxueux navires sillonnant les océans et mers du monde pour nourrir les fantasmagories des touristes se sont transformés en antichambres de la mort. Tout près de nos côtes, le paradis caribéen avait viré au désespoir.
Mais l’amour, lui-même n’est-il pas un virus ?
L’amour aux temps du choléra (1985) de Gabriel Garcia Marquez, nous le présente comme un virus inexpugnable. Tout comme d’ailleurs la littérature, pour laquelle nous vous proposons d’en explorer les nouvelles contrées. Oserions-nous dire que le virus de la littérature nous foudroie, cette fois pour notre plus grand bonheur ?
La culpabilité culturelle des confinés , titre d’une émission de France culture du 1/04/2020, nous laissait entendre avec humour que nous pouvions nous accorder d’autres lectures que celles des romans épidémiques, et de guides de survie, ou d’autres visionnages que ceux de films de contagions et de séries apocalyptiques. Chers lecteurs, accompagnez donc l’ASCODELA, pour que nous puissions transformer cette difficile épreuve, en jaillissements insoupçonnés.
Daniel CORADIN-Jeanine PELER
1) Covid est l’acronyme de corona virus disease, soit la maladie provoquée par le virus en forme de couronne, et les sigles et acronymes ont le genre du nom qui constitue le noyau du syntagme dont ils sont une abréviation. On devrait donc dire la Covid 19.
2) Article de Marc Landré Figaro Economie du 10 mai 2020
3) Publié le 5 mai 2020 par Anastasia Giardinelli dans Calenda.org
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