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Des Africains ont transmis aux Américains la pratique de la vaccination

Clifford Conner, historien américain des sciences, à l’occasion de la publication en français de son œuvre magistrale Histoire populaire des sciences, était interviewé par le Sarkophage*.
Il indiquait que « selon le récit traditionnel de l’épopée des sciences, c’est à une poignée de grands hommes aux grandes idées surplombant le commun des mortels, que nous devons l’intégralité des sciences ».

« Mon principal objectif est de démontrer que la production et la propagation du savoir scientifique ont été pour la plus grande part le fait de la masse anonyme, de petites gens ».
L’exemple de la vaccination est frappant. On vous parlera d’Edward Jenner qui est traditionnellement salué comme le grand médecin, qui sauva l’humanité de la variole (ou petite vérole) en introduisant la pratique de la vaccination.

L’éradication de la variole, « le premier cas marquant de victoire sur la maladie », est pourtant précisément le fait de traditions populaires.

Les guérisseurs de nombreuses régions d’Afrique et d’Asie connaissaient depuis des siècles la technique de la variolisation, ou inoculation : elle consistait à tirer du pus des vésicules d’une victime de la variole et à l’introduire dans l’organisme d’une personne en bonne santé.
Le receveur de cette forme atténuée du virus variola contractait généralement une forme relativement peu virulente de la maladie, en tout cas non mortelle, et était immunisé à vie.

L’innovation attribuée à Jenner fut d’injecter des humeurs provenant de gens infectés par la vaccine, une maladie apparentée à la variole humaine, mais moins virulente sur les humains, conférant également l’immunité à cette maladie.

Les inventeurs de cette technique de prévention de la variole sont anonymes, mais le nom de l’Africain qui l’introduisit en Amérique du Nord est connue. Le célèbre prêcheur puritain Cotton Mather apprit la technique de l’inoculation d’Onésime, un esclave dont il était propriétaire. « Il m’a dit qu’il avait subi une opération qui le préserverait à jamais de la variole, ajoutant qu’elle était souvent utilisée en Afrique ».

Après avoir eu confirmation de ce fait par d’autres esclaves ouest-africains, lors de l’épidémie de variole de 1721 frappant Boston, Mather mena une campagne publique pour convaincre ses concitoyens des vertus de l’inoculation, mais ses efforts rencontrèrent une farouche opposition. Si cette résistance n’était pas totalement irrationnelle, ses opposants les plus bruyants jouèrent sur les sentiments racistes, en tournant en ridicule le fait d’adopter une idée africaine : « il n’y a pas une race d’hommes sur terre plus fourbe, menteuse, etc… ».

Mather répliqua en rappelant à ceux qui critiquaient l’efficacité avérée des savoirs thérapeutiques indigènes : « Je ne vois pas pourquoi il serait plus illégitime d’apprendre des Africains comment agir contre le poison de la petite vérole, que d’apprendre de nos indiens comment agir contre le poison d’un serpent à sonnette ».

Achille Weinbeg dans Sciences Humaines, n° 226, 2011/5, tout en critiquant un certain parti-pris anti sciences trop systématique de la part de Conner, reconnait, lui aussi combien les pratiques médicinales des peuples traditionnels sont loin de se réduire aux pratiques magiques. La pharmacopée des peuples amérindiens et la connaissance des plantes sont d’une extraordinaire diversité. Ce sont eux qui ont su extraire le curare des plantes ou utiliser la quinine. Voilà d’ailleurs pourquoi les entreprises pharmaceutiques se sont intéressées de près à ces savoirs traditionnels pour tenter d’en récupérer les bénéfices.

Il constate aussi qu’après avoir réhabilité ces savoirs traditionnels, C.D Conner s’en prend à l’idée du miracle grec qui émerge au V ème siècle avant J-C d’un monde englué jusque-là dans l’irrationalité. Tout à coup, une petite élite intellectuelle de philosophes, de géomètres, et de mèdecins aurait inventé les mathématiques, la science, la raison, l’histoire, la médecine. Les historiens ont là aussi fait un sort à cette idée. On admet maintenant que les Pythagore ou Hippocrate ne sont que des labels. Leur nom désigne en fait une école de pensée, et derrière cette école, les milliers d’inconnus qui les ont précédés et fournis en matériaux de base.

Cette notion de « miracle grec » cache aussi ce que les Grecs devaient aux Egyptiens, aux Mésopotamiens, aux Phéniciens à qui ils ont beaucoup emprunté.

L’effort scientifique qui fut surtout celui d’une appropriation, parfois forcée et violente, du savoir d’illustres inconnus, montre en fait l’usage des sciences en tant qu’instrument de domination. Conner le montre à différentes échelles. La contribution des Amérindiens à la cartographie de l’Amérique du Nord ou leurs connaissances sur les vertus de la quinine dans la guérison du paludisme (comme indiqué ci-avant), jouèrent un rôle important dans la spoliation de leurs terres et l’expansion coloniale. L’apport des connaissances africaines dans l’essor de la riziculture en Caroline du Sud engagea aussi la nécessité d’y fixer des esclaves par le commerce triangulaire.

Nous notions dans un article précédent que l’acquisition de la connaissance n’est pas sans danger, et que les sociétés antiques avaient toujours considéré cette dernière, comme un « poison vital ».

De fait, le savoir obtenu des esclaves africains ne tarda pas à être utilisé contre eux. En effet, si en Angleterre, des tests destinés à vérifier la sûreté de l’inoculation furent d’abord effectués à petite échelle sur des condamnés, c’est la traite négrière qui fournit le plus grand vivier de sujets involontaires. Une fois l’efficacité de la méthode avérée, les marchands d’esclaves se mirent à systématiquement inoculer leur marchandise humaine pour maximiser leurs profits. Les esclaves immunisés étaient en effet considérés comme un investissement plus sûr et se vendaient à un prix plus élevé.

Une des difficultés de l’essai monumental de Connors, pourrait aussi tenir au portrait dépréciatif qu’il brosse des figures scientifiques, aussi nous ne pouvions passer sous silence le parcours exemplaire d’Henry Joseph, revalorisant le patrimoine naturel des plantes issues de la médecine traditionnelle antillaise.

« Tradisyon sé gren’ a Inovasyon ».

 

* Le Sarkophage 16 juillet 2011

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Théo LESCRUTATEUR

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