Société

Dans la mer des Antilles vogue un bateau sans timonier

Por el mar de las Antillas
Anda un barco de papel,
Anda y anda el barco, barco
Sin timonel (Nicolas Guillen)

Dans la mer des Antilles
Vogue un bateau en papier
Vogue et vogue le bateau, bateau
Sans timonier.

Du politique antillais au footballeur guyanais

Les défis auxquels nous devons faire face sont tellement prégnants qu’on se demande comment nous arrivons à perdre du temps, de l’énergie, notre intelligence,  pour des noms d’oiseau, pas très heureux, peut-être même assez lamentables.

L’éternelle question nous taraude  : « Sont-ils devenus fous ? ». Il paraît y avoir des professionnels des complaintes en tous genres : « On a agressé notre pays, notre université, nos mamans, nos fleurs, notre carnaval, nos miss, nos footballeurs… ».

Les drôles d’enfants que représentent nos leaders, politiques et d’opinions, nos cadres administratifs, nos footballeurs, nous fascinent, peut-être parce qu’ils nous questionnent sur les animaux sociaux que nous sommes.

L’homme serait mauvais par nature, et ce sont uniquement les mécanismes de contrôle social qui évitent que ce mal finisse par les détruire et nous détruire. Ou alors il serait naturellement bon, dans ce cas ce serait la société qui le corrompt.

La société a-t-elle corrompu les joueurs du Club Franciscain, encadrement, supporters ?

Mona Ozouf déplorait récemment « l’ensauvagement des mots qui prépare l’ensauvagement des actes ».

Dans un article posthume publié par Libération en juillet 2016, Pierre Pachet rappelait la fragilité de la démocratie et le danger d’une phraséologie qui avance des slogans meurtriers sans prendre la mesure de leur nocivité.

Franchement, en sommes nous-là ?

Oui, les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet et voilà qu’après quelque temps, l’effet se fait sentir, selon Victor Klemperer, auteur d’essais sur la novlangue nazie.

Mais nos footballeurs ont-ils normalisé l’avilissement d’un peuple (en l’occurrence guyanais), et la valorisation de champs lexicaux, appelant à la destruction, à la haine de ce même peuple ? Ont-ils simplement lancé un appel à LA DESOBEISSANCE SEMANTIQUE ?

En 2013, la cruauté des commentaires anonymes avait eu raison de la passion pour Twitter de Cécile Duflot, qui postait peu de temps avant, des photos de son Chili con Carne, en pleine préparation le samedi soir. Elle avait appuyé son propos en postant une capture d’écran des insultes qu’elle recevait. « Broute-moquette, Gros-cul, Au moins, si t’étais mignonne ».

Christine Boutin lui avait reproché d’être trop sensible : « A côté de ce que je reçois ! »

Echaudés, les footballeurs martiniquais vont-ils remplacer l’injure contre la présence maternelle, par « EN TCHOU AY » de Laura Flessel, que l’ex-ministre lança à la face du monde, aux Jeux Olympiques, quand elle perfora sa rivale, de sa pointe acérée, conquérant l’or olympique.

Mais pensez-vous que ces mêmes footballeurs, s’agissant des terribles pratiques pédophiles qui sont révélées, jour après jour, dans le prolongement de l’affaire Duhamel, et dont la première « victime » sur un territoire d’outre-mer est la figure sacralisée de Marc Pulvar, ancien syndicaliste, utiliseraient pour aborder ces sujets affreux, la même expression «  En … ay » ?

Bien sûr que non, la décence serait de mise.

Le psychanalyste Lacan parlait de la « père-version », c’est-à-dire de la fonction paternelle comme toute-puissance sur un individu, réduit à la disponibilité de l’autre. D’où notre conclusion : Et si nos footballeurs et nos politiques n’étaient après tout que des enfants sauvages ?

Le 8 janvier 1800, Victor de l’Aveyron, un enfant nu, voûté, aux cheveux hirsutes, est débusqué par trois chasseurs. Il s’enfuit, sort des bois et se réfugie dans la maison du teinturier Vidal. Il ne parle pas et fait des gestes désordonnés.

Le ministre Lucien Bonaparte réclame son transfert à Paris. Il arrive donc dans la capitale le 6 août 1800. Le voilà livré à la curiosité de la foule et des savants. Confié à ces derniers, il sera recueilli pendant plusieurs années par le savant Itard. Ce dernier se demandera finalement s’il n’aurait pas mieux fallu le laisser dans la forêt.

Le sociologue Lucien Malson déclare « que l’homme à sa naissance n’est qu’une espérance, une nuée de possibilités ». Nous ne le savons que trop bien pour les footballeurs en général (nous espérons que nos lecteurs auront compris que nos propos sont teintés d’humour).

Mais curieusement, le qualificatif d’enfant sauvage s’avère approprié pour nos hommes politiques.

Les hommes du changement déçoivent. Encore cinq ans de perdus. Aucune des problématiques majeures de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane, ne débouche sur une solution pérenne. Eau, déchets, tourisme de masse, les politiques paraissent avoir inventé le déclin quasi-automatique. Pire, le compte-à-rebours de la déflagration semble imminent.

Nous avons vu le président du Conseil régional de la Guadeloupe, sauter comme un cabri, avec des gestes désordonnés, lors de l’inauguration d’un tunnel en Guadeloupe, faire la circulation pour les premiers automobilistes, avant de disparaître tout penaud, puisque dans les minutes qui suivaient, un bus a percuté l’ouvrage d’art dont la capacité semble être minimaliste.

Nous avons vu le maire de la commune de Sainte-Anne en Guadeloupe, mis en défaut par une gestion erratique du plan d’occupation des sols, assurer qu’il y avait bien délivrance d’un permis de construire, lors de l’érection d’un temple hindou sur sa commune, avant de reconnaître que le permis ne portait que sur un élevage pour cabris. Mais est-ce important, nous dit le maire ? Le propriétaire voisin qui a osé contester l’érection illégale est poursuivi par la meute sur les réseaux sociaux, car il vient de Marseille.

L’impunité fragilise le fonctionnement démocratique de la société antillaise

Le Conseil d’Etat a eu récemment l’occasion de rappeler qu’une commune qui avait eu l’imprudence de délivrer un permis de construire illégal était tenue de réparer les préjudices causés par la construction, quand bien-même celle-ci aurait été édifiée avant qu’un juge ne déclare le permis illégal.

Dès lors qu’un permis de construire a été mis en œuvre et qu’il s’avère que celui-ci est finalement illégal et même si cette illégalité n’est reconnue que bien plus tard après la fin des travaux), la responsabilité de la commune peut être engagée par ceux qui pourraient prouver que la construction leur a causé un dommage.

Parmi les préjudices réparables, figure la perte de valeur vénale des propriétés voisines, même si celles-ci ne sont pas mises en vente.

La responsabilité de la collectivité en cas de délivrance d’une autorisation d’urbanisme illégale peut donc s’avérer lourde : CE 24 juillet 2019, req. N° 417915.

Une décision du Tribunal administratif de Basse-Terre vient de confirmer les pratiques douteuses des édiles. Le Tribunal administratif de Basse-Terre a ordonné l’annulation du recrutement de neuf agents territoriaux à la Mairie de Basse-Terre.

Le délai moyen raisonnable de publication retenu par la jurisprudence est de 2 mois de publicité. Or, Marie-Luce Penchard n’avait procédé qu’à 1 jour de publicité avant de procéder aux embauches, privant ainsi tout candidat externe d’avoir vent de l’ouverture du poste et de s’y présenter. Ces embauches précipitées avaient eu lieu durant l’entre-deux tours des élections municipales.

«Il serait temps que nos collectivités soient moralisées et que ce clientélisme d’un autre temps prenne fin », s’insurge le syndicat de l’union des experts territoriaux.

Mais alors que penser de l’affaire des notes de taxi de la Directrice du MACTe ? Il s’agirait comme dans bien des cas, d’une corruption qu’on ne désigne pas sous ce terme, liée à toute la superstructure qui entoure le monde politique et les centres décisionnels (cercles concentriques du pouvoir, cercles parasites), lucioles attirées par la lumière, qui tournent autour de l’attrait procuré par quelques avantages, comme le synthétisait J.P CABESTAN, qui considérait le nouveau système politique chinois, comme un parti-Etat « attrape-tout » fondé sur un continuum avec les nouvelles élites du pays qui le transforment et corrompent le système politique.

Le Parti au pouvoir (comme une présidence de conseil régional en Guadeloupe) est un aimant social et politique. La direction de celui-ci est consciente de ce cynisme généralisé mais préfère fermer les yeux.

L’oligarchie a laissé se développer une nouvelle classe patricienne car appartenant à une classe sociale élevée dotée de privilèges et de tendances ploutocratiques. Le parti reste solide, non plus fondé sur la mobilisation idéologique, mais sur l’intérêt personnel. Le corollaire de cette transformation est bien sûr la corruption des fonctionnaires et des cadres dirigeants du parti qui est endémique et systématique.

Peut-on appliquer cette analyse à l’influence considérable que revêt une Assemblée majoritaire dans des îles aussi petites que les nôtres et son omnipotence s’étendant à tous les réseaux institutionnels, économiques et culturels ?

Des tribalismes sans tribus

Les solidarités ethniques ne se dressent pas contre un état, en l’occurrence l’Etat français, appelé par certains puissance d’occupation, mais elles traduisent plutôt la fascination à l’égard de ce même état, puisque la capacité de mobilisation émotionnelle ne se conclut que par les appels lancinants à ce que les présidents des collectivités, le Préfet, le Ministre des Outre-mer, le Président de la République, interviennent contre…

  • une pétition supposée relative à une voiture à pains (pétition dont on n’a jamais vu la moindre trace, ou pour…
  • un temple indien (cette fois bien réel), qui s’est matérialisé sans aucun permis de construire, ou pour…
  • une bordée d’injures proférées par des joueurs d’un club de football martiniquais à l’encontre de leurs homologues guyanais.

On est amené à se demander si nous ne pouvons pas parler d’alibi ethnique, comme on a pu parler d’alibi démocratique, pour dissimuler à nous-mêmes nos propres tares.

La dérive ethnique, devient la plus dangereuse de toutes les drogues.

Il nous semble que s’agissant du problème de la plage de la Datcha, ce sont bien l’impéritie et les défaillances des maires successifs, qui ont conduit à la situation ubuesque actuelle, et non les occupants légaux ou illégaux des terrasses sur cette plage.

L’attitude grossière et insultante de visiteurs, n’est-elle pas la résultante d’une politique touristique non maîtrisée, et viciée dès le départ ? Pensez-vous que des avions bondés puissent déverser uniquement des familles élégantes et raffinées ? La famille qui a fait passer une épouvantable semaine au personnel de l’hôtel du Gosier et aux autres touristes d’ailleurs, était constituée de gens du voyage alcoolisés dissimulant dans leurs glacières des bouteilles d’alcool.

Le saccage environnemental de la Guadeloupe est-il effectué par des gens venus de l’extérieur ou par nos propres politiques ? Selon nous, le citoyen ne peut que se rendre compte que ceux qu’il a mis en place à la tête de nos collectivités, ne sont que de simples rouages régaliens du capitalisme. Les maires et l’exécutif régional, sont les premiers pollueurs, initiateurs d’un désastre écologique, par l’implantation effrénée de zones commerciales.

Un gigantesque marché racoleur d’intérêt régional est promu, alors que la mangrove n’a jamais autant été dégradée, que la zone de Jarry constitue un point de non-retour, que la pollution des sols et des eaux est avérée, que la Guadeloupe tend à n’être qu’une « pustulence » majeure.

Vous avez sûrement entendu que les opérations d’agrandissement de l’aéroport Pole-Caraïbes étaient suspendues. Il a fallu attendre la crise Covid pour qu’enfin un répit soit accordé à la nature guadeloupéenne.

On se demande s’ils vivent en Guadeloupe. Qu’espèrent-ils léguer comme île, à leurs enfants et petits-enfants ?

Au niveau démocratique, la multiplication des niveaux de décision participe également d’une nouvelle balkanisation de nos territoires.

Les nouvelles féodalités sont déjà en place, nous menaçant. Cap Excellence, par exemple, est ainsi l’alpha et l’omega de la distribution de l’eau, délivrant les bons points, pouvant se permettre d’installer des pompes, des captages, au nez et à la barbe des autres communautés d’agglomération. Ces entités se sont constituées en forteresses, et peuvent paralyser le reste du territoire. Le président de CAP EXCELLENCE semble intouchable, et concurrence désormais au niveau de son poids politique un Ary Chalus ou une Josette Borel-Lincertin.

La démocratie, a-t-on pu dire, est soluble dans le calcul, dans notre crainte des responsabilités, dans notre inertie civique, dans notre lâcheté vis-à-vis des corrupteurs et des affairistes, dans notre refus enfin de tout Absolu qui transcende nos intérêts personnels.

L’adversaire est en nous

Comment parler de peuple martiniquais ou guadeloupéen, ou guyanais, sans en faire un alibi d’une captation de sa puissance par une entité extérieure à lui ? Qui s’arrogera le droit de parler pour le peuple ?

Les contestations, les révoltes sont étouffées, car reposant toujours sur l’affectif, la réaction primaire, le ras-le-bol épidermique. Ceux qui détiennent les vrais leviers de pouvoir, dans l’ombre, se frottent les mains. Le sociologue Herbert Marcuse disait qu’on avait intérêt à laisser les gens se révolter un peu pour faire oublier leurs revendications. Dorénavant, on n’a qu’à désigner l’intrus, l’étranger à la vindicte populaire.

Nous rappelons que ce qu’il y avait de plus diabolique chez Hitler, c’est la façon dont il a persuadé le peuple allemand que toutes ses misères venaient de l’extérieur, de l’étranger, du Traité de Versailles, ou des Juifs, ou des Soviets, donc des autres, toujours des autres, et jamais du peuple allemand lui-même.

Nous persistons dans notre primitivisme. Nous rendons responsables de nos maux les gens d’en face. Si nous sommes révolutionnaires, nous croyons qu’en changeant la disposition de certains objets, en déboulonnant des statues, en déplaçant les richesses par exemple, nous supprimerons nos maux. L’adversaire est en nous.

Jean-Pierre Chrétien dans l’Alibi ethnique dans les politiques africaines, (revue Esprit juillet, août 1981), rappelait qu’une conscience néo-ethnique n’était pas éloignée de la politique bantoue développée dans le contexte sud-africain de l’apartheid ; comme l’a aussi rappelé Marianne Cornevin, le raffinement dans la subdivision des populations noires d’Afrique du Sud masquait la profonde unité linguistique des deux grandes entités Sotho et Nguni qui représentaient 93 % de cette population. On sait que les prétendus homelands baptisés Bantustans n’étaient que des échafaudages bureaucratiques sans rapport réel avec l’histoire des groupes, l’objectif de Prétoria étant de faire des Noirs des étrangers dans leur propre pays.

Gérard Chaliand avait montré le rôle d’une politique coloniale, celle des portugais en Guinée-bissau sous le général Spinola, dans l’entretien de clivages ethniques.

Nous ne sommes même pas les peuples assujettis sous l’antiquité, qui étaient transformés en alliés dès qu’il se soumettaient, et payaient l’impôt, en étant intégrés progressivement dans Rome qui devenait « la tête du corps formé par tous les peuples du monde », peuples qui gardaient leurs lois et leurs coutumes. Sans être compatriotes, ils étaient tous romains.

En Guyane et aux Antilles, nous prétendons ne pas être romains, mais nous ne voulons surtout pas être compatriotes.

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Théo LESCRUTATEUR

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1 Comment

  1. RUDDY JEAN-JACQUES
    février 12, 2021 at 07:42 — Répondre

    Une nouvelle fois merci pour cet article tres pertinent !
    J’ai pris le temps de le lire du début jusqu’à la fin avec beaucoup d’attention et de délectation, tant les termes sont justes.
    Comme souvent, les mots sont posés, la réflexion est grande et les références aux auteurs et articles qui sont cités nous incitent davantage à une profonde réflexion sur le devenir de nos départements.
    Voltaire à dit un jour  » plus les hommes seront éclairés, et plus ils seront libres »…

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