Adieu cantique, adieu carnaval, adieu électeurs
La légitimité ne se décrète pas en Guadeloupe et en Martinique. Elle s’acquiert et se mérite. Or, nous assistons à une dérobade irresponsable vers le pire.
Le désenchantement a succédé aux illusions. Les super héros sont redevenus banalement humains. Le discours d’identification à la personne du chef révolutionnaire (Alfred Marie-Jeanne), ou du petit père des peuples à la sauce créole et bienveillante (Ary Chalus) a volé en éclats. « Le pouvoir peut appeler autant qu’il le veut à la confiance, ce n’est pas ainsi qu’elle se construit ». (Michel Ghazal)
Les coalitions hétéroclites d’Alfred Marie-Jeanne et d’Ary Chalus, perdent pied (image ternie, adhésion morale en berne, opportunisme reconnu et attesté des acteurs politiques, lacunes et carences des gouvernants). Mais elles sont plus que jamais bouliquement accaparatrices de la rente bureaucratique et administrative, et incrustées à l’intérieur de toutes les institutions.
Tous les maires battus et déchoukés de la dernière mandature se sont retrouvés aux postes de direction de la Communauté du sud Basse-Terre (cadeaux éhontés en dépit de la sanction du peuple). Les oppositions ne paraissent pas plus crédibles. Les conflits internes à la CTM, le manque de hauteur de vue des protagonistes, ont ôté toute crédibilité à l’entité politique.
Certains propos paraissent écrits pour décrire ces peyi a bon dié. « Il ne s’agit même plus de système sur ce point, puisque cette équipe manque définitivement de tout : envie, intensité, qualité technique et athlétique, projet de jeu, grinta, honneur, dignité. Le contenu est affligeant et désespérant, les matches se suivent et se ressemblent, et rien ne change. Nos starlettes se cachent, on les entend dans la presse ou sur les réseaux sociaux, mais on ne les voit pas sur le rectangle de la vérité… Vous avez transformé en cauchemar et honte historique, votre accession en ligue des champions* ».
L’implacable réalité des chiffres de l’implosion économique en Guadeloupe et en Martinique, de l’accélération continue de la criminalité, du délitement de tous les liens sociaux, démontre que la politique n’est désormais plus qu’une excroissance vassale de prébendes électorales, et de postes de directeurs de cabinets. Le déclin touche substantiellement le système éducatif de nos îles, la déchéance morale devient palpable, le désespoir profond, et la pauvreté galopante fait des ravages.
En état de crise permanent, le CHU de Guadeloupe se bat pour « éviter une médecine de catastrophe » Vous avez bien entendu, médecine de catastrophe, comme sur les terrains de guerre ! (Le Monde du 4/11/2020). Mais le président de la région Guadeloupe voulait faire venir 1 million de touristes dans une île sans eau.
Nos leaders politiques demeurent misérablement et trivialement coincés en deçà d’une ligne de médiocrité et d’un amateurisme consternants.
Dans Stefan Zweig ou l’horreur de la politique, Antony Burlaud raconte comment toute sa vie, l’écrivain autrichien a tenu la politique pour suspecte, malgré les exhortations de Romain Rolland. « La politique, ce sont les conditions nécessaires pour exister – et même pour esthétiser. Nous ne gagnons rien à nous en désintéresser », écrivait ce dernier.
Stefan Zweig se voulait au-dessus de la mêlée. L’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler vint briser cet idéal. Il faut que ses livres soient jetés au feu, et sa maison perquisitionnée, pour qu’en 1934, il se résolve à l’exil. Comme l’avaient fait ces pêcheurs des bords de Seine (auxquels il a consacré une chronique, nous rappelle A. Burlaud), qui le 21 janvier 1793, surveillaient placidement leurs lignes à quelques pas de la place où l’on guillotinait Louis XVI, les guadeloupéens et martiniquais espéraient tourner le dos à l’Histoire.
La déferlante terroriste, la Covid-19, les résultats électoraux américains nous ont rappelé aux fondamentaux de la vie. Comment être un homme de raison à l’heure des grands fanatismes, un citoyen du monde voltigeant de continent en continent (c’est ce qu’on voulait nous faire croire) à l’heure des pandémies, un pays touristique sans les fondamentaux – eau, santé, propreté, ramassage des ordures, sécurité. Comment prétendons-nous donner des leçons au monde entier, si nous-mêmes succombons à des sirènes extrémistes et malfaisantes ?
Nous nous disions peuples de la fête, mais il semble que nous devrions cette fois-ci regarder la réalité en face.
Nous regardons nos bouteilles de champagne, mais nous devrons les laisser au fond du placard. Notre gosier restera sec.
Nous feuilletons nos cantiques de Noël, mais nous ne pourrons pas chanter Michaud veillait.
Le déchaînement des groupes carnavalesques pourrait n’être qu’une fantasmagorie.
On a pu comparer les peuples modernes à des hordes de chats. Sitôt réunis, ignorant leurs congénères autant que leur maître, ils s’en vont chacun de leur côté, poussés par d’insondables motivations.
Il y a des groupes contre des groupes. La Guadeloupe et la Martinique sont constituées d’individus qu’il est de plus en plus difficile de rassembler et de diriger pour un projet commun. Cette évolution majeure, qui façonne nos sociétés contemporaines, la sociologue Dominique Schnapper l’a décryptée, et un autre sociologue, Alain Ehrenberg, l’a résumée avec justesse sous le terme d’individu incertain.
Cet « individu incertain » antillais revendique haut et fort sa différence, mais hurle et réclame à grands cris l’attention d’une nation dont il déplore le manque d’attention à son égard.
Il regimbe à toute forme d’autorité, mais n’hésite pas à la réclamer pour les autres. Il se réclame afro-américain mais fait preuve d’un ostracisme évident à l’encontre de communautés immigrées.
Quelles leçons pouvons-nous donner au citoyen américain ? Il n’y a pas de plus grands hypocrites que nous, nous surfons en permanence sur les réseaux sociaux en évoquant Georges Floyd, mais que faisons-nous pour avoir en Guadeloupe et en Martinique une société plus juste ?
On critique la gestion de Trump pour le Covid-19, mais je ne vois pas en quoi la situation de la Guadeloupe, avec peut-être 200 morts nous enorgueillirait.
Les latinos ont voté pour Trump alors que les mexicains sont refoulés à la frontière. Les noirs américains n’ont pas accordé de satisfecit à Joe Biden alors qu’on nous affirmait que le Black lives matter s’était répandu aux Etats-Unis et sur la planète.
Nous nous moquions de Donald Trump qui n’arrêtait pas de dire : « Si je devais perdre contre ce gars-là, quelle honte ! », en évoquant son adversaire Joe Biden.
Le choc amoureux ne se décrète pas, il se vit.
• Lettre d’un club de supporters de l’OM
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