Divers

Yves Leborgne : LE CREOLE N’EST PAS UNE LANGUE AUTHENTIQUE… NI UNE IDOLE

Je m’étonne que l’on puisse revendiquer pour le créole le statut d’une langue originale, lorsque l’histoire nous enseigne de considérer le créole comme un instrument supplémentaire de domination, de déculturation des africains réduits en esclavage. Le créole est le produit de la colonisation, et de la pire époque de la colonisation : l’esclavage. Je dénie au créole l’aptitude à être promu à l’état de langue authentique de notre culture, de nos sentiments, de nos préoccupations esthétiques ou de nos problèmes économiques.

Si je me pose la question, qui parle le créole ? Je répondrai : tout le monde ! Les maîtres et les esclaves. Et cela m’interdit de considérer qu’il y a un usage du créole qui soit le privilège des exploités et qui leur permettrait de se constituer en groupe absolument distinct culturellement du groupe des exploitants…

(Qui tient ces propos sulfureux ? Nous tenions à soumettre à la sagacité de nos lecteurs le discours virulent d’Yves LEBORGNE, paru dans l’ouvrage LES ANTILLES DANS L’IMPASSE Editions L’harmattan 1981, sous la direction d’Alain BROSSAT et de Daniel MARAGNES.

Ces derniers rappellent que plusieurs générations de guadeloupéens ont été marqués par l’influence de ce professeur de philosophie dont l’ironie incisive et désabusée dissimulait à peine l’attachement profond et charnel qu’il vouait aux gens et aux choses de ce pays. Expulsé de la Guadeloupe par l’application du décret Debré d’octobre 1960, qui permettait à un préfet d’expulser tout fonctionnaire susceptible de troubler l’ordre public, il ne retourna en Guadeloupe qu’au prix d’une grève de la faim, à Cannes, où il était alors enseignant.

Yves LEBORGNE a été membre du bureau politique du Parti communiste Guadeloupéen avec lequel il a rompu, critiquant son incompréhension du problème national guadeloupéen.

Yves LEBORGNE prend ici le contre-pied de ce qui paraît être le marqueur identitaire de beaucoup d’intellectuels antillais).

Morceaux choisis d’une voix libre…

Dans l’hypothèse d’une Guadeloupe indépendante où il faudrait améliorer la formation des cadres, (il serait) plus urgent d’apprendre l’anglais, ou le chinois – pourquoi pas ?-, que de disposer d’une chaire de créole à l’université Antilles-Guyane, ou que de consacrer dans certains milieux, le plus clair des forces et du temps des intellectuels à une défense et à une illustration de la langue créole qui ressortissent davantage à une vocation de conservateur et d’archiviste que de militant.

Je veux bien défendre le créole, mais pas à la manière dont on défend une idole. Il y a un problème de l’analphabétisme qui maintiendra longtemps le créole, la nécessité du créole dans une grande couche de la population. Comme langue de connivence, de reconnaissance, comme preuve de l’appartenance à une même histoire…

Je ne minimise nullement l’intérêt qu’il y a à pratiquer, dans nos efforts de pédagogie politique, le créole.

( Mais) le créole est une espèce de koîné- comme on dit en grec-, un véhicule commun à tous les individus d’une société dont l’usage s’est diversifié pour ceux qui utilisent cette koîné, mais qui ne fournit pas aux exploités une sorte de camp retranché, un abri aux valeurs spécifiques du groupe, qui permettrait de protéger ces valeurs de toute contamination, de les constituer en bloc spirituel soustrait à toute altération, à tout discrédit et susceptible en des temps meilleurs- je veux dire en des temps de libération nationale-… de restituer au peuple libéré les valeurs qui sont les siennes, qui seraient en mesure de jouer le rôle de ciment spirituel, et qui garantiraient l’originalité culturelle du peuple.

Il faut se résigner et se dire que la Guadeloupe, telle qu’elle a été, telle qu’elle est, propose une langue que l’on peut réserver à certains circuits de relation, à certaines nécessités d’expression, de sentiments… Mais que la réalité fondamentale, c’est-à-dire le rapport colonial, fait que le français n’est pas seulement la langue de celui qui domine, la langue imposée à celui qui est dominé. C’est aussi l’instrument d’une libération paradoxale de celui qui subit l’oppression. (Tout comme) l’anglais n’est pas seulement la langue des esclavagistes mais aussi des anti-esclavagistes, comme l’espagnol n’est pas seulement la langue du vice-roi, mais aussi la langue des libertadores.

Je dis qu’il y avait plus d’authenticité africaine chez les descendants immédiats -parmi la première génération d’affranchis- qu’aujourd’hui, parmi ces intellectuels qui se réclament de la créolophonie. Je dis que l’homme guadeloupéen était moins avarié du temps de Mortenol, qu’en ces temps-ci. Je dis que Mortenol était plus authentiquement africain que Sony RUPAIRE. Les premiers instituteurs qui ont eu la tâche d’élever les premiers élèves nègres, savaient parfaitement quel usage pédagogique l’on pouvait faire du créole, et ils se gardaient bien de confondre le créole et le français. Ils savaient très bien à quoi servait le français dans cette lutte pour la promotion sociale par laquelle a débuté l’avènement et le progrès d’une conscience nationale. Ils savaient qu’il était urgent et nécessaire de pouvoir pénétrer les intentions les plus secrètes et les plus subtiles du Maître, en possédant la langue.

Le créole a toute raison d’exister, et je ne conteste pas la légitimité du recours à la langue créole, comme moyen de pénétrer un certain nombre de différences, ente la réalité française que reflète la langue française, et une partie de la réalité guadeloupéenne que reflète et véhicule la langue créole. Nous sommes bilingues, parce que nous sommes équivoques, nous sommes multiples. Mais à bien y regarder, il ne faudrait pas seulement être bilingue quand on est guadeloupéen . Il faudrait être polyglotte.

C’est la plus dangereuse utopie de penser que les rapports de la Guadeloupe avec Cuba vont se nouer en créole. C’est de la fantaisie que d ‘imaginer que les rapports de l’université de Fouillole et celle de Trinidad, vont avoir lieu en créole.

Il va falloir avec moins de démagogie situer l’usage du créole. Si nous envoyons des stagiaires à CUBA, nous devons savoir que nous avons intérêt à ce qu’ils disposent d’une certaine connaissance de l’espagnol…

Après la lecture décapante d’Yves LEBORGNE, il nous a paru nécessaire d’apporter à nos lecteurs, pour poursuivre cette interrogation sur le créole, les analyses du 25 mars 2016, de Ruth GROSRIBHARD du Monde,sur la politique d’arabisation scolaire au Maroc, et de PIERRE JORES MERAT dans Le Nouvelliste du 26/02/2013 sur HAITI et le créole.

Le Maroc est noté 0/20, du propre aveu des experts marocains, en matière scolaire. Il se situe à la 48ème place sur les 52 pays évalués, place inférieure à la moyenne des pays pauvres d’Afrique subsaharienne.

Le conseil des ministres présidé par Mohammed VI le 10 février 2016 a pris une décision choc concernant la politique éducative au Maroc. Les matières scientifiques sont désormais dispensées en français, cette langue sera enseignée à partir de la première année de l’école primaire, et l’anglais introduit aussi de manière précoce. Il s’agit bien d’une remise en cause de la politique d’arabisation telle qu’elle a été promue dès les années 1960, et mise en œuvre de matière volontariste dans les années 1980.

Les débats suscités par le bilan alarmant de l’enseignement public marocain ont souvent désigné l’arabisation voire la langue arabe comme causes principales d’un échec incontesté. Pourtant les moyens alloués au secteur de l’éducation, au Maroc sont importants. 6,3% du PIB du Maroc, contre 4,5% en France et 5,3% au Canada

Aprés l’indépendance du Maroc, les politiques éducative et linguistique ont fait de l’arabisation leur maître mot, comme gage d’une arabité supposée originelle, comme confisquée par le colonisateur . Mais les plus fervents promoteurs de l’arabisation, et l’élite gouvernante se sont toujours bien gardés de scolariser leurs enfants dans le système public.

Ce serait la logique et le drame d’une politique de l’éducation promue dans un système de valeurs passéistes au nom de l’authenticité.

Le Nouvelliste du 26/02/2013, dans un article passionnant sur Haïti et le créole , « Un débat faux et pervers » de Pierre JORES MERAT, remet également en cause bien des vérités supposées.

Dans ce pays où la situation de diglossie est prégnante, 80 % de la population ne parle que le créole, Pierre JORES MERAT défend de toutes ses tripes l’exception culturelle haïtienne, et veut qu’on reconnaisse à part entière la langue haïtienne. Mais tout autant, il nous dit que « se battre contre le français qui est un élément de notre patrimoine aussi, c’est tomber dans la démagogie ».

Il raille ceux qui soutiennent que le français est une langue extraterrestre, étrangère, capitaliste et bourgeoise en Haïti .Ceux qui parlent le français en Haïti sont des bourgeois capitalistes, s’insurge-t-il ?.

Faut-il avoir honte de la grande œuvre intitulée «  de l’égalité des races humaines » d’A. FIRMIN.

Faut-il cracher sur les actes de baptême de la nation haïtienne aux Gonaïves le 1er janvier 1804 parce qu’ils sont écrits en français ? Quelle douce perversité. Ah ! Le populisme associé à l’ineptie peut faire très mal. Une autre perle : le peuple haïtien est totalement éloigné du français. Quelle méconnaissance ou quel déni de la réalité ! Chaque année, nous dit-il, je reçois au moins trois demandes de discours pour parrain de noces, venant de la diaspora haïtienne des Etats-Unis. Le mariage se passe à New-York, l’assistance est haïtienne, mais le discours se fait en français. Un parrain des noces, d’un quartier populaire de la capitale, qui se permet de faire son discours de circonstances dans une autre langue que le français est très mal perçu, et vu comme «  mankedega ». Le français n’est pas seulement un code de communication en Haïti, mais aussi un fait sociologique inscrit dans le quotidien et le métal. L’extirper est un acte de vandalisme culturel pas très différent de la démarche des Kmers qui voulaient rendre vierge le Cambodge, assène le chercheur.

Il prend également un malin plaisir à égratigner ceux qui soutiennent une aire créolisante. La langue haïtienne est une langue totalement incompréhensible aussi pour un francophone ; même des Antillais, locuteurs des langues créoles des Petites Antilles ont les plus grandes difficultés pour comprendre un Haïtien. Il leur est nécessaire d’apprendre cette langue pour y accéder vraiment.

Previous post

Finale Coupe Interdom : Us nett - Flamboyant Villepinte

Next post

YO BYEN FOUTÉ PAMAL DÈ NOU ! GWADLOUPÉYEN DOUBOUT

Théo LESCRUTATEUR

Théo LESCRUTATEUR

1 Comment

  1. Camille G.
    juin 15, 2018 at 09:22 — Répondre

    Suite à votre article sur Yvon Leborgne, la réappropriation dans notre mémoire collective de ce phare guadeloupéen, par votre intermédiaire, m’a touché. J’ai été son élève, comme tant d’autres, au lycée de Baimbridge en 1977. Et laissez-moi vous dire que ce chantre de l’indépendance guadeloupéenne, aurait été consterné par l’usage du créole pratiqué à satiété, par nos politiciens, nos scénaristes de tout poil, et par les médias, dans un but populiste, et à aucun moment d’éveilleur de consciences.. Sur Radio CaraÏbes, à longueur de journée, des publicités «  populaires », égrènent en matière commerciale, toujours les mêmes refrains. Il faut changer de literie, ou de véhicule automobile, ou de cuisine aménagée, et la compagne devenue vindicative menace d’interrompre toute gaudriole. Cela manifeste une piètre conception des rapports amoureux en Guadeloupe, où aucune tendresse dans les couples n’est autorisée, mais le seul rapport froid et monétarisé.
    Les échanges entre les partenaires, et les ultimatum proférés par ces tigresses, sont bien évidemment en créole. A contrario, mais nous comprenons en fait parfaitement la logique des messages véhiculés, une voix off mesurée et sans accent antillais, – ces personnes s’exprimant cette fois-ci en français- délivre les adresses et références des enseignes commerciales.
    Peuple antillais, nous t’avons laissé le créole, et le RSA, surtout n’essaie pas d’apprendre d’autres langues, et de progresser à l’international, et contente-toi de passer aux caisses des centres commerciaux.
    Camille G.

Leave a reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *