Culture

Un film comme cadeau à René Depestre pour ses 90 ans

Des évènements dans la vie de l’écrivain haïtien René Depestre, il n’en manque pas. Il y en a un qui surement le touchera particulièrement, c’est la sortie du film documentaire « On ne rate pas une vie éternelle », du cinéaste haïtien Arnold Antonin. Un écrit de Gotson Pierre d’AlterPresse.

Arnold Antonin le réalisateur

Arnold Antonin le réalisateur

Ce documentaire, présenté en avant-première le 19 aout à Jacmel, ville natale de Depestre, dévoile au grand public les méandres de la vie du grand poète et romancier, racontés par l’auteur lui-même, dont le 29 aout marque le 90e anniversaire.

Arnold Antonin, son ami de longue date, est allé le rencontrer, à Lézignan-Corbières (dans le sud de la France) où il vit depuis 30 ans, et a remonté le fil de son œuvre pour rendre un film touchant, qui retient le spectateur en haleine durant 140 minutes…

Depestre nous conduit vers sa terre natale où il a cherché la beauté dans la fraicheur de la mer qui baigne le début du film. Il évoque avec sensibilité sa mère « arc-en-ciel ». Une vie « volée » par une machine à coudre Singer et qui renait sous nos yeux, dans une simulation réussie.

L’homme, qui aujourd’hui écrit debout, a été élevé par sa grand-mère. Il raconte comment il a été très tôt choqué par l’injustice, alors qu’il faisait la connaissance de personnages qui allaient devenir des icônes du 20e siècle. Rencontre en 1942 du poète cubain Nicolas Guillen, puis, en 1943, de l’écrivain haïtien Jacques Roumain et, en 1944, du poète martiniquais Aimé Césaire.

« Je n’ai imité personne », assure-t-il, dans cette conversation avec Arnold Antonin, qui relève le succès remporté par son premier recueil « Étincelles ». Ce livre sort en 1945 et fait l’« effet d’une bombe ».

C’est une voix alerte et pleine de passion qui nous ramène aux années 40 en Haïti : une aristocratie pesante, la révolte des jeunes de janvier 46 dont il fut un des leaders. 1968 avant la lettre !? « On était un pouvoir occulte juvénile », dit-il.

Nicolas Guillen, René Depestre et son épouse à Paris en 1956

Nicolas Guillen, René Depestre et son épouse à Paris en 1956

Les forces traditionnelles reprennent la main. C’est la prison et l’exil. Depestre se retrouve « leader étudiant » en 1950 à Paris et est expulsé de la France. « Tout s’effondrait du jour au lendemain », se souvient-il avec chagrin.

En Tchécoslovaquie où il trouve asile grâce à son ami poète français Paul Eluard, il rencontre l’écrivain chilien Pablo Neruda. Depestre découvre aussi l’abime qui existe entre les connaissances du marxisme et la réalité de la démocratie populaire. Il est mis à la porte. « Ca m’a profondément choqué », lâche-t-il.

Bref retour en Haïti. Duvalier lui expose « un programme anti haïtien, un programme de dictateur ». « Il me fait une mauvaise impression d’un esprit confus », tranche Depestre avec dédain. Il refuse un poste offert par celui qui ne tardera pas à devenir un tyran et est mis en résidence surveillée.

Bientôt viendra l’épisode cubain. 1959, il se rend compte de la portée de la révolution cubaine et publie dans le quotidien Le Nouvelliste un article qui est remarqué par le commandant en chef Fidel Castro. Il débarque dans l’Île où il est invité par Nicolas Guillen. La liaison dure une vingtaine d’années.

Il participe à la création de la grande maison d’édition Casa las Americas et écrit un poème en l’honneur du guerillero argentin Che Guevara, commandant en chef des forces révolutionnaires cubaines. « Tant qu’il y aura un homme humilié ». Mais, il prend la défense du poète cubain Heberto Padilla, jeté en prison par le régime et obligé de faire son « auto-critique ». « Inacceptable… dénonce Depestre.

De liaisons en ruptures, Depestre se définit aujourd’hui comme un « électron libre ». « J’aurais du être toujours un électron libre ».

Son port d’attache : l’écriture. Il l’aborde en « artisan ». « On est perpétuellement dans l’inachèvement », soutient le poète au moment où il « arrive dans la grande vieillesse avec le plus de grâce possible ».

Le personnage que nous campe Arnold Antonin est une « figure mythique des lettres, de la lutte politique et de la révolution », qui ne ratera certainement pas « une vie éternelle ».

depestre 7

@collectif2004images.org

Depestre a reçu de nombreux prix, parmi lesquels le Renaudot pour son roman « Hadriana dans tous mes rêves », en 1988, le prix Guillaume Apollinaire de poésie, pour « Anthologie personnelle », en 1993, et le Grand Prix de Poésie de l’Académie Française, pour l’ensemble de son œuvre, en 1998.

Si l’unanimité tend à se faire sur la qualité de son écriture, des reproches ciblent cependant le côté apparemment « pornographique » d’une partie de son œuvre.

Le documentaire d’Antonin est l’occasion pour l’écrivain de balayer ces critiques : « Quand j’entends parler de pornographie, je tire mon revolver », ironise-t-il, les yeux toujours pétillants.

Quant à la politique, le cinéaste estime que son interlocuteur a été « fougueux dans ses adhésions comme dans ses ruptures… Il est comme ça et il l’assume. Très souvent il a été bien en avance sur d’autres qui ont rompu après ! Il avait une vision claire ».

En plus d’être un hommage à Depestre, ce « voyage » dans les poèmes et la vie de l’auteur a aussi un but didactique. Le film doit aider les jeunes haïtiens à « affronter » ce grand écrivain, dont l’histoire est un peu celle de toute la première moitié du 20e siècle.

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