Société

« Qu’y a-t-il de plus universel que le cri de Delgrès le 10 mai 1802 ? »

L’allocution du président de la Région de Guadeloupe lors de la cérémonie de commémoration de l’abolition de l’esclavage le vendredi 27 mai au Fort Delgrès.

« La puissance du souvenir et le refus de l’oubli sont l’ultime défaite de la barbarie ».

Rendre une dignité posthume à des générations de vies brisées, une mémoire ineffable aux martyrs est un travail indispensable pour perpétrer la vérité.

Je veux rendre leur hommage, ici, au Fort Delgrès, terre de lutte.

@captured’ecran

Leurs révoltes victorieuses, nous rappellent aujourd’hui que nous devons, avec prudence et modestie, faire usage du mot « héros », tant nous ne savons pas toujours nous en montrer dignes.

Nos ancêtres, ces héros, épris de liberté qui en postérité prennent aujourd’hui les noms de nos monuments, qui en vieux sages, veillent sur la destinée de notre archipel ; nous appellent à nous élever.

L’héritage qu’ils nous laissent doivent former le karésol pour bâtir notre Guadeloupe. Tirer des enseignements pour donner sens au « vivre ensemble », faire preuve d’audace, de courage ; des préoccupations qui semblent bien éloignées de notre quotidien.

Si nous commémorons aujourd’hui l’abolition de la traite et de l’esclavage, ce n’est pas pour répéter indéfiniment le passé au point d’en devenir prisonnier, c’est pour comprendre, c’est pour construire.

Le 27 Mai, c’est aussi l’occasion, ici en Guadeloupe, de rappeler, et surtout de rappeler au monde, que l’humanité n’est toujours pas à l’abri de tragédies ultimes, de nouvelles tentatives de génocide fratricide. L’actualité en est une triste illustration…

La Commémoration est notre héritage, la connaissance du passé est notre liberté.

Qu’y a-t-il de plus universel que le cri de Louis Delgrès, au champ d’Arbaud le 10 mai 1802 ?

À l’univers entier, le dernier cri de l’innocence et du désespoir,
C’est dans les plus beaux des jours d’un siècle à jamais célèbre par le triomphe des Lumières et de la Philosophie, qu’une classe d’infortunés qu’on veut anéantir, se voit obligée d’élever la voix vers la postérité, pour lui faire connaître, lorsqu’elle aura disparu…

Ainsi commençait-il, pleinement conscient qu’il s’adressait à l’humanité tout entière et au nom de l’humanité tout entière !

C’est donc notre devoir, ici en Guadeloupe, chaque 27 mai, de nous adresser à notre tour à l’humanité tout entière pour lui conter ce qu’il s’est passé ici, et qui est inscrit à l’encre indélébile, fait du sang de nos aïeux, dans l’histoire de l’humanité.

Commémorer l’abolition de l’esclavage pour se rappeler au monde ; mais aussi pour le prévenir que l’arbitraire fondé sur la force ne s’accompagne d’aucune vertu, d’aucune prescription !

Dans les heures graves, où le doute et l’hésitation se glissent dans les esprits, il n’y a qu’une façon de voir clair et de rester irréprochable : penser et agir comme l’honneur le commande.

C’est le rôle du travail de mémoire à travers la constitution de lieux de mémoire qui sont « les nouvelles étapes de la connaissance et de la reconnaissance de ce pan si important de notre Histoire ».

La collectivité régionale a pris l’initiative de valoriser ces lieux qui nous imposent de ne pas se contenter des idées préfabriquées et simplistes, mais de se nourrir du travail des historiens.

Ils doivent être aussi des instances d’échanges et de partages destinés à garder vivante notre mémoire collective.

Enfin ce doit être des lieux de mémoire, individuel ou collectif, où chacun pourra trouver les repères d’un passé commun.

Avec le Memorial ACTe, la Région doit impulser, au niveau national et international, le maillage avec les autres lieux mémoriels, pour que notre histoire irrigue nos sociétés et les ancre dans un monde qui n’efface pas son passé mais qui ait le courage de le regarder en face dans sa complexité.

Frantz Fanon nous enseignait avec sagesse et clairvoyance que chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir.

@captured’ecran

Notre mission aujourd’hui, c’est combattre le sentiment d’impuissance qui envahit certains d’entre nous car la Guadeloupe vit encore des moments qui, bien que n’ayant rien de comparable avec la situation d’antan, restent difficiles.

Et par ces temps encore troublés par des difficultés sociales et une violence qui mine notre société, nous ne devons pas pour autant succomber à la fatalité, à l’heure où nous voyons se rapprocher le risque de voir se défaire en quelques années, ce que nos anciens ont parfois mis des siècles à construire.

L’exemple de nos aînés devrait nous conduire à avoir plus de confiance en nous-même !

Delgrès, Toussaint Louverture, la mulâtresse SOLITUDE, Schoelcher firent ce qu’ils avaient à faire.

Félix Eboué faisant basculer l’Afrique du côté du général de Gaulle, fit ce qu’il avait à faire.

Et nous ?

Yo té pou nou sé dit-on !

Cela résonne à mes oreilles comme un cri de victoire sur le sort et non comme une inéluctable malédiction.

Non le 27 mai n’est pas le symbole de contritions et de lamentations, c’est avant tout le témoignage de la vaillance et de la résilience des gens d’ici !
Car, même si les stigmates de notre Histoire sont bien visibles ;

Même si cette tragédie humaine constitua incontestablement un traumatisme majeur dont, malheureusement, les conséquences sur le fonctionnement de notre société restent largement sous estimées ;

Nous restons debout et fiers !

Fiers du sacrifice jadis de ceux qui ont réussi à construire ici, une culture riche et rayonnante, et qui contre vents et marées ont réussi à nous la transmettre, malgré une absolue et cruelle adversité !

C’est cette énergie fondatrice qui nous permettra de relever les défis à venir.

Notre jeunesse aspire, en toute légitimité, à participer à la dynamique du monde. Elle y a toute sa place et toutes ses chances d’y réussir, quel que soit le domaine.

Commémorer ici l’abolition de l’esclavage, c’est aussi rappeler au monde que la Guadeloupe sait d’où elle vient. Je souhaite qu’à ce message elle dise aussi que désormais, elle sait où elle va !

C’est ce défi que nous proposent de relever les compagnons de Delgrès, un défi que je vous propose de relever  » ensemble » : sécuriser l’avenir de notre jeunesse, pour qu’elle puisse demeurer libres de ses choix sans jamais oublier ce que Aimé Césaire nous invitait à ne pas oublier:

Le séculaire combat pour la liberté, l’égalité et la fraternité n’est jamais entièrement gagné et que c’est tous les jours qu’il vaut la peine d’être livré !

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