« On sera ridicule, et je n’oserai rire ? »
« On sera ridicule, et je n’oserai rire ? » ( Boileau : L’art poétique )
Des Antillaises ou des Réunionnaises uniquement vêtues de petites culottes déambulent dans les centres commerciaux. C’est le spectacle auquel nous assisterons, assurément, ces prochaines années. Prendraient-elles modèle sur le Mahatma Gandhi auquel nous avions fait allusion dans une de nos chroniques, dans une démarche de simplicité volontaire ? La réalité est plus triviale.
Dans ce temple de la consommation qu’est devenu le centre commercial de Destreland à Baie-Mahault, des centaines de guadeloupéens et guadeloupéennes se ruent vers les boutiques animés d’une véritable frénésie d’achats, lors de l’ouverture désormais traditionnelle à quatre heures du matin, un jour de la dernière semaine de décembre.
Mais il est surprenant que le groupe Bernard Hayot n’ait pas encore appliqué d’autres principes capitalistiques de certaines marques à ses entreprises, en particulier les techniques de vente élaborées par l’enseigne DESIGUAL.
La saga Desigual commence en 1984 à Ibiza. Le fondateur, Thomas Meyer, un jeune suisse de 20 ans, customise des tee-shirts qu’il revend aux vacanciers d’Ibiza. Depuis, elle est devenue le symbole de « l’urbain décontracté ». La marque organise des événements surprenants. Ainsi, la griffe a lancé un concept « original » depuis 2010, limité à une journée, et aux cent premiers clients venus en sous-vêtements.
Elle offre à ces derniers de repartir habillés, sans payer. Ces opérations sont appelées « Seminaked », Arrivez à moitié-nu, repartez habillé !
« L’or, même à la laideur, donne un teint de beauté » versifiait aussi Boileau toujours dans L’Art poétique.
Tant il est vrai que plus rien ne choque, et que les entreprises assènent leurs arguments choc en temps de crise.
Comment une jeune chômeuse guyanaise pourrait-elle résister à une offre publicitaire tapageuse et excitante ?
On en arrive même à oublier que les hommes et les femmes de l’Europe du XVIII ème siècle, ( ce n’est pas si loin ) et donc appliquant dans leurs colonies les schémas culturels de leurs pays d’origine avaient une conception diamétralement opposée de la décence s’agissant des tenues vestimentaires ( sauf pour leurs esclaves considérés comme des êtres inférieurs.. ) .
Dans Paul et Virginie, le roman de Bernardin de Saint-Pierre, Virginie fait annoncer son retour sur l’île, mais le navire qui la ramène de France est pris dans une tempête et échoue sur les rochers sous les yeux de Paul.
« Tous les matelots s’étaient jetés à la mer. Il n’en restait plus qu’un sur le pont, qui était tout nu et nerveux comme Hercule.
Il s’approcha de Virginie avec respect ; nous le vîmes se jeter à ses genoux, et s’efforcer même de lui ôter ses habits ; mais elle, le repoussant avec dignité, détourna de lui sa vue… »
Le plus surprenant est que le roman est tiré d’un fait réel. Une jeune créole, à bord du navire qui s’échoue près de l’île de France ( actuelle Ile Maurice ) refusera de se déshabiller, comme l’a rappelé un documentaire de Planète +Thalassa, préférant la mort à la « perte de sa vertu ».
Pour en revenir aux opérations « Seminaked », si aux Antilles ou à la Réunion, de telles méthodes racoleuses ne sont pas employées c’est que les dirigeants des entreprises savent que le consumérisme a atteint dans ces îles de tels niveaux qu’il serait difficile de faire mieux.
Pascal Bruckner, un des fervents adeptes de l’injonction à « jouir sans entrave » ( et donc sans culpabilité) auteur de « Le fanatisme de l’Apocalypse, Sauver la Terre, punir l’homme » dénonce l’environnement qui ne serait qu’une « nouvelle religion séculière qui s’élève sur les décombres d’un monde incroyant » et les contempteurs de la société de consommation.
Nous pouvons indiquer qu’il doit être le maître à penser de notre classe politique, tant les cerveaux de nos élus ne paraissent qu’être aptes à concevoir des zones de bureaux, des autoroutes, des hypermarchés et autres structures en béton dévoreuses d’espaces. ..
Une grève le mois dernier a secoué le groupe Habitat-But-Darty en Martinique, dirigé par le PDG Hervé GIAOUI.
Or, le Nouvel Observateur du 16 avril 2015 nous apprend que l’homme d’affaires a bâti sa fortune en commençant par faire du porte-à-porte pour vendre des chaînes hi-fi en Guadeloupe : « Ca a été un moment inoubliable. J’achetais moi-même les chaînes hi-fi au Japon pour les vendre aux Antilles ».
Sa holding Cafom ( centrale d’achat outre-mer ) qui détient les licences But et Darty dans les DOM-TOM est une « véritable machine à cash » qui lui a permis d’acheter Habitat il y a trois ans pour 25 millions d’euros. Aucune étude sérieuse n’a encore traité des bénéfices records générés par les établissements installés dans les DOM par les groupes nationaux. Le Canard Enchainé du 24/09/2014 nous apprend tout de même qu’il s’est associé avec Michel Perez pour acheter une villa de 1 hectare à Saint Martin ressemblant beaucoup à celle des Balkany la villa Pamplemousse saisie depuis par la justice.
Alors, achetons, consommons, et promenons-nous nus à Darty et à Destreland.
Quand arrêterons-nous d’être les dindons de la farce ?
Ma petite entreprise
Ne connaît pas la crise,
peut à loisir chanter Hervé Giaoui.
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