Luc St Eloy : Il nous faut encore interroger l’histoire pour bâtir une nouvelle image de l’homme noir
3ème édition de l’exposition « Les échos de la mémoire »; réalisateur et concepteur Luc-Saint Eloy
Ce n’est pas un hasard, si la 3e édition de l’exposition « les échos de la mémoire » se déroule du 2 aout au 21 aout 2016 sur le site de Duval en Guadeloupe. L’année 2016 rend hommage à la commémoration du 250e anniversaire de la naissance du Colonel Louis Delgrès héros de la liberté; Cette exposition visuelle et sonore, exceptionnelle labellisée par l’UNESCO « Programme Route de l’esclavage » rend hommage aux hommes, femmes victimes de l’esclave et la traite négrière. Luc Saint Eloy nous accorde l’interview par téléphone depuis la Guadeloupe.
97L ; La 1ère édition Les échos de la mémoire, le 10 mai 2013 a été inaugurée en présence du Président de la République et du Président du Sénat. Ce fut historique ?
Ce fut un honneur ! Bien évidemment, une naissance historique à l’occasion la Journée nationale des Mémoires de la traite négrière de l’esclavage et de leurs abolitions, en présence de tous les hauts responsables de la République. Un grand rendez-vous avec l’histoire qu’il ne fallait pas rater.
97L : Luc St Eloy, pouvez vous nous présenter le projet et le concept de l’exposition « Les échos de la mémoire » ?
Un concept original qui fait cohabiter le visuel et le son. Il s’agit de l’adaptation de notre feuilleton dramatique radiophonique. Une nouvelle manière de mettre en scène cette terrible tragédie, autour de la traite négrière et de l’esclavage, à travers 26 épisodes sonores d’une durée de 2’ à 3’environ en collaboration avec l’historien Goldwin Tété. Presque quatre siècles d’histoire sont ainsi racontés. Chaque panneau équipé d’un QR Code possède une enceinte qui permet la diffusion. A l’aide d’un bouton poussoir, le visiteur peut écouter à volonté comme il le souhaite. Quant au visuel, il s’agit d’un abécédaire de la mémoire qui retrace à travers les 26 lettres de l’alphabet les initiatives qui ont été prises ici ou là, et qui rendent hommage aux victimes de ce crime contre l’humanité. C’est une œuvre universelle.
97L : Quel sens historique donnez-vous à l’exposition ?
Une seule direction, celle que je défends et cultive depuis de longues années, un devoir d’histoire qui soit accessible à tous les publics. Faire en sorte que cette page soit mieux connue. Qu’elle nous aide à comprendre les erreurs du passé, pour mieux penser et se rêver. Démanteler les mécanismes monstrueux d’hier qui font honte à la famille humaine, tenter de bâtir de nouveaux regards, et surtout ceux qui sont portés sur l’homme noir en général. L’image héritée de cette période doit définitivement disparaître. C’est un des moyens d’y arriver.
97L : Les différents lieux et documents de toutes les archives pour le parcours de mémoire ?
Il suffit de visiter l’exposition, c’est le but. Nous nous rendons aux quatre coins de la planète. Ce serait trop long à expliquer ici, car c’est presqu’un tour du monde. Mais je rappelle que le feuilleton dramatique est adapté des travaux de l’historien Togolais Godwin Tété, dont l’original a été édité aux éditions L’Harmattan sous le titre « Revue Dossiers Noirs N°11 – Spécial Mémoire 1848, abolition de l’esclavage – La traite et l’esclavage négriers ».
97L : La réalisation scénographique, sons et visuels pour 26 modules et 26 lettres alphabétiques ?
Chaque panneau sonore correspond à une lettre de l’alphabet. Il y a 26 lettres donc 26 panneaux : A comme Actions – B comme Bateau négrier – C comme Cahier des doléances – D comme Alexandre Dumas etc….
97L : Le combat et l’engagement du poète et homme politique Aimé Césaire dans ce parcours ?
Il y a 4 panneaux muets qui lui rendent hommage. L’exposition a été créée en 2013, année Césaire. Nous lui avons dédié l’expo, tout naturellement, en soulignant l’engagement du poète.
97L : Pour la 2e édition l’exposition a été labellisée par l’Unesco programme Route de l’esclave, comment l’expliquez vous ?
C’est la suite logique après Décembre 2014 – « Les échos de la mémoire », ont été invités dans le cadre du Colloque International organisé par le Conseil Général de la Guadeloupe, qui célébrait les 20 ans de la Route de l’esclave de l’UNESCO. L’exposition a été fortement appréciée, puis cette labellisation a été concrétisée à notre retour sur Paris. Ce sont de sérieux encouragements qui démontrent que nous avons raison de poursuivre nos efforts…
97L : Pour la 3e édition, l’exposition s’installe dans la ville de Petit-Canal et l’agglomération du Nord Grande –Terre, quel est le programme ?
J’en profite pour remercier le maire de Petit-Canal, Monsieur Blaise Mornal et la présidente de la CANGT Madame Gabrielle Louis Carabin qui nous accueille sur ce formidable site chargé d’histoire, et sur lequel un hommage permanent est rendu aux Maitres Ka de la Guadeloupe à l’initiative du CIPN. Cette fois l’exposition s’inscrit dans le cadre de la célébration du 250ème anniversaire de la naissance du colonel Delgrès mais aussi dans le cadre de la décennie Internationale des personnes d’ascendance africaine lancée par l’UNESCO 2014-2024.
97L : Quel lien entre Les échos de la mémoire et le film « 1802 l‘Epopée Guadeloupéenne » ? Le mot d’ordre : Liberté ?
Ce film de Christian Lara, est un film de guerre et peut-être le seul à ce jour. Il retrace la vaillance et la résistance du peuple de Guadeloupe. Le combat de Delgrès, d’Ignace et de tous ses compagnons qui se battent jusqu’à la mort contre le retour à l’esclavage et pour la défense des libertés. C’est une belle manière de célébrer cet anniversaire… Ce film y avait toute sa place puisqu’il a été programmé pour le lancement le jour anniversaire de Delgrès le 2 août.
97L : Quels sont les éléments les plus importants dans la transmission pour comprendre l’exposition?
Tout est important. Rien n’a été fait par hasard. La partie visuelle et la partie sonore sont totalement complémentaires.
C’est un chemin qui mène directement au cœur de la tragédie et qui le rend accessible grâce à son concept qui invite à cette promenade originale. C’est de l’éducation populaire au sens noble du terme en direction des élèves, de leurs professeurs et des parents. L’idéal serait que l’Education nationale nous accompagne et nous aide à toucher tous les publics scolaires. Le chantier est immense et nous n’en sommes qu’au début. Nous venons de démarrer un travail très constructif avec l’Université des Antilles. Mais il est encore trop tôt pour en parler…
97L : Place du Général Catroux à Paris, devant le monument du Général Damas, une sculpture de fers d’esclaves brisés de la mémoire. Votre analyse et réflexion ?
Une démarche très constructive. Une œuvre qui parle d’elle-même, mais qui est un hommage à Dumas. En 1998, nous avions initié le projet d’un grand monument, comme dit PSE à la hauteur du crime commis et dédié à toutes les victimes de la traite négrière et de l’esclavage avec la grande fresque historique qui avait rassemblé plus de 60 000 personnes dans les rues de Paris, le 21 juin de cette année des 150 ans d’abolition. Elle n’a pas encore abouti. Mais pour une ville comme Paris, il nous faut une œuvre qui rende encore plus lisible ce crime contre l’humanité. Le pays des droits de l’homme doit l’accueillir en urgence.
97L : Votre réaction, lorsque l’on vous dit : » Vous êtes un artisan de la mémoire collective »?
La tâche est immense je vous l’ai dit et le répète. On a besoin de tous ! Mais à chacun sa notion de la mémoire. Pour l’heure, je parle surtout de devoir d’histoire. Et je m’y investis comme je le peux. Il nous faut encore beaucoup travailler afin que le plus grand nombre ait accès à cette histoire méconnue, pour habiter ou visiter cette mémoire collective et mieux la cultiver et permettre de faciliter le rapprochement entre les hommes. Cela reste une barrière fondamentale contre toute forme de racisme et de discrimination. Je poursuis mon travail de créateur comme je le peux, et depuis de longues années. Je tente de mettre en scène et d’en favoriser l’accès. Il me semble que c’est indispensable pour comprendre ce qui nous est arrivé. Il nous faut encore interroger l’histoire et décoder pour nous penser différemment et bâtir une nouvelle image de l’homme noir. Les traces d’hier sont encore trop présentes dans le fonctionnement de notre société. Il y a un certain héritage négatif qui creuse encore le fossé et érige trop de barrières entre les hommes, entre dominants et dominés. Les remèdes sont à trouver ensemble pour établir de nouvelles relations entre les uns et les autres et la Journée nationale du 10 mai doit nous aider à aller dans cette direction. Chacun sa mission. La télévision nationale française doit remplir la sienne. Par exemple, nous attendons encore que la première chaine du service public, France 2 pour ne pas la nommer, aille encore plus loin dans son cahier des charges, surtout autour de cette célébration nationale du 10 mai. Observez les médias nationaux ce jour-là, et vous verrez qu’il y a encore beaucoup à faire.
97L : Un mot de soutien à l’équipe 97Land ?
Déjà merci de l’intérêt que vous accordez à ce travail autour de la mémoire. Merci car il est indispensable que ces travaux touchent tous les publics. Vous y contribuez. Je vous souhaite de poursuivre vos efforts. Alors bon travail et bon courage, car il vous en faut également.
Pour suivre les prochaines expositions Les échos de la mémoire www.lesechosdelamemoire.com
Propos recueillis par Wanda Nicot
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