Société

L’octroi de mer survivance esclavagiste

Comment comprendre en ce 21ème siècle, cet attachement singulier des tenants du pouvoir économique et politique à la taxe de l’Octroi de Mer (OM)…

Ironie du sort, puisque cet impôt propre aux territoires d’Outre-mer remonte historiquement à 1670 du temps des colonies. Et qui dirigeait le Royaume de France à cette époque. Chronologiquement c’était d’abord le Cardinal de RICHELIEU Armand Du PLESSIS, dit le Grand Armand secondé en sa tâche par Jean-Baptiste COLBERT l’endogame, tous deux veillant sur Louis XIV étant encore un enfant.

Comprendre l’Octroi de mer, c’est lire entre les lignes l’excellent ouvrage de l’historien Daniel DESSERT « COLBERT ou le mythe de l’absolutisme. Il est relativement aisé de suivre le cheminement de cette taxe, au travers de la carrière de RICHELIEU qui en 1635 s’arroge la charge de Grand maître, chef surintendant général de la Marine, Navigation et Commerce de France.

Que sous-tend la possession de cette charge, sinon la maîtrise des forces armées maritimes, mais accessoirement le contrôle du commerce avec les comptoirs coloniaux. La perception des taxes sur les produits importés faisait déjà la fortune du Cardinal et à sa mort en 1642, c’est l’avènement du Cardinal MAZARIN le parrain du toujours mineur Louis XIV.

Et qui est son poisson pilote l’omni présent Jean-Baptiste COLBERT, et comme le Cardinal MAZARIN avait bien suivi les leçons de RICHELIEU, et il s’arroge tout naturellement l’autorité sur la Marine, Navigation et Commerce de France.

Et, ainsi secondé par COLBERT qui s’était déjà penché sur les fonts baptismaux de l’Octroi de mer cela n’était ni plus ni moins l’application de cette taxe sur les produits importés des colonies, en vigueur sous RICHELIEU.

Aujourd’hui l’octroi de mer est un impôt propre aux départements et régions d’Outre-mer, qui s’applique aussi bien à l’import qu’à l’export.

En dépit du fait que les dispositions du traité européen dans les régions ultrapériphériques de l’Union, dont font partie les collectivités territoriales françaises d’Outre-mer, n’autorisent en principe aucune différenciation d’imposition entre les produits locaux et ceux provenant de France métropolitaine ou des autres États membres, dans les faits, il en est tout autrement.
Car, l’article 349 du traité laisse au Gouvernement la possibilité d’introduire des mesures spécifiques en faveur de ces régions en raison de l’existence de handicaps permanents qui ont une incidence sur la situation économique et sociale de ces régions ultrapériphériques.

Ces mesures très particulières, doivent tenir compte des caractéristiques et contraintes particulières de ces régions, sans nuire à l’intégrité et à la cohérence de l’ordre juridique de l’Union, y compris le marché intérieur et les politiques communes.

« La permanence et la combinaison des handicaps dont souffrent les régions ultrapériphériques de l’Union visés à l’article 349 du traité (l’éloignement, la dépendance à l’égard des matières premières et de l’énergie, l’obligation de constituer des stocks plus importants, la faible dimension du marché local combinée à une activité exportatrice peu développée, etc.) se traduisent par une augmentation des coûts de production et donc du prix de revient des produits fabriqués localement qui, en l’absence de mesures spécifiques, seraient moins compétitifs par rapport à ceux produits ailleurs, même en tenant compte des frais d’acheminement vers les départements français d’outre-mer. Cela rendrait donc plus difficile le maintien d’une production locale. »

Et à la lecture du préambule de la Loi n° 2015-762 du 29 juin 2015 modifiant la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer, il a bien été rappelé, que l’octroi de mer constitue pour les collectivités ultramarines une recette essentielle qui s’est élevée, en 2014, à 1,146 milliards d’euros dans leur ensemble.

En outre, il conforte le rôle des collectivités régionales dans la détermination des stratégies territoriales de développement économique. A ce jour, les entreprises ayant un chiffre d’affaire inférieur à 300 000 € sont exclues du champ d’application de la taxe. L’exception accordée à la France est depuis le 31 décembre 2020, arrivée à son terme, et la question de sa reconduite se pose avec une grande acuité…

Cette grande aspiration aux régimes dérogatoires, n’est pas sans rappeler ceux accordés à la chlordécone à une autre époque, dont les effets sans communes mesures sont tout autant ravageurs.

Et pour ce faire, il faut se rendre à l’évidence, les effets pervers de l’octroi de mer sont à minima destructeurs de plusieurs manières, et extrêmement bien argumentés dans un rapport commandé par Bercy.

Il est souligné, que « la taxation des intrants renchérit excessivement les coûts de production et favorise l’importation de biens de consommation finalement moins taxés que les intrants qui seraient nécessaires à la production locale »,

Les analyses démontrent que la suppression de l’octroi de mer engendrerait, « la baisse du niveau général des prix dans les DOM significativement, en moyenne entre 4,6% et particulier en Martinique de 9% l’incidence sur les prix de tous les produits y compris de première nécessité.

Dans la continuité des effets pervers, la liberté de la fixation de la taxation entre les territoires conduit à organiser un différentiel sur le prix des produits entre Martinique et Guadeloupe créant une rupture de sens du marché unique européen.

Et que dire toujours selon le rapport, de l’arbitraire et de l’opacité de la fixation des taux de taxation favorisant la corruption. La litanie des maux n’est pas terminée, car cette taxe dissuade la création d’entreprises donc d’emplois dont la carence chronique encourage l’exode des jeunes.

L’octroi de mer, c’est un octroi de mort des productions locales en raison d’une concurrence des denrées et autres produits importés, et par voie de conséquence celle de l’indépendance alimentaire de nos territoires.

Et enfin, si la richesse provient de l’importation, pourquoi donc ne pas ouvrir à l’urbanisation des terres agricoles puisque l’importation est censée subvenir à la consommation locale… Alors au gré des révisions de Plan locaux d’Urbanisme (PLU), le mitage des zones agricoles va bon train avec son lot de turpitudes.

L’avenir des collectivités des Outre-mer se pose avec gravité, et, la véritable question est comment en supprimant l’octroi de mer, compenser les 40% environ de leurs recettes.
Cet octroi de mer s’inscrit dans le cadre de la décision du Conseil de l’UE n° 940/2014/UE du 17 décembre 2014 jusqu’au 31 décembre 2020, le système de différentiels de taxation entre les productions locales (octroi de mer interne) et les importations (octroi de mer externe), dans les cinq départements d’outre-mer afin de compenser leurs handicaps structurels.

Et le Gouvernement doit en urgence renégocier la reconduction de ce dispositif dérogatoire du droit commun jusqu’en 2027 au-devant du Conseil Européen.

Dès lors, le débat fait rage entre les tenants et les opposants du maintien et de la suppression de l’octroi de mer, sachant qu’après avoir abaissé le seuil des entreprises assujetties à 300 000€ de chiffre d’affaire annuel, le même Gouvernement est incité cette fois le porter à 500 000€.

Le vrai chantier, entre ceux qui sont pour la survivance d’une taxe du COLBERT auteur du Code Noir et les autres, est comment construire un modèle économique pour les collectivités territoriales d’Outre-mer qui se libère de l’héritage esclavagiste…

Le Gouvernement serait bien avisé avant de décider de la prorogation de la taxe d’octroi de mer, de mener une consultation de tous les acteurs concernés au titre de leurs centres d’intérêts moraux et matériels du bilan avantages inconvénients. Il en va de l’avenir de territoire d’Outre-mer ce qui ne manquera pas d’avoir des conséquences irréversibles.

Antony ETELBERT


Auteur de référence
FERDI-Fondation pour les études et recherches sur le développement international. 2020 de Anne-Marie GEOURJON, Bertrand LAPORTE, et le rapport LECLERC
Conférences de Maître Maryse COPPET Avocate

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