L’innocence tranquille du racisme ordinaire
Retour sur un sketch insultant la mémoire des victimes du génocide des Tutsi, au Rwanda, une parodie de l’émission « Rendez-vous en terre inconnue », diffusé par Canal +. Cris de singe, cannibalisme, négationnisme, rien ne manquait. L’humour méprisant et profanateur n’avait pas attiré l’attention des guetteurs de conscience, lors de sa diffusion.
Dans l’émission « parodique» Le débarquement, du 20 décembre 2012, présentée par Jean Dujardin, un personnage Tutsi, Honoré, rescapé du génocide, est soupçonné de servir du « hutu » à ses hôtes français. Il déclare avoir un « Ougali », un plat de son pays. « C’est frais » ! peut-on entendre. « C’est pas du Hutu, j’espère, hein ! » réplique le comédien Gilles Lelouche.
Une jeune femme en recherche d’adoption témoigne de son calvaire. Elle trouve que le génocide n’a pas fait assez de morts : « J’en trouve un (orphelin), sublime. Le lendemain, ils m’avaient retrouvé toute la famille. Obligée, d’en choisir un autre, moins joli, évidemment. Alors cette fois, je demande à voir la carte du village rasé pour être sûre que tout le monde y est resté. Et ne voilà-t-il pas qu’on retrouve une tante dans le village voisin…
On parle de génocide, génocide, moi je trouve qu’il y en a encore un paquet en pleine forme ».
David Gukunzi indique que parallèlement à la fureur verbale et à la violence physique, le rire est l’une des voies classiques d’expression de la cruauté humaine : que l’utilisation de la moquerie comme outils d’humiliation et d’infériorisation de l’homme par l’homme est une constante de l’histoire.
Rappel : le 30 mai 1994, en plein génocide, la radio rwandaise ricanait, se moquait des morts, réfutait les exécutions, et parlait de suicides des « Tutsis », alors que déjà des milliers de cadavres jonchaient le sol.
Mais pouvait-on imaginer qu’en France, 18 ans après les massacres, la simple décence qui est due aux morts même lointains soit foulée aux pieds, de la manière la plus vile ?
Scholastique Mukagonsa, a été la première à réagir contre l’utilisation dégradante par la chaîne cryptée de l’innommable. Elle avait signé une tribune dans Libération. « Alors, a-t-on de quoi rire ? C’est loin le Rwanda, c’est en Afrique, un petit génocide, tout juste un million de morts. C’est parfait. Il y a des sauvages, et en plus ils font un génocide. »
Et, rétrospectivement, que penser quand Jean D’Ormesson, dans un article du Figaro du 19 juillet 1994, intitulé « J’ai vu le malheur en marche », évoquait « des massacres grandioses dans un décor sublime ».
Inconscience ?
« (La scénette) visait à caricaturer et dénoncer l’attitude de certains occidentaux ne s’intéressant qu’à eux mêmes, en arrivant dans un pays qui leur est totalement étranger », s’est ainsi excusée la chaîne cryptée. « Le choix d’un pays ayant connu une période de massacres visait à créer un contraste extrême entre la gravité des faits et l’attitude désinvolte des supposés invités d’une émission parodiée. Nous regrettons que ce sketch ait pu être interprété autrement ».
Pour finir en apothéose, comme si Canal Plus avait voulu remporter la palme de l’horreur, le sketch se concluait par une berceuse macabre sur l’air de fais dodo, colin mon p’tit frère.
« Fais dodo, Colin mon p’tit frère…
Maman est en haut, coupée en morceaux,
Papa est en bas, il lui manque un bras »
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