Lettre ouverte des jeunes avocats aux parlementaires de la Guadeloupe
Lettre ouverte à Mesdames et Messieurs les députés et sénateurs de la Guadeloupe
OBJET : Protection du secret professionnel de l’avocat dans le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire
Mesdames et Messieurs les députés et sénateurs de Guadeloupe,
Depuis le 14 avril 2021, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée sur le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire.
Des promesses semblaient être tenues puisque dans ce projet, la protection du secret professionnel en toute matière, « que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense », devait être garanti.
Toutefois, la Commission mixte paritaire (CMP) a adopté hier, jeudi 21 octobre 2021, un texte qui généralise et prône, comme outil principal d’investigation, la perquisition au domicile et au cabinet de l’avocat ainsi que la levée du secret professionnel, alors même que l’avocat n’est pas mis en cause dans la commission de l’infraction.
En effet, selon le texte adopté par la CMP, le secret professionnel de l’avocat serait inopposable et donc inapplicable, dans deux cas.
Dans la première situation, des perquisitions pourront être diligentées dans le cabinet et au domicile de l’avocat, lorsque certaines infractions financières seront poursuivies. En outre, lorsque les clients seront soupçonnés d’avoir participé aux infractions de fraude fiscale, financement du terrorisme, corruption et trafic d’influence commis par les particuliers, corruption et trafics d’influence passifs, ou blanchiment de l’ensemble de ces délits, le parquet ou le magistrat instructeur pourra perquisitionner le cabinet et le domicile de l’avocat, puis saisir :
- les consultations écrites, audios, vidéos etc., qui ont été réalisées pour le client ;
- les correspondances entretenues avec le client ;
- toutes les pièces que le client aura fourni à son avocat ou que ce dernier lui aura communiquées ;
Sous réserve que ces documents aient servi à commettre ou faciliter l’infraction.
Cela signifie, par exemple, que lorsqu’un client consultera un avocat fiscaliste pour optimiser ses investissements, tous les conseils que l’avocat lui aura prodigués pourront être saisis pour tenter de prouver que le client a commis une fraude fiscale.
Autre exemple, pour prouver la corruption et le trafic d’influence, faute de preuve trouvée ailleurs, le parquet ou le magistrat instructeur pourra perquisitionner le cabinet et le domicile de l’avocat pour saisir des consultations ou correspondances qui tendraient à démontrer que le client, personne ou personnalité publique, a commis cette infraction lors, par exemple, d’une passation de marché ou d’élections, alors même qu’il n’avait consulté son avocat que pour savoir quel bon comportement adopté.
La CMP n’a pas cru bon de préciser la teneur du lien de causalité entre le document saisi et l’infraction poursuivie, de sorte qu’une simple lettre, qui constituerait un indice indirect et ténu de facilitation de l’infraction, pourrait être saisie.
La seconde situation est relative aux perquisitions qui pourront être diligentées dans le cabinet et au domicile de l’avocat lorsque ce dernier aura « fait l’objet de manœuvres ou actions », qui auraient permis la commission la poursuite ou la dissimulation d’une infraction, sans qu’il n’ait eu cette intention.
La question est alors de savoir à quel moment l’avocat est considéré comme manipulé par son client ? Quel comportement ou action de l’avocat caractérise une poursuite ou une dissimulation de l’infraction, sans intention de commettre, poursuivre ou dissimuler l’infraction ? Qui, alors même que l’avocat ne sera pas entendu sur cette prétendue manipulation au préalable, statuera sur l’existence de cette manipulation contre le gré de l’avocat ?
Il paraît évident que cette disposition permet de généraliser les perquisitions du cabinet et du domicile de l’avocat au seul motif que :
- le client serait soupçonné d’avoir participé à l’une, et donc n’importe laquelle, des infractions prévues par le Code pénal ;
- l’avocat aurait été manipulé par son client et aurait, sans le vouloir, commis une infraction, poursuivie la commission de l’infraction, ou dissimulé l’infraction commise par le client.
Ainsi, à l’appui de cette disposition, le parquet ou le magistrat instructeur pourront saisir tous documents se trouvant au cabinet et au domicile de l’avocat, sans que le secret ne puisse leur être opposé, lorsque, par exemple :
- le client, qu’il a accompagné pour l’ouverture de comptes bancaires à l’étranger, est poursuivi pour non-déclaration d’un compte à l’étranger, en considérant que l’avocat aurait été manipulé pour dissimuler ce compte ;
- le client, qui ne souhaite pas que son enfant aille chez l’autre parent durant un week-end, est poursuivi pour non représentation d’enfant, en considérant que l’avocat aurait été manipulé pour permettre cette non représentation, par ses consultations ou analyse des pièces fournies par le client.
Ces dispositions mettent fin à la confiance du client en son avocat, au rôle de confident que joue l’avocat, et mettent un terme au principe selon lequel nul ne peut s‘auto incriminer, pourtant garantie par la Convention européenne des droits de l’homme au titre du droit à un procès équitable (article 6).
Si le parquet ou le magistrat instructeur peinent à trouver des preuves, même indirectes, permettant d’impliquer des citoyens dans la commission des infractions, le havre de confidence, cet antre d’intimité que constitue le cabinet de l’avocat, ne saurait devenir le terreau de preuves au service du parquet et des magistrats instructeurs.
C’est pourquoi, nous vous sollicitons afin de voter contre ces amendements qui, loin de restaurer la confiance dans la justice, instillent la défiance du justiciable envers l’appareil judiciaire, le secret qu’il confie à son avocat étant réduit à néant.
Sandra DIVIALLE-GELAS
Présidente de l’UJAG SXM SBH
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