Les confessions de Jacob
Rencontrer Jacob Desvarieux, c’est entrer dans un univers. On l’imagine sur scène, en studio, entouré de fans, mais là, c’est au calme, dans un jardin à Stains sous un chaud soleil que se fait l’interview. Une dame s’approche, le dévisage et refuse l’évidence. Ce ne peut être lui, c’est surement un sosie malgré la guitare et la voix rocailleuse. Et c’est autour d’une grillade que se déroule l’entretien en toute décontraction, la vue et le fumet des viandes, le crépitement du feu ingrédients d’un bon moment partagé.
Qu’est ce que cela fait d’être un phénomène, d’avoir créé «une génération Kassav» comme Stromae vous citant en premier dans ses influences ?
C’est bien mais sincèrement quand on est dedans on ne s’en rend pas compte. Quand ça arrive à quelqu’un d’autre tu te dis «Ah ouais…Le mec il a fait un truc». A l’époque si on nous avait dit «Vous jouerez partout dans le monde» on n’y aurait pas cru. Maintenant, les musiciens de tous les continents qui nous ont entendus en parlent ou nous connaissent. Cela prouve qu’on n’a pas fait tout ça pour rien !
A la création de Kassav, est-il vrai que vous aviez l’ambition de lutter contre l’influence du Kompa ?
Ça c’est la légende ! On est arrivé à l’époque où le kompa était prédominant et devait représenter 90 % du marché. Comme nous avons été les premiers à inverser la tendance, évidement des légendes se sont créées. Nous, on voulait faire de la musique, de la musique antillaise qui se reconnaisse n’importe où, qui puisse marcher. Le kompa qui avait l’hégémonie a été bousculé mais il est toujours là. Une nouvelle génération est arrivée qui s’est inspirée de ce que l’on a fait et de ce qu’ont fait leurs pères. Moi, je n’ai jamais compris le problème. Vu de là bas, on a l’impression qu’Haïti, c’est loin, c’est un autre continent pourtant c’est à deux heures de vol. On a tellement de choses en commun historiquement, à tous les niveaux…
Prochainement vous êtes en Afrique du Sud. Vous reste-t-il des pays à découvrir ?
Le Tibet, l’Alaska, la Chine (rires)… Plus sérieusement suite à l’Afrique du Sud c’est le Mozambique. L’Australie on y va après la Nouvelle Calédonie. Chaque année, on découvre de nouveaux horizons… Non bien sur ! Il y a quelques pays qu’on n’a pas fait comme l’Argentine et certains pays d’Amérique du Sud. Heureusement ! Ça fait de belles photos et des publics à conquérir.
Jacob c’est peu d’albums solos. Avez-vous un projet musical à venir ?
Peu ? J’ai quand même fait quelques albums : Madiana, Banzawa, Zouk la, Soulagé yo, Euphrasine Blues. Mais c’est un problème de temps et de disponibilité J’ai d’autres projets en cours. Ça me reprendra un jour. Et ce sera surprenant !
On vous a vu dans Siméon. On sait moins que vous avez joué dans le film Switch avec Cantona et récemment dans une série télévisée Frères d’Armes. Une carrière d’acteur en perspective ?
Oh, je fais de petites apparitions. Comme je milite pour qu’il y ait plus d’acteurs noirs dans les films, je me retrouve embrigadé dedans et il est plus facile de prendre quelqu’un de connu qu’un acteur même très bon mais inconnu. Ca permet aux réalisateurs, aux producteurs, au monde du cinéma de savoir qu’un noir peut tenir un rôle : je parle de gens talentueux de tous âges et il y en a beaucoup. Mais si je le fais, c’est plus par militantisme. J’évite de prendre des rôles qui demandent 15 jours de tournage. En plus au cinéma, il faut donner sa réponse 6 mois avant. Avec Kassav, imagine si un concert est prévu au dernier moment ? Le but est de convaincre les scénaristes de penser à nous les noirs et le mieux c’est de le leur dire en face.
Après le regretté Patrick St Eloi, César Durcin qu’on sait très malade et d’autres comment vit-on les départs au sein du groupe ?
Même dans une famille, il y a des gens qui vont et viennent. On était collègues, on avait un idéal mais au bout de 35 ans, ça devient une famille. On connait les qualités et défauts de chacun, on a appris à se connaître. Dans la vie, il y a des hauts et des bas (ça te dit quelque chose ?). Notre dénominateur commun c’est la musique. Et c’est normal que certains soient tentés de faire autre chose.
Que pensez-vous de la polémique sur le Gwada Kola ?
On a crée une fondation pour les jeunes artistes afin de financer leurs projets grâce à une marque de cola locale, un centime reversé à chaque achat. C’est un clin d’œil, notre manière de lutter contre l’uniformisation de la musique, garder notre originalité. A partir de là, j’ai entendu n’importe quoi : qu’on allait augmenter le nombre de diabétiques, d’obèses et que sais je… J’avoue que ça fait mal à entendre et à lire alors que notre idée est noble. Bien sur on conseille aux gens d’en boire modérément mais je pense que ça allait de soi.
Avez-vous une anecdote à nous livrer sur un concert ?
Au Burkina Fasso, il y avait eu un problème de billet d’avion et notre ingénieur du son était resté à Paris. Il devait nous rejoindre mais est resté bloqué à Abidjan d’où il devait prendre un petit avion. A Ouagadougou, on essaye de brancher la sono comme on peut mais ce n’est pas brillant, on a du faire les choses à l’envers : ce n’est pas notre métier ! On veut annuler et là, un militaire,un gradé mitraillette en main, (c’est l’époque de Sankara) nous dit : « il faut y aller ! » d’un geste brusque. On est monté pas fiers, mais évidement ça n’a pas tenu 10 minutes ! Il y a d’autres choses à raconter mais je ne suis pas écrivain par contre je sais que Jocelyne est en train de préparer un livre.
Si vous n’étiez pas devenu musicien, quel métier auriez-vous voulu faire ?
Alors là… Je n’en sais absolument rien ! (il réfléchit longuement) Peut être éboueur ? Tous les métiers sont honorables. Mais je pense que je voulais de la reconnaissance. De toutes manières, quand on monte sur une scène, c’est pour donner de la joie, c’est bien pour se faire voir non ? Si j’étais inspecteur des impôts ou huissier de justice, les gens ne me souriraient pas je présume. Je rêvais de composer, de jouer une musique de chez moi, d’être différent.
La célébrité, n’est ce pas pesant au quotidien ?
Ça peut l’être mais il faut se rappeler à ces moments là que si c’est arrivé, c’est parce qu’on l’a voulu. Certains ont passé 20 ans pour l’atteindre, d’autres n’y parviendront jamais. Je connais des musiciens à succès qui reçoivent mal leurs fans. Mais c’est vrai que quand vous êtes en train de vous engueuler avec votre femme et qu’on vient vous demander un autographe ou vous parler, il faut pouvoir rester zen. A Marseille, à Paris à mes débuts, j’aurais payé pour que cela se passe ainsi.
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