Société

Le tueur de l’Essonne : des parkings de Juvisy à Dostoïevsky.

Yoni, le tueur de l’Essonne est un des nôtres; il pourrait être notre frère ou notre fils. En ce sens, il nous interpelle.

Si le crime et l’homme sont intimes depuis la nuit des temps, « un assassin juif ! s’écria BEN GOURION, – premier dirigeant de l’état d’Israël- en apprenant que son pays venait d’emprisonner son premier assassin, nous ne sommes plus un peuple exceptionnel ! Nous sommes un peuple comme les autres ! », ( 1 ) une place à part doit être réservée aux tueurs en série.

Ces psychopathes ont en commun d’accomplir de façon répétée des actes anormaux et d’être insensibles à l’horreur.

Nous avions déjà dans la liste macabre des serial killers, parmi nos compatriotes antillais, l’angoissant tueur de vieilles dames, qui a sévi dans la capitale de 1984 à 1987 .

Yoni est d’un tout autre calibre. Entre le 27 novembre 2011 et le 5 avril 2012, dans un rayon de 10 kilomètres, à Juvisy, Ris-Orangis, et Grigny, quatre victimes ont été abattues avec une seule et même arme : deux femmes, un homme de 55 ans  et un  octogénaire, dans le sous-sol ou à l’entrée de parkings..

L’enquête a révélé qu’il s’agissait de crimes gratuits. Mais les actes criminels sont complexes et le mobile dominant ne fait bien souvent qu’émerger d’un écheveau de raisons et de pulsions confuses.

Yoni avait blessé de plusieurs coups de couteau ses parents en octobre 2004, alors que ces derniers devaient l’accompagner chez l’assistante sociale. Il a récidivé en lançant un cocktail molotov sur la bibliothèque de Ris-Orangis en décembre 2004 et avait  été recalé d’un stand de tir pour agressivité. Mais de là à penser qu’il allait entrer dans l’histoire  !

Nous laisserons aux psychiatres, le soin de nous donner les clés d’interprétation de cette dérive hallucinante … Nous nous placerons sur un tout autre terrain : comment rendre compte de l’innommable ? Quel rapport entre l’art et la folie sadique pouvons-nous établir dans nos îles et dans nos communautés ?

Frankito, l’auteur de «  L’homme pas Dieu » ( prix Carbet des lycéens) dresse le portrait d’une jeune femme devenue tueuse en série, par dépit amoureux, mais il s’agit là plutôt d’un conte antillais moderne.

Nous restons étrangement réticents quand il s’agit d’évoquer les pulsions morbides de nos populations, alors que la littérature, le cinéma, la peinture, les séries télévisées  se sont emparés dans le monde entier de ces «fous du crime».

Serions-nous allés voir Yoni en prison, en  lui expliquant que nous étions en train de rédiger un livre dont il serait le héros tragique et malfaisant ? Après être parvenu à gagner sa confiance, lui aurions-nous également rendu d’innombrables visites, tout en correspondant avec lui, au rythme de deux lettres par semaine, pour refaire le parcours complet de son errance criminelle, entre la nuit du premier meurtre et son arrestation ?

C’est ce qu’a accompli en tout cas l’immense écrivain américain Truman Capote,  à partir d’un fait divers sordide, l’assassinat de toute une famille américaine dans le Kansas en novembre 1959, par  deux meurtriers Perry SMITH et Dick HICKOK. Il a  réalisé un travail littéraire inégalé à ce jour, après une enquête de six ans. «  Capote couche dans chaque motel où les deux hommes ont dormi, mange dans chaque fast-food, inspecte chaque pompe à essence où ils se sont arrêtés ; Il interroge tous ceux qui les ont rencontrés… Il fut leur principal visiteur, soutien et confident… Une heure avant leur exécution, il se trouvait encore auprès d’eux » (2 ) Son ouvrage, « De Sang-froid» paru en 1965, vendu à huit millions d’exemplaires se classe parmi les plus grands succès de librairie.

Car les écrivains ont toujours repoussé  les barrières morales pour décrire le crime. Ils essaient seulement de cerner par des mots adéquats, cette pulsion homicide. Les auteurs  ont même pu relever des correspondances littéraires avec les affaires criminelles, comme pour la célèbre affaire Gregory.

Le lendemain de la mort de leur enfant, est arrivée chez les époux Villemin  la dernière lettre du mystérieux corbeau. Elle était adressée au père de Grégory et disait : «J’espère que tu mourras de chagrin, le chef. Ce n’est pas ton argent qui te rendra ton fils. Voici ma vengeance, pauvre con ».

Nous apprenons que dans la tragédie antique d’Euripide, Médée tue ses deux fils par dépit amoureux et déclare ensuite à son époux, Jason : «Tu mourras de chagrin. Ceci est ma vengeance» (3). C’est presque du mot pour mot ! De là à croire que l’auteur de la lettre  envoyée aux époux Villemin  avait lu Euripide ! Avouez qu’il y a de quoi être troublé !

Le tueur de l’Essonne n’est pas en reste. Dans une lettre qu’il s’est auto-envoyé depuis Fresnes en juillet 2012 ( sa mère par la suite ayant admis qu’elle avait accepté de poster ce courrier), un certain « Niorka » est supposé l’innocenter, car les détails donnés par l’auteur de la lettre sur la position des victimes laissent penser qu’il est bien l’assassin. Or, «le thème du double» en littérature, est une constante dans la littérature fantastique.

Dans le roman la Horla de Guy de Maupassant, le narrateur, prisonnier d’une incompréhensible peur dont il relate la progression dans son journal intime, s’imagine être la victime d’un Etre mystérieux.

Le héros d’un des plus grands auteurs russes,  M. Goliadkine est également persuadé qu’il vit entouré d’ennemis invisibles. Peu à peu, il glisse dans une folie obsessionnelle allant un soir d’hiver, jusqu’à accuser un passant qui le croise d’être l’instigateur du complot qui se trame conte lui. ( « Le double  » de Dostoïevsky).

Yoni a déclaré aux enquêteurs qu’il était victime d’un complot, dont il n’a jamais pu donner bien entendu les détails. Une organisation secrète serait à l’origine des quatre meurtres.

Qui es-tu Yoni ?

( 1 ) Historia hors série n° 45 : Les fous du crime

( 2 et 3 ) La Grâce du criminel d’Alexandre Lacroix ( PUF- mars 2005 )

 

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Théo LESCRUTATEUR

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