Le gouvernement britannique avec l’argent public, a dédomagé les propriétaires d’esclaves, mais pas ceux réduits en esclavage
Imran Khan est le correspondant itinérant d’Aljazeera basé à Doha, couvrant le Moyen-Orient et l’Asie du Sud.
Le Royaume-Uni a une dette envers les descendants de personnes réduites en esclavage et les contribuables dont l’argent a été utilisé pour indemniser les marchands d’esclaves et les propriétaires.
Il y a quelques années, je me suis retrouvé face à la statue actuellement la plus controversée en Grande-Bretagne après que des manifestants, en solidarité avec le mouvement Black Lives Matter, l’ont démolie et jetée dimanche dans une rivière.
À l’époque dans le port de Bristol, se tenait Edward Colston (1636-1721), respectable gentleman anglais, légèrement penché en avant sur sa canne. Il était déjà un personnage controversé en raison de sa participation à la traite négrière et ses activités philanthropiques.
Colston était le gouverneur adjoint de la Royal African Company (RAC) en 1689, en fait une milice privée, une marine et une société commerciale achetant, vendant de l’or, de l’argent, de l’ivoire – et asservissant les gens.
Colston a transporté des hommes, femmes et enfants africains réduits en esclavage à Bristol, où ils etaient marqués au fer rouge du symbole de la RAC, tout comme vous le feriez pour du bétail. Selon les archives de l’époque, 19 000 esclaves victimes de la traite en provenance de la Côte d’Ivoire sont morts pendant ces voyages. Bristol était une plaque tournante, non seulement pour Colston et la RAC, mais pour la traite négrière mondiale.
La statue m’a mis en colère à l’époque. Érigée en 1895, elle célébrait un homme dont le nom est lié à l’histoire de Bristol, célébrant ses largesses pour la ville, des dons aux organismes de bienfaisance, aux établissements d’enseignement et de santé.
La Grande-Bretagne a officiellement aboli la traite négrière en 1807, mais n’a interdit l’esclavage qu’en 1834, après l’adoption de la loi sur l’abolition de l’esclavage par le Parlement l’année précédente.
Le gouvernement britannique a payé aux marchands d’esclaves 20 millions de livres en compensation, soit 40% de son budget. Cela représente quelque 17 milliards de livres (estimées à plus de 21 milliards de dollars actuellement). Le gouvernement a contracté un prêt pour le payer, qui n’a été remboursé – par l’argent des contribuables britanniques – qu’en 2015.
Les contribuables du Royaume-Uni, y compris les descendants de personnes réduites en esclavage, ont payé des milliards de livres sterling aux marchands d’esclaves pour les empêcher de disposer de vies humaines et aux propriétaires d’esclaves pour la perte de leur « propriété ».
Oui. Le gouvernement britannique, en utilisant l’argent public, a payé les propriétaires d’esclaves, mais pas ceux qui ont été réduits en esclavage.
Parmi les personnes « dédommagées » figuraient les ancêtres de plusieurs premiers ministres, dont David Cameron.
John Gladstone, le père de William Gladstone, qui a été premier ministre à quatre reprises au cours du 19e siècle, a reçu une compensation de 106 769 livres, l’équivalent de 83 millions de livres aujourd’hui.
Edward Colston est décédé en 1721, mais l’esclavage a continué pendant encore 100 ans. Londres, Bristol et Liverpool, des plaques tournantes de la traite négrière, sont devenues riches et puissantes.
Le dos et l’âme des esclaves ont construit la Grande-Bretagne – le dos de ceux qui travaillaient dans les champs de coton et les plantations dans les colonies britanniques, et l’âme de ceux qui n’ont pas survécu au voyage.
Entre 1640 et 1807, environ 3,1 millions de personnes réduites en esclavage ont été transportées d’Afrique. Selon les propres archives nationales du gouvernement, 2,7 millions de personnes sont parvenues de l’autre côté de l’océan.
Je me souviens que j’avais mes écouteurs le jour où je me tenais face à la statue de Colston. À l’époque, mes musiques préférées avaient comme origine Bristol – une musique ancrée dans la culture afro-caribéenne mais transformée en quelque chose de typiquement britannique pour des gens comme moi, fils ou fille d’immigrants des anciennes colonies britanniques.
Nous ne savons pas si Colston a utilisé son immense richesse pour essayer de blanchir son passé d’esclavagiste en construisant Bristol et par le biais de généreux actes de charité, mais la Grande-Bretagne a une dette, non seulement envers les descendants de personnes asservies, mais aussi envers les contribuables britanniques pour avoir utilisé leur argent en rendant les marchands d’esclaves et les propriétaires encore plus riches.
En m’éloignant de cette statue ce jour-là, je n’aurais jamais pu imaginer que son destin était de finir dans une tombe aqueuse. Maintenant, je me demande combien de statues de marchands d’esclaves britanniques pourraient subir un sort similaire.
Imran Khan
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