Carte blanche à

LE CREOLE : UNE OBLIGATION D’EXPRESSION 2

Au moment où le Président de la république vient d’annoncer son intention d’engager la procédure de ratification de la charte européenne datant de 1992, faisant obligation aux États signataires (dont le France) de reconnaître les langues régionales et minoritaires, le sociologue Martiniquais Pierre Pastel* nous fait découvrir, en quelques clichés, le créole dans sa lutte pour  éviter l’étouffement face au français et face à la mondialisation culturelle.

(suite de l’article paru dans le numéro précédent)

I ni an lè sé ou ki pou mété kannari’w en difé

Le voumtac des années 70/80.

… En région parisienne les antillo-guyanais commencent à se faire entendre de plus en plus.

Ils sont maintenant dans la rue. Ils refusent le traitement inégalitaire, voire raciste qui leur est réservé. Nou pa fwansé. Tout nonm sé nonm peut-on lire sur certains de leurs banderoles.

Le Gwo ka fait son apparition dans le métro. Ses jeunes porte-voix débarqués de la Guadeloupe  en « formation » de frappeurs ont tous en tête le mot d’ordre subliminal de Robert Loyson, d’Anzala, de Dolor ou de Vélo, des marqueurs déterminés de nos sens les plus immémoriaux. Combien ont choisi, par exemple, « lauto-la » ou un bouladjel pour traverser nos vaisseaux sanguins dans la grisaille parisienne ?

Le bèlè quant à lui  est présent mais plus timide. Il est plutôt campé dans l’espace estudiantin de l’époque, ses tirailleurs écorchés vifs venant de la Martinique, un brin politisés, sont travaillés dans l’âme par un Ti Emile ou un …Mona. « Sa ki sav sav, sa ki sav pas sav », men yo lé « dérayé’w ».

Les fêtes associatives soit disant « acra boudin », les boites de nuit sont, elles-aussi dans l’arène sans se dévoiler, sans s’annoncer en stratèges.

Tous deviennent ambassadeurs du créole, un créole qui commence à faire tâche dans l’administration et qui dérange.

Sé Pasians  ki bat brital»

Dans les années 80/90 et les années suivants le créole veut s’affirmer, il  ne veut plus rester « Anba fey » (poème –Daniel Boukman 1987). Il veut se déployer au grand jour.

Ici, il se fait international, ne craint pas le mal de mer, ni la souffrance de l’exile car il se déplace avec sa trousse de pharmacie faite  en peau de  Kassav : Zouk-la sé sèl médikaman nou ni scande-t-il à tue-tête.

Là, il se cherche, s’interroge sur lui-même. Il se fait savant. Son travail anba fey a commencé bien avant. Tant d’autres s’y attèlent déjà dans le monde. En 1975 avec deux de ses chercheurs de choix, Laënnec Hurbon (haïtien) sociologue, et Dany Bébèl-Gisler, sociologue  et linguiste Guadeloupéenne il rentre, pour sa part, dans le concert des questionneurs des sciences humaines. On dit que c’est avec  Cultures et pouvoir dans la Caraïbe (l’harmattan), où il s’exprime pour la première fois, dans un langage savant, bien évidemment en créole sur des sujets traitant des problèmes économiques et politiques concernant la Guadeloupe et Haïti. L’ouvrage est écrit en français et en créole.

Ba mwen  lè, mi ta-w mi ta mwen

Le créole se rebelle, il est à l’université à la recherche de ses racines. Ici, il est avec un de ses puissants ambassadeurs, Jean Bernabé qui crée rien que pour lui en 1975, le G.E.R.E.C (Groupe d’Études et de Recherches en Espace Créolophone).  Il se structure, marque son territoire, montre ses différences par rapport aux autres créoles, il se fait lire, écrire, conté.

Tant  qu’à faire, il ne veut plus être qu’on le qualifie  de patois, de » Baragoin ». Il est Langue un point c’est tout. Il se fait accompagner, notamment à Aix-en-Provence par Lambert-Félix Prudent Sociolinguiste qui publie justement, en son nom aux Editions Caribéennes, en 1980, « Des baragoins à la langue antillaise ».

A l’Université des Antilles-Guyane, il délivre aujourd’hui des diplômes le concernant allant même jusqu’au doctorat, diplôme bien français. Il, le créole,  est choisi en option au BAC.

An ja la an rété, Sé mwen ki la  

Ici, nous sommes en Région Parisienne, ce Monsieur, face à ses élèves, c’est Tony Mango, il est un professeur de créole dans un Lycée. Il est titulaire du CAPES Créole, Certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré, une distinction bien professionnelle française… C’est dire le chemin parcouru par le créole dans laps de temps aussi court.

Aujourd’hui, le créole sur les ondes des radios officielles ou privées aux Antilles-Guyane ou encore sur les ondes de quelques radios privées dans l’hexagone nous semble naturel, normal même. Il en est de même dans nos églises aux Antilles-Guyane et dans l’hexagone.

On n’affiche plus un rire gêné ou amusé quand on y entend du créole. On se sent plutôt rassuré notamment pour nos jeunes, surtout ceux de l’hexagone qui commencent à être de plus en plus nombreux à le pratiquer. Soyons redevables notamment aux parents et aux associations, aux artistes, chercheurs qui font une véritable œuvre d’éducation et de transmission.

2015, 32ème journée internationale du créole

Ce court panorama montre assez le chemin parcouru. Mais que la tâche reste encore difficile !

Peu d’entre nous savent écrire et lire le créole avec aisance aujourd’hui. Puissent les dictés créoles se multiplient et voient le nombre des concourants s’agrandir.

En 2015 notre créole fêtera sa 32ème journée internationale du créole aux côtés des autres créoles à travers le monde. C’est une occasion, parmi d’autres, où  jeunes et moins jeunes pourront s’enrichir ensemble localement et en communion avec ceux qui ont le créole en héritage à travers le monde. Car nous savons que notre créole Antillo-guyanais n’est pas  le seul à être dans une obligation d’expression. Assurément,  il ne se résigne pas à accepter l’étouffement comme mode d’existence.

Pierre Pastel*

*Le sociologue Pierre Pastel est par ailleurs psychothérapeute et coach scolaire. Il intervient, notamment, auprès des élèves décrocheurs dans plusieurs lycées en région parisienne et en Guadeloupe.

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