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La série Bridgerton est-elle si progressiste que cela ?

Avec une distribution diversifiée, Bridgerton s’annonce hardiment comme une histoire alternative, dans laquelle le roi George III est tombé amoureux d’une femme noire, la reine Charlotte, prenant de grandes libertés dans le récit dramatique sur la période classique. Malgré les costumes d’époque, les intrigues scandaleuses, les acteurs noirs dans des rôles principaux, Carolyn Hinds critique de cinéma et journaliste n’y voit que du « colorisme » dans Observer.

J’aime un bon drame d’époque tout autant que n’importe quel fan de « Pride and Prejudice » ou « North & South », aussi après avoir découvert les premières promos pour Bridgerton, une myriade d’étoiles se sont alumées dans ma tête, mais le casting de la série m’a laissé songeuse. Mes inquiétudes se sont malheureusement avérées exactes.

Produit par Shonda Rhimes et écrit par Chris Van Dusen (Scandal, Grey’s Anatomy), le sexe, les scandales et les drames familiaux sont livrés avec le même flair et le même panache qu’à l’époque de la Régence. Dans cette adaptation de l’ouvrage de Julia Quinn, le sexisme, la pression sociale et le dévouement des femmes pour leurs maris et leurs familles sont mis au premier plan. Quiconque a lu un livre de Jane Austen reconnaîtra ce schéma : dès qu’une jeune femme est «majeure», elle doit se placer sur le marché matrimonial afin de fournir à son nouveau mari un héritier et à sa famille une bouche de moins à nourrir, tout en accroissant leur statut. Mais Bridgerton adopte une approche plus moderne et plus ouverte en offrant aux spectateurs tant les réflexions des hommes que des femmes sur ce sujet. Ce n’est pas souvent que nous voyons des jeunes hommes portant le poids de la responsabilité familiale tout en étant poussés à en fonder une nouvelle par le mariage.

C’est pour ces raisons que j’ai beaucoup apprécié ce spectacle. J’adore les séries dramatiques et leur part d’ombre avec ce double sens plein d’esprit. La production et les acteurs sont tous excellents, et les costumes magnifiques. Cependant, malgré tout, il y a des tâches dans cette série que je ne peux tout simplement pas ignorer, à savoir le stéréotype négatif de ses personnages noirs et le colorisme dans le casting.

© 2020 Netflix, Inc.

Bridgerton a été saluée comme une oeuvre anti raciste se déroulant à l’ère de la Régence, car avoir des Noirs dans une émission ou un film à gros budget dans l’Angleterre avant les années 1900 semble un concept étranger pour les réalisateurs et les écrivains blancs, même si des noirs, des asiatiques y vivaient depuis des centaines d’années en raison des échanges commerciaux et de la colonisation de plus de la moitié du monde.

Avoir des Noirs dans la distribution principale, c’est bien beau parce que, historiquement, ils devraient être là. Mais le problème dans Bridgerton est que la couleur des personnages est pratiquement ignorée tout au long de la série, à l’exception de quelques vagues références dans les dialogues – en utilisant les termes comme «nous» et «eux». Il est fallacieux de faire croire que la couleur n’a pas d’importance dans ce monde, alors que les personnes les plus importantes et les plus nombreuses sont blanches. Si la race n’avait aucune importance, il y aurait un nombre égal de noirs, d’asiatiques, d’orientaux, de latinos et de blancs représentés. Mais ce n’est pas le cas, et il en va de même pour les dialogues.

La majorité des rôles parlants vont aux acteurs blancs. Les trois personnages noirs avec le temps de présence le plus significatif sont Simon (Regé-Jean Page), mon personnage préféré Lady Dansbury (Adjoa Andoh) et Marina Thompson (Ruby Barker). (Le fait que deux d’entre eux aient la peau claire est quelque chose que nous aborderons dans un instant.)

Vous ne pouvez nier l’influence de la couleur de peau lorsque le monde dans lequel ces personnages habitent a été créé en partie par le racisme. L’argent pour construire les belles maisons blanches bien alignées à Bath, les grands domaines et le palais proviennent de la traite des esclaves. Oui, l’esclavage existe dans ce monde, alors comment la race pourrait-elle ne pas avoir d’importance? Le fait que des Noirs se promènent en arrière-plan n’efface pas cela, et ce n’est pas suffisant. Cela signifie que le sujet est pertinent et doit être traité en conséquence…

Passons maintenant au colorisme. Les deux personnages masculins les plus sombres de la série sont le duc de Hastings, un père que tout le monde détesterait et Will (Martins Imhangbe), un boxeur dont le seul but est de servir de thérapeute à Simon. En trois brèves scènes, les scénaristes parviennent à présenter Hastings comme le pire personnage de la série, non seulement à cause de ses actions envers Simon, mais aussi envers la mère de Simon, Lady Hastings, à la peau claire comme son fils. Lors de la présentation de ces personnages, nous la découvrons dans une veritable scène d’agonie se battre pour accoucher, alors que son seul soucis est qu’elle lui donne un héritier mâle. Pour les serviteur, c’est un monstre, et Lady Hastings elle, est présentée comme une parfaite épouse et une sainte.

La contribution de Will à l’histoire s’achève après un match de boxe. La mort de M. Featherington qui avait convaincu Will afin qu’il puisse rembourser ses dettes de jeu se montre une pratique déshonorante. Mais nous n’avons pas la possibilité de savoir si Will connaitra la même fin malheureuse, car une fois qu’il cesse d’être utile à Simon, il n’a plus d’importance dans la série.

© 2020 Netflix, Inc.

En arrière-plan, les domestiques, à la peau foncée, y compris ceux de la cour de la reine Charlotte. Les deux Noirs les plus puissants de cette série, dont l’un est le rôle principal masculin et l’amoureux de la principale femme blanche, ont la peau claire. Ce n’est pas une coïncidence. Ce n’est jamais le cas, car cela s’inscrit dans une tendance courante dans la représentation médiatique. Il est exact que la reine Charlotte soit représentée à la peau claire, car elle était biraciale, et elle a un teint clair dans les portraits historiques, mais cela ne tient pas compte des personnages fictifs de la série.

Lorsqu’il s’agit d’incorporer des Noirs dans certains rôles, on a tendance à opter pour le côté le plus clair de la palette de couleurs, car le public est plus susceptible de s’identifier à une personne noire à la peau claire, surtout avec des caractéristiques plus eurocentriques comme des cheveux plus lâches, plus bouclés et un nez plus étroit…

Pour beaucoup, mes critiques peuvent sembler farfelues, mais prétendre que la race et le teint des Noirs n’ont que peu ou pas d’importance dans un contexte où vivent de nombreuses personnes qui se sont directement enrichies de la traite transatlantique des esclaves, est absurde et carrément insultant.

Louer un spectacle parce qu’un homme noir a une position très convoitée au sein de l’aristocratie britannique et ignorer ce que cela signifie – l’héritage légué par la reine à son père est du uniquement à sa couleur – est franchement ridicule. Que la reine Charlotte ait fait cela pour faire rager les vieux blancs bien-pensants, fronçant les sourcils pour son mariage avec le roi, me fait cependant jubiler.

Bridgerton est-elle si progressiste que cela ? Mettre en scène une relation interraciale entre un homme noir et une femme blanche n’a rien de nouveau en 2020; il suffit de regarder toutes les autres productions Shondaland. Mais qu’en est-il des autres romances entre personnes de couleur ? Qu’en est-il des romances avec des femmes à la peau foncée ? Si les producteurs prétendent qu’une production est progressive de part son «casting daltonien», quoi que cela signifie, ses relations interaciales devraient au moins être dépeintes honnêtement et refléter plus que de simples images de couples noirs et blancs.

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