Naimro : Kassav aurait pu se casser la gueule au bout de 4,5 ans
Il nous reçoit chez lui, s’éclipsant un instant pour préparer des cafés. Dans le salon, un piano. Tiens !!! Et si j’osais ? Je transpire, timidité surhumaine*. J’effleure les notes, plaque un accord, m’enhardis. Mais il est déjà de retour et l’expérience s’arrête là… Il vaut mieux laisser les doigts de Jean-Claude Naimro parcourir l’instrument pendant l’interview. Admirer le maestro est bien suffisant…
97L : Comment étais-tu enfant ?
Gosse, j’ai toujours été comme je suis maintenant : réservé et dans mon coin. Cela peut être mal perçu mais je n’ai pas beaucoup de copains, je n’en ai jamais eu. Je fréquente très peu de gens, je ne cherche pas à avoir des amis comme actuellement sur Facebook. Je suis dans mon coin, tranquille et je l’ai toujours été depuis tout petit. Pour l’anecdote, je me vois remplir des bouteilles avec de l’eau à des hauteurs différentes pour faire les notes et imiter un steel band vers 6,7 ans et mes parents me chercher partout. Je voulais trouver les justes notes et j’étais totalement dans ma musique, un peu solitaire. En grandissant, ça ne m’a pas trop servi. Renfermé, esseulé, quand tu deviens artiste, tu es sensé être le contraire. C’est mal perçu et les gens pensent que c’est soit de l’arrogance soit une forme de mépris alors que j’aime être tranquille, sauf quand je suis avec mes gens à moi.
97L : La rentrée dans la vie active ?
J’ai loupé mon bac. Mon père m’a dit : soit tu repasses ton bac, soit tu entres dans l’école de professorat. A l’époque on n’avait pas besoin de posséder le diplôme du bac. J’ai choisi cette option mais quand après l’école il a fallu en septembre être prof de musique à Fontainebleau après le service militaire, j’ai senti que c’était trop pour mes petites épaules à 23 ans. Je suis rentré dans la vie musicale sans savoir quoi que ce soit, me demandant si je n’allais pas finir sous les ponts de Paris. Mes parents devenaient fous en Martinique voyant leur fils perdu. Et ma foi, de fil en aiguille j’ai fait mon petit bonhomme de chemin. J’ai fait des groupes, j’ai accompagné des gens. Ma carrière s’est faite au fil des années.
97L : As-tu connu des échecs comme Marthely pour son 1er album ?
Je t’arrête tout de suite. Parmi tous les albums de Kassav, ce sont les miens qui marchent le moins. C’est moi qui ai le moins d’albums parmi les 5,6 et ce sont les miens qui marchent le moins : j’en suis conscient parce que je ne cherche pas à faire un tube. Je ne dis pas que je n’en suis pas capable et ce serait prétentieux de dire que j’ai la méthode miracle mais je ne mets pas au départ les ingrédients pour dire : ça va faire un tube. Je me dis : je suis dans un groupe. Au foot, dans le Barça, il y a Messi, Neymar, Suarez mais Pique ou Busquets par exemple ont aussi leur rôle. De toutes façons, quand un album marche, tout le monde en profite.
Il y a des musiques pour danser, mes morceaux sont peut-être plus appropriés pour l’écoute. Et j’ai constaté que ce sont souvent les morceaux où tu mets trop d’arrangements, où tu veux trop bien faire, enjoliver qui ne marchent pas.
97L : Mais ils deviennent intemporels…
A condition que les DJ le passent, que les gens qui l’ont chez eux l’écoutent. Pourquoi je dis cela ? Sur scène récemment j’ai interprété « Ave on si » un morceau salsa que j’ai composé pour Patrick Saint Eloi qui n’avait pas marché et que j’ai repris en Zouk sur le dernier album « Sonjé ». Les gens m’ont demandé de le bisser…
Si personne n’écoute un morceau, il tombera dans les oubliettes. Nous sommes dans une société du jetable, un album remplace l’autre. On n’y peut rien.
97L : N’est-ce pas pesant d’être toujours identifié à Kassav ?
Bien sûr que oui. Mais tous les artistes ont le même problème si tant est que c’en est un. Si tu es dentiste, tous tes amis dès qu’ils ont une rage de dents vont te solliciter. Donc finalement est-ce que tout le monde ne se sert pas de tout le monde ?
Si je connaissais Michael Jackson j’aurais bien été content de dire : c’est mon pote ! Faut pas se leurrer non plus. Ton ami, s’il est ministre, tu vas le fréquenter différemment. Les gens sont contents de faire des photos avec moi ou de me donner des maquettes. Cela fait partie du jeu. J’assume…
97L : As-tu un souvenir précis du 1er Zénith ?
Pas vraiment. A notre niveau à nous, il ne s’est pas passé grand-chose. On a fait un concert. Après on s’est rendu compte que sans pub, on a fait le plein. Peut-être que d’autres dans le groupe ont des ressentis, des sentiments différents. Mais la spécificité du clavier fait que je suis toujours concentré. Un chanteur est directement confronté à la foule, il voit ça autrement. Moi j’ai des réglages, mes claviers, je fais les chœurs, je gère des problèmes techniques. C’est compliqué…
Tu as des problèmes de réglages avec 3 claviers. Des fois, les sons ne te conviennent pas parce que tu les as mal programmés. Cela fait 15 jours que je suis en plein dedans avec Philippe Joseph, car on a progressé en matière d’arrangement. Les gens ne se rendent pas compte. C’est un travail d’ingénieur parfois donc on n’a pas le même ressenti que les autres.
97L : Une anecdote à nous raconter sur un grave problème technique ?
Celle qui me vient m’énerve toujours. Il y a 6,7 ans lors d’un festival à Curaçao. Il y avait Sting, Earth, Wind and Fire. La veille il y avait Zucchero et son clavier que je devais remplacer à l’origine. Il me dit : « Ah, je vais enfin voir ton groupe ! ». Le soir, je sais qu’il est dans la foule et je veux lui en mettre plein la vue.
Et bien figure toi que le seul solo que j’avais, pas un son ! Je suis resté 2 minutes à me battre avec mes instruments mais aucun bruit, rien. Et je peux te dire que 2 minutes c’est l’éternité. J’avais tellement la rage ! J’en voulais à l’ingénieur du son. Je suis resté 1 semaine sans parler à personne.
97L : Revenons à la question de départ. Petit, aurais-tu pensé faire le tour du monde ?
Ah jamais !!! Comme je t’ai dit quand j’ai décidé de rester à Paris je ne savais pas ce que la vie me réservait. Et tu t’aperçois qu’il y a le talent mais surtout beaucoup de chance. Tout dépend de qui tu rencontres. Je me suis retrouvé avec un musicien qui m’a fait connaître le chef d’orchestre de Fugain… Une fois que tu es rentré dans le circuit ça te permet de rencontrer d’autres personnes. Ensuite, je suis parti aux USA.
97L : Ton entrée dans Kassav. Logique selon toi ?
Je ne peux pas dire que je suis rentré dans Kassav avec l’intention d’y rester. Je jouais pour Manu Dibango, Myriam Makeba. Je n’avais pas une minute à moi je gagnais bien ma vie. Un jour, Jacob m’a appelé pour un son antillais différent. Franchement, pour moi, je venais de manière ponctuelle plus par curiosité…
Et va savoir pourquoi, j’ai trouvé ça bien. C’est une alchimie.. Il y a eu une émulation musicale entre la manière de voir les claviers, la manière de voir la guitare, la basse… Je suis resté. Le groupe aurait pu se casser la gueule au bout de 4,5 ans. C’est plein de petites choses ce qui fait qu’à refaire, je ne sais pas si on y arriverait. On aurait eu d’autres caractères, on se serait peut être séparés, la mayonnaise n’aurait pas pris.
97L : Zouk la sé… A toi de finir la phrase.
Pourquoi veux-tu y toucher ? La 2ème partie de la phrase a une logique, c’est elle qui est importante. Ce n’est pas un simple slogan et les politiques aiment bien la reprendre. Aux Antilles, on n’a rien; il n’y a que ça pour pouvoir exister. Le médicament est la seule manière d’oublier nos soucis. Le médicament est le Zouk.
*Michel Jonas : la boite de Jazz
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