Carte blanche à

Je crains que nous ayons raté le coche !

Viviane Rolle-Romana

 

Je crains que nous ayons raté le coche !

Jean-François Niort, historien du droit et des institutions, maître de conférences à l’Université des Antilles s’est trouvé récemment au cœur d’une vive polémique aux motifs qu’il aurait mis en avant « les bons côtés du code Noir ». Les militants anticolonialistes en faveur des réparations de l’esclavage, à l’origine de cette polémique, accusent l’historien de propager des thèses révisionnistes et négationnistes. L’un d’eux, le journaliste Danick Zandronis, n’hésite pas, dans un article qu’il publie sur son site internet CCN, à le qualifier d’agent du colonialisme français et à le comparer à une sorte de petit Salman Rushdie dont la présence en Guadeloupe n’est plus souhaitée. Il lui intime l’ordre d’aller exercer ses talents ailleurs, étant désormais persona non grata.

La section guadeloupéenne de la Ligue des Droit de l’homme, dans son communiqué du 4 avril 2015 dénonçant les attaques xénophobes, racistes et obscurantistes de « Zandronis et consorts », estime que l’historien est devenue une cible et que sa sécurité serait menacée. D’autres historiens, eux d’origine guadeloupéenne, seraient également dans leur collimateur pour défendre des thèses relativisant l’abomination de l’esclavage.

La fatwa, à peine déguisée de Zandronis, est aussi condamnée par 16 historiens antillais dans un communiqué du 06 avril 2015 dans lequel ils réaffirment le droit des chercheurs en histoire de développer librement leur recherche. Mais, le communiqué se termine par une mise en garde qui a retenue toute mon attention : « Nous rappelons que ce passé colonial et esclavagiste (…) est lourd de drames humains incommensurables, de souffrances, de dénis successifs, de tensions et de conflits, cristallisés jusqu’à aujourd’hui dans l’organisation sociale, dans les problématiques sociétales non réglées (…).  Il est de la responsabilité sociale, politique, éthique et pédagogique de l’historien d’en tenir compte et de faire en sorte que ses travaux (…) servent à la désaliénation des esprits, au progrès de la conscience et à la pleine émancipation de l’homme ».

Ainsi, dans une société encore meurtrie par l’esclavage, l’historien devrait, selon les signataires de cette mise au point, être prudent et précautionneux dans la transmission des connaissances historiques. Au vu des représentations collectives des conditions de vie en esclavage, tout ne peut pas être dit, affirment –ils sans ambages ! Par conséquent, l’historien qui s’aventurera à relativiser les monstruosités de l’esclavage et à amoindrir la souffrance de l’esclave, s’exposera à un déferlement de violences visant à annihiler sa thèse, jugée irrecevable par les descendants d’esclaves.

La psychologue que je suis, entend parfaitement cette mise en garde. L’appropriation de l’histoire de l’esclavage, longtemps oblitérée, passe par une reconnaissance sans équivoque de la souffrance de l’esclave. Dans cette phase récente de cette appropriation collective de notre histoire, toute information trouvée dans les archives et vérifiée par les historiens, atténuant les souffrances de l’esclave, ne sera entendue qu’à la seule condition que les plus hautes autorités de l’Etat accorde enfin à l’esclave le statut de victime. Et la loi Taubira me direz-vous ? C’est bien là le problème, le mot victime y est soigneusement évité. Les individus qui ont subi ce crime contre l’humanité sont des Africains, des Améridiens, des Malgaches et des Indiens. Les esclaves antillais, guyanais et réunionnais sont les grands oubliés de cette loi ! Lisez plutôt : «  La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l’océan Indien d’une part, et l’esclavage d’autre part, perpétrés à partir du XVe siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l’océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l’humanité (article 1) ».

Le dernier traumatisme collectif que nous avons vécu, les attentats perpétrés par des fanatiques islamistes en janvier 2015, met parfaitement en exergue la procédure de reconnaissance immédiate de la victime et de la souffrance de ses proches. Conseillés par des victimologues confirmés, le président de la République et son premier ministre ont organisé des temps commémoratifs nationaux d’une grande solennité au cours desquels les plus hautes autorités de l’Etat ont fait preuve d’une grande empathie et compassion à l’égard des proches des victimes.

En 1848, à l’abolition de l’esclavage, la discipline qui traite spécifiquement des victimes, la victimologie et le psychotraumatisme, n’existait pas encore. Les esclaves sont devenus libres et citoyens sans être reconnus victimes. 167 ans après, ils ne le sont toujours pas, malgré les commémorations de l’abolition de l’esclavage !

Pourquoi ?

  • Parce qu’on ne commémore pas une victime en même temps que son « sauveur »
  • Parce qu’on ne commémore pas une victime en même temps que les héros des luttes anti esclavagistes.

La première des commémorations aurait du être exclusivement dédiée aux victimes de l’esclavage colonial sur le territoire hexagonal et dans les Outre-mer. A cette occasion, les descendants d’esclaves auraient été amenés à se souvenir du passé douloureux de leurs aïeux et leur cœur battrait à l’unisson, en présence des plus hautes autorités de l’Etat. Hélas, quand le choix d’une date de commémoration et son contenu est posée après l’élection de François Mitterrand, les femmes et les hommes politiques qui vont en décider, ne seront pas conseillés par des experts en victimologie. Quel dommage !

Le 10 mai aurait pu être la date de commémoration en France hexagonale exclusivement dédiée aux victimes. Hélas, comme toutes les autres, elle célèbre tout (les abolitionnistes, les héros anti esclavagistes et les victimes) et donc RIEN ! Mais pourquoi, la commission chargée d’y réfléchir n’a pas sollicité l’expertise d’un victimologue ? En 2005, la victimologie est pourtant bien connue !

La conséquence de la non reconnaissance de l’esclave en victime est la victimisation dans laquelle se sont enfermés les descendants d’esclaves. Ils se sont attribués le statut de victimes, et comme toute victime, réclament réparation.

Nous sommes donc loin d’avoir tourné cette pénible page de l’histoire de France !

Les 16 historiens de la mise au point du 6 avril 2015 ont raison : nous ne pouvons pas encore transmettre l’histoire de l’esclavage dans toute sa complexité. Messieurs Niort, Régent et Maillard, je vous souhaite bien du courage !

Viviane Rolle-Romana

Docteur en Psychologie

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1 Comment

  1. mai 23, 2015 at 06:35 — Répondre

    de9c19 j aime ,j aime et j aime tant te lire e0 chaque fois c est tes atricles sont une source intarissable qui m abreuve et je de9guste chaque ligne avec de9lectation et une grande envie de tout remettre en cause .Tu as le Talent, tu as le coeur mais surtout,tu as du courage رانيا تبارك الله عليك

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