IGO DRANE : Passeurs de Paroles de la Caraïbe.
Igo Drané, est un conteur, musicien et comédien martiniquais. Il mime, chante, et joue avec le public. A la soixantaine passée, cet homme fait partie de ceux qui mènent une double vie. Infirmier la nuit, il est conteur le jour. Hyperactif, Igo crée sans relâche. Cet amoureux de la langue travaille patiemment ses textes en français et en créole qui abondent d’effets de style : échos sonores, hyperbole, modulations de tons, allitérations… Il n’a pas de thèmes de prédilection, son expression témoigne d’une vocation : rassembler le public autour d’un flot de mots, de sons d’où jaillissent le créole et les traditions antillaises. Voyager et faire rêver, c’est la motivation de cet humaniste passionné de rencontre; Et de tourner en dérision les discriminations, les clichés, le racisme, la misère sociale, la santé, ou l’appât du gain.
La phrase d’Aimé Césaire qui correspond à l’homme que vous êtes…
Disons « qui correspond en grande partie … » Soit un extrait du ‘Cahier d’un retour au pays natal’ « Et surtout mon corps aussi bien que mon âme, gardez-vous de vous croiser les bras en l’attitude stérile du spectateur, car la vie n’est pas un spectacle, car une mer de douleur n’est pas un proscenium, car un homme qui crie n’est pas un ours qui danse »
Quelle analyse avez-vous sur votre parcours de conteur et l’héritage de la langue Créole ?
Quand on regarde dans le rétroviseur, on se dit obligatoirement : « tout est perfectible »; ce qui me force à chercher à mieux apprendre, à mieux restituer, à mieux partager. On parle souvent du poids de l’héritage, et bien, j’ai envie d’affirmer la force de l’héritage : la langue créole que je pratique à côté d’autres langues sœurs, en m’ouvrant aux langues en général, recèle des trésors réellement inestimables. Il en est de même du conte en général, et de nos contes en particulier : le conte est un vaste domaine dans lequel je puise chaque jour une force qui me permet de cheminer dans ce monde aux facettes complexes. La pli bel anbalabay !!
Dans son dernier roman ‘La matière de l’absence’, Patrick Chamoiseau évoque que les traditions des rituels des morts, les conteurs s’effacent avec le temps, comment l’expliquez-vous ?
Trop souvent, la façon dont l’Homme utilise ce que l’on considère comme des avancées technologiques ou autres, marque un recul des valeurs humaines ; ce qui fait disparaître peu à peu, le socle sur lequel reposent les fondements des sociétés ici et/ou là ; c’est ainsi que des humains mal intentionnés se servent des avancées évoquées, dans leurs seuls intérêts immédiats, en confondant volontairement vitesse et précipitation ; ce qui donne la « philosophie » du « après moi le déluge », « befdouvanbwèdlopwop », « chakbètafé ka kléré pou nanmyo »etc. Ainsi, le matériel prend le dessus sur le spirituel, le navire du gain vogue sur des flots tumultueux, et …« zafètjoumelkipranplon ». Mais il restera toujours des femmes et des hommes pour résister aux mauvais vents de l’histoire afin que perdure ce que la tradition a de fondamental pour la survie des peuples.
Le créole a ses lettres de noblesses, les différences phonétiques grammaires pour les Antilles, la Guyane, et la Réunion ?
Un socle commun existe à partir des travaux du GEREC(1) ; mais chaque territoire aspirant à l’affirmation de son identité spécifique, on a des variantes dans chaque créole ; ainsi, l’essentiel étant préservé, on peut avancer d’un même mouvement si, ici et là, nous en avons une saine volonté.
Comment procédez-vous pour un cours au niveau lexical, syntaxique de l’apprentissage du créole ?
D’abord le basique : l’alphabet, puis l’exploration du lexique et des mécanismes de base du parler, de manière vivante, à l’aide du conte et de ses techniques : interactivité, humour etc, avec des exemples pris dans l’environnement aussi bien ancien qu’actuel.
Rafael Confiant le doyen de l’Université Antilles évoque le processus de la ‘’dé créolisation ». Votre point de vue ?
Considérons ici les réponses apportées à la question numéro 3, car ces 2 questions me semblent étroitement liées ; ajoutons la précision suivante ; on parle de mondialisation ; notion sans doute mal maîtrisée, mais bien entendu, volontairement utilisée à mauvais escient pour mieux affirmer la domination des uns sur les autres ; et quand les fondations d’une maison ne sont pas suffisamment solidifiées, la maison risque l’écroulement, surtout à l’ère de l’urbanisation galopante. Là encore j’illustrerai mes propos par an ti pawolkréyol ka fèsiwawa :« Imité ka détenn ». Ici, je parlerai du poids de l’histoire, qui va dans le sens de l’effacement des spécificités non immédiatement mercantiles. Il semble plus aisé de sombrer dans la facilité. C’est à nous de savoir rester debout !!
Souria Adèle,la comédienne, et membre fondateur du collectif ‘’ Pour le créole dans l’hexagone’’ Que pensez vous de cet engagement et votre réaction ?
Connaissant Souria amicalement et professionnellement, je dirai que son engagement est sincère, et poignant, car elle est partie de loin, dans la mesure où contrairement à moi, elle n’a pas entièrement baigné dans le grand bassin culturel créole.
Comment allier deux univers différents, l’un conteur pour une parole libre et l’autre l’infirmier en psychiatrie pour soigner les troubles du comportement ou des traumatismes ?
J’indiquais puiser une certaine force dans le conte ; comme cette force me porte, me guide, elle trouve à s’exprimer aussi quand je suis face aux êtres malheureusement atteints des troubles évoqués. Les personnes concernées connaissent mes activités artistiques ; soit ces activités s’expriment de manière spontanée, le conteur, l’infirmier et l’humain formant une seule et même personne ; soit, en diverses occasions j’offre et partage une prestation conte et musique. Tout cela se passe très bien..
Les conseils que vous donnez à cette génération de métissages pour connaitre et écrire le créole ?
Le 1er lieu de transmissions est en principe, le milieu familial; mais il convient se plonger quand cela est possible, dans un bain culturel plus large, de se rapprocher des associations quioeuvrent entre autres choses, à la transmission de nos fondamentaux, qui dispensent des cours de créole ;nombre de manifestations culturelles sont en permanence programmées, au moins en région parisienne. Il existe aussi des ouvrages forts instructifs, accessibles dans les rayons des bibliothèques ou médiathèques.
Votre philosophie de la vie et une anecdote que vous aimez particulièrement ?
Une fois de plus, mettons en avant le conte : il recèle d’innombrables enseignements qui passent notamment par de précieux proverbes, adages, bref, toute une philosophie de vie. Plutôt qu’une simple anecdote, voici un proverbe parmi tant d’autres, qui m’inspire :« Sa kipou’w, larivièpa ka chayé’y ». Mais il ne s’agit point de ‘rété la kondavila épi anniatann …’( pour la traduction, se référer à l’extrait que j’emprunte à Césaire en début d’interview)
Quels sont vos projets pour la formation du créole, les tournées et les spectacles ?
Pour le créole, je dois revoir avec des proches, comment mieux faire avancer les apprentissages, publier les résultats de recherches et travaux divers. Plusieurs spectacles sont en préparation : comédies musicales*, One man show/chaud conteur, théâtre, chant, musique et conte, dvd et recueil de pawol Groupe d’Etude et de Recherche en Espace Créolophone, fondé en 1975. *Une tournée en Guadeloupe est prévue au mois de juillet avec la troupe DNK, DansèNeg Ka Fè de Lydie Fesin et Axel Jacobin)
Wanda Nicot
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